Le coprésident de DDB Paris dresse un état de la digitalisation de l'agence et livre ses ambitions. Il conseille aux marques de jouer un rôle utile dans la vie des gens en réinventant leur marketing par le service.

Il y a quatre ans, il choisissait de quitter Duke, l'agence interactive qu'il avait cofondée dix ans plus tôt et revendue en 2007 à Razorfish, au moment où celle-ci tombait dans l'escarcelle de Publicis Groupe. Deux mois plus tard, en novembre 2009, sa nomination à la coprésidence de l'agence de publicité DDB Paris, aux côtés de Jean-Luc Bravi et Bertrand Suchet (ce dernier a quitté le groupe début 2012), annonçait une nouvelle ère. Fer de lance des agences pure player pendant une décennie, Matthieu de Lesseux incarne aujourd'hui le modèle de l'intégration du digital au cœur des agences de communication. Et comme l'histoire aime à se répéter, le voilà patron d'une agence d'Omnicom bientôt dans le giron de Publicis Omnicom Group suite à l'annonce de la fusion cet été des deux groupes. Entretien.

 

Votre mission était la digitalisation de DDB Paris. Où en est-on quatre ans après votre arrivée?

M de L. La greffe prend même s'il reste encore du chemin. Le positionnement de l'agence vise à faire coexister et travailler ensemble deux cultures, digitale et publicitaire, à l'instar de la coprésidence de l'agence que j'assure avec Jean-Luc Bravi, et qui reste un cas unique en France. Si notre modèle rencontre quelque succès, au-delà de l'implication des équipes, c'est qu'il y a un coprésident digital native. J'ai accès à l'actionnaire et, chez le client, aux décideurs, au président, ce qui ne serait pas le cas si j'étais simplement patron du digital... Ca change tout! Récemment, à Amsterdam, DDB a opté pour la même double présidence. En France, nous avons donc dissous notre pure player Tribal DDB et, sur 484 collaborateurs, 120 sont aujourd'hui des digital natives. L'activité digitale est passée de 5 à 35% de la marge brute entre 2009 et 2013, soit 15 millions d'euros. Ce qui place DDB Paris au niveau des Digitas, Nurun et Fullsix, le trio de tête des agences pure player. Notre ambition est de porter le digital à 50% de la marge brute en 2016. Quant au bilan créatif, il parle de lui-même avec près de 30 prix internationaux en 4 ans: 11 Lions à Cannes, 6 One show, 4 Clio awards, 5 Webby et 3 prix Effie. Alexandre Hervé est le directeur de la création qui a le plus rapidement intégré le digital et la social creativity, et DDB Paris est de loin l'agence la plus primée en création digitale.


Vous semblez apaisé. Quels sont les moments charnières qui ont validé le nouveau modèle de l'agence et du coup assis votre légitimité?


M de L. Transformer, c'est plus dur que créer. J'ai dû faire preuve d'humilité, apprendre la culture publicitaire, être plus calme mais tenir notre projet. La clé, c'est la bonne entente notamment avec Jean-Luc Bravi, Alexandre Hervé, Vincent Léorat, le directeur général, et Sébastien Genty, le patron du planning stratégique. Les temps forts, ce sont les gains de clients comme McDonald's France, Mini [en compétition, l'agence n'y participe pas], ING direct, Accor - pour Pullman, Mercure et accorhotel.com -, B&You, Chanel et évidemment la reconquête de Bouygues Telecom, notre client depuis onze ans. Tous sont venus pour notre nouveau positionnement. L'intégration de l'agence V dans DDB Paris est aussi majeure. Elle correspond notamment au souhait de son client Volkswagen de se renforcer dans le digital.

 

A l'instar de McDonald's France, gérez-vous en direct Bouygues Telecom et Volkswagen?


M de L. Nous avons répondu à l'appel d'offres de Bouygues Telecom comme si nous étions une nouvelle agence: Vincent Léorat et moi-même avons ainsi remplacé Jean-Luc Bravi et Marie-Laure Dangeon. Avec toujours Alexandre Hervé à la création, qui a été clé dans la reconduction du budget. Sur Volkswagen, Jean-Luc Bravi gère le budget France, et je travaille avec l'Allemagne sur les lancements internationaux digitaux.


Quelle organisation avez-vous adoptée pour le digital?


M de L. On travaille comme un hub avec une cinquantaine de partenaires (plateformes techniques, social listening, community management, sociétés de production, SSII, free-lances). Le mobile, le social media, la data, les technologies, cela bouge tellement vite qu'il est impossible de maîtriser toutes les compétences en interne. Aujourd'hui, les agences n'ont d'autre choix que de s'ouvrir. Nous avons fait le choix de profils digitaux senior au cœur de l'agence, capables de gérer et de trouver les meilleurs partenaires extérieurs. Nous avons également cassé les «process» séquentiels pour favoriser un travail plus collaboratif, agile et rapide.

