Alors que Renault mène actuellement avec Nissan une compétition d'agences pour la refonte de leur plateforme digitale et CRM, Patrick Hoffstetter, directeur de la Digital Factory du constructeur, en souligne l'ambition. Fondateur de l'e-G10, il évoque les problématiques que soulève le digital dans les entreprises du CAC 40.

Publicis sera-t-il rebaptisé, dans les prochaines années, groupe de communication et technologique? Accenture, aujourd'hui cabinet de conseil en management et SSII, va-t-il ajouter "agence de marketing digital" sur les cartes de visite de ses 261 000 employés dans 120 pays? La deuxième révolution digitale en cours annonce un monde résolument connecté (smartphones, tablettes, digital in store, télévision et objets connectés). Sur le plan marketing, l'enjeu sera la capacité à maîtriser, interpréter et transformer en action les multiples données consommateurs disponibles (big data).

 

Les lignes vont donc bouger, et les postures et stratégies d'agences devoir s'adapter. Le projet de fusion entre Publicis et Omnicom (130.000 salariés) est un signe de cette révolution qui n'en finit pas. Tout comme la compétition menée par Renault et Nissan pour la refonte de leur plateforme CRM et digital mondiale. Des pure players du digital - Digitas et Fullsix, agence de Nissan et Renault - affrontent les SSII Accenture Interactive et Deloitte Digital qui ont compris que l'avenir de l'informatique était dans le digital et sont dans une logique de croissance externe... comme Maurice Lévy depuis 7 ans.

 

Accenture a ainsi acquis, il y a un an, avVenta, fournisseur de services numériques et de production de contenu et, en mai dernier, l'agence Fjord «spécialisée dans la création de contenus, d'expériences et de services numériques capables d'impliquer les consommateurs sur l'ensemble des plates-formes».

 

Les groupes de communication, à l'instar de Publicis, s'équipent aussi en expertises techniques et en data management. En France, Publicis a racheté ETO, expert du data marketing multicanal, à défaut d'avoir su créer un Saleforce, leader mondial du CRM, ou un Critéo, expert dans le ciblage publicitaire en ligne. Digitas ne pourrait pas répondre à l'appel d'offres de Renault-Nissan s'il n'avait pas fusionné avec LBI (ex-Framfab) en février 2013, suite à une OPA du groupe pour donner naissance, affirme Maurice Lévy, à «la plus grande concentration de compétences numériques au monde, apte à offrir des solutions partout, à tous les clients».

 

Digitas LBI France vient d'ailleurs de remporter la refonte de la plateforme mondiale de Michelin face à des AKQA, Blast Radius (deux réseaux de WPP) et autre Sapient Nitro ( née justement de la fusion d'une SSII avec une agence de communication).

 

Pour sa part, Accenture Interactive s'est vu confier, en mars dernier, la nouvelle plateforme web et CRM de BMW, sur 100 marchés ainsi que le déploiement des campagnes marketing en ligne et la diffusion des contenus notamment sur mobile et Facebook sans oublier le volet formation.

 

Reste à vérifier si les SSII et les cabinets de consulting seront capables d'acquérir la culture digitale et de la marque (les tentatives jusqu'alors ont plutôt déçu, disent les agences) ou s'il est plus facile à la communication de faire le chemin vers le «IT». Le choix de Renault et Nissan ne manquera pas d'être interprété... En attendant, Patrick Hoffstetter, directeur de la Digital Factory de Renault, précise pour Stratégies les contours et les enjeux de l'appel d'offres et, au-delà, présente les grands sujets qui occupent les patrons du digital qu'il réunit quatre fois par an au sein de son club l'e-G10.

 

Renault mène actuellement avec Nissan une compétition commune à vos deux marques pour la refonte de votre plateforme CRM et digital mondiale. Qu'en attendez-vous?


Patrick Hoffstetter. On change de cycle. Renault compte aujourd'hui 200 millions de visiteurs uniques et réalise plus de 50% de son activité à l'international, Myrenault est présent dans environ 30 pays avec 2 millions d'inscrits. On entre dans une dimension industrielle avec le besoin d'une plateforme mondiale capable de gérer de gros volumes et un parcours client dans un écosystème global et cohérent (sites, tablette, appli mobile, MyRenault, social media, e-commerce, digitalisation du point de vente...). On teste d'ailleurs actuellement au Brésil, notre deuxième marché, la solution Saleforce pour connecter les points de contact sur le call center, les concessions et les bases CRM et parler ainsi d'une seule voix, afin d'améliorer la performance en termes d'acquisitions, et la fidélisation. Au-delà de l'appel d'offres, nous avons avec Nissan une réflexion commune sur le CRM, la digitalisation des points de vente et la voiture connectée.

 

Dans l'appel d'offres, les agences digitales sortantes, Digitas LBI pour Nissan et Fullsix pour Renault, sont en concurrence avec Accenture Interactive et Deloitte Digital. C'est nouveau de faire appel à ce type d'acteurs?


P.H. Avec le digital, on assiste à une convergence entre la technique et le marketing. Ce sont des cultures qui auparavant ne se rencontraient pas. Aujourd'hui, tout comme les groupes de communication rachètent des compétences techniques, les SSII se renforcent en digital et marketing.

 

Sur le modèle du «digital business accelerator» aux Etats-Unis, vous avez créé, il y a un an, avec Georges-Edouard Dias, ex-patron du digital chez L'Oréal, l'e-G10. Quelle est la vocation de ce club?

 

P.H. L'e-G10 est un club qui rassemble aujourd'hui 13 patrons du digital de grandes entreprises pour l'essentiel du CAC 40. En France, ces postes de directeur du digital sont apparus depuis environ trois ans. C'est donc récent et nous avons besoin en comité restreint et non public de nous retrouver - quatre fois par an - pour partager nos expériences (sur le CRM, les réseaux sociaux, la big data, le social media, les stratégies multi-canal, le recrutement, les formations, les salaires, tel ou tel partenaire, etc.), faire une veille active sur les innovations des start-up et réfléchir aux problématiques spécifiques que le digital soulève, notamment dans la conduite du changement. Pour pouvoir échanger nos "best practices", le principe non concurrentiel est d'avoir une entreprises par secteur (*). Cela ouvre aussi la possibilité d'envisager des partenariats entre nous.

 

Un modèle se dégage-t-il en termes de gouvernance?

 

P.H. Personne n'a trouvé la solution miracle. Tous les scénarios existent, de la filiale au digital disséminé dans chacun des métiers. Malgré tout, et compte tenu de l'importance du sujet, de sa complexité et de sa vitesse d'évolution, les entreprises, qui ne l'ont pas déjà fait, réfléchissent à centraliser les compétences. C'était la vision de Patrick Pélata [ancien numéro deux de Renault, aujourd'hui vice-président exécutif et responsable du secteur automobile de Salesforce!] lorsqu'il a lancé il y a trois ans la Digital Factory de Renault. Par ailleurs, il y a une conviction que nous partageons tous au sein du club, c'est le rôle moteur que doit jouer le top management. Sur cette fameuse conduite du changement induite par le digital, il faut que cela devienne une priorité pour le Comex.

 

Créer une direction du digital c'est déjà une étape, non?

 

P.H. Evidemment, mais l'enjeu c'est de réussir à embarquer l'ensemble de l'entreprise vers la transformation de son mode de fonctionnement. Car le digital touche à la fois, à la façon de travailler ensemble en interne, à la communication externe mais surtout, au marketing client, de la distribution à la fidélisation.

 

A cet égard, la Digital Factory de Renault, qui reportait à la direction marketing, vient de rejoindre la direction client, nouvellement créée au sein de la direction commerciale monde. C'est un signe?

 

P.H. La direction client qui a été mise en place en juillet dernier par Jérôme Stoll, directeur délégué à la performance (nommé en septembre dernier n°2 du constructeur avec Thierry Bolloré, ndlr) et directeur commercial monde de Renault, confirme cette révolution de la vision du client qu'il s'agit de mettre au centre de la stratégie. Elle réunit toutes les forces vives qui touchent à l'interface client (le call center, la direction du réseau, la formation, les directeurs client et la digital factory). Rapprocher la Digital Factory de la direction client démontre que le digital n'est pas qu'une affaire de communication.

 

Au sein de l'e-G10, quelle est la tendance?

 

P.H. Dans toutes les entreprises se pose la question de la place du digital, entre le marketing, la division IT et les ventes, en sachant que les organisations vont encore être amenées à évoluer.

 

Quelles questions soulève le digital d'un point de vue RH pour les entreprises du CAC 40?

 

P.H. La question du recrutement et de la fidélisation d'experts du digital et donc des salaires pratiqués et de l'évolution interne. Ce sont de sérieux sujets pour ces entreprises du CAC 40 le plus souvent en cours de digitalisation, et chez qui les métiers nobles ne sont pas ceux du digital.

 

D'autant que ces profils sont très recherchés...

 

P.H. Les groupes du CAC 40 affrontent à la fois la concurrence des pure players comme des Google, Facebook, Yahoo qui attirent par leur puissance, leur image de marque et leurs rémunérations attractives, celle des start-up qui sont plus souples et plus faciles d'accès, sans négliger le débauchage par nos concurrents directs.

 

Alors comment faire?


P.H. L'idée c'est de réfléchir à des partenariats avec les "Big 7" du digital (Google, Facebook, Yahoo, Microsoft, Linkedin, Apple et Amazon) mais aussi avec les start-up dans tous les domaines (mobile, e-commerce, social media...). En interne, il s'agit de rendre les salaires attractifs sans mettre le feu. Au-delà, il faut valoriser les atouts de nos entreprises internationales et envisager des parcours spécifiques en veillant à ce que les autres employés bénéficient de ce sang neuf. Pour le patron du digital c'est de l'équilibrisme : à la fois veiller à ce que ses équipes gardent les pieds dans le cœur de métier de l'entreprise, tout