Avez-vous conservé des pôles spécialisés?


M de L. Je n'y étais pas favorable dans mon souci d'intégration. Mais concernant les média sociaux, j'ai changé d'avis et j'ai créé un pôle d'experts de cinq personnes géré par Antoine Gilbert, nommé directeur du social media. Pour le reste, ma théorie est que le digital doit infuser toute l'agence.


Quel est le bilan de la Digital University créée fin 2010?


M de L. Ces programmes ont permis de former nos collaborateurs et d'accompagner nos clients dans la compréhension des mutations. Depuis sa création, elle a délivré plus de 600 heures de programmes, formé 1 700 personnes de 20 nationalités dans 10 pays. Elle compte parmi ses références des entreprises comme McDonald's, Bouygues Telecom, l'INSEAD, Le Figaro Medias, Manpower, LVMH, Chanel et BNP Paribas. La Digital University, dirigée par Guillaume Cabrère, est désormais une filiale autonome rattachée au groupe DDB.

 

Quelle est la prochaine étape pour DDB Paris?

 

M de L. La révolution digital est intégrée. Les marques ont compris que les médias sociaux, le mobile et la data bouleversent leur métier comme ils bouleversent le comportement et les attentes des consommateurs. Elles ont donc désormais une double obligation. Les marques doivent d'une part se faire une place dans l'esprit des gens. C'est notre métier de les y aider à travers la publicité, le brand content et le «branded entertainment», à l'instar de la communication de Red Bull ou de la web-série Les Dumas, que nous avons créée pour Bouygues Telecom. Elles doivent d'autre part jouer un rôle utile dans la vie des gens en réinventant leur marketing par le service. La brand utility, c'est le nouvel enjeu car c'est un levier de croissance pour les marques. Regardez les succès de pure player comme Google, Apple, Amazon, Voyages-sncf.com, Hotel.com, etc. Ils apportent un service qui crée une rupture de comportement chez le consommateur et dont il ne peut plus se passer. A nous d'aider les marques à inventer ces nouveaux services sur les plates-formes digitales qui répondent aux attentes des clients pour une expérience plus simple, plus rapide, plus agréable et moins cher.

 

La brand utility est votre nouveau cheval de bataille?

 

M de L. DDB Paris va continuer à déployer son offre intégrée et à mener des compétitions exclusivement publicitaire ou digital. De même, nous continuons à imaginer des dispositifs d' entertainement pour les marques. Mais nous voulons nous développer sur la brand utility en y mettant les moyens. Nathalie Litvine est arrivée comme directrice du développement digital et Johann Bernast comme directeur de création digital spécialisé dans les interfaces et l'expérience client. Deux nouveaux DA digital viennent aussi d'être recrutés. La brand utility touche à l'expérience client et donc à la gouvernance. Ce sont des enjeux stratégiques qui supposent d'être capable d'aider les marques à faire les bons choix dans un univers de possibles. A cet égard, DDB Paris revendique un léger avantage.

 

Vous avez en effet un cas d'école unique de brand utility avec le projet de commande en ligne de McDonald's France, inédit dans le monde. A quand son lancement?

 

M de L: En novembre. Nous travaillons depuis deux ans et demi sur ce service qui va créer cette rupture de comportement chez le client. Pour la première fois, en 50 ans, McDonald's France va modifier son expérience client avant pendant et après la vente. C'est le premier pays à le faire.

 

Que pensez-vous de l'appel d'offre de Renault et Nissan en vue d'une plateforme digitale commune, qui ont mis dans la boucle Deloitte et Accenture. C'est plutôt inquiétant pour les agences!

 

M de L. Le digital remettant en cause les organisations, les gouvernances et les connaissances, il est assez légitime que les cabinets de conseil aient plus de parts de voix. C'est en effet un danger, surtout pour les agences digitales.


L'actualité, c'est aussi la fusion annoncée de Publicis et Omnicom. Que vous inspire-t-elle?

M de L. C'est très excitant. Cela devrait nous permettre d'accéder à des savoir-faire techniques digitaux. Le principal enjeu de cette fusion pour Publicis et Omnicom est de se doter de technologies - à l'instar de Criteo ou Sales Force - pour mieux orchestrer la data et le média.

 

DDB Paris déménage en mars 2014. Quel est votre projet?

 

M de L. Nous voulons un lieu qui incarne notre modèle, ouvert, collaboratif et favorisant l'échange et le partage. Les travaux rue La Condamine Paris 17e (5 000 m2) ont été pensés dans cet esprit. L'entrée de l'agence sera un café-bar avec une terrasse qui pourrait à terme être ouverte au public. Il y aura un atelier de réparation de vélos. Et les grandes salles de réunion auront une cuisine. Préparer un repas ensemble, cela crée du lien...

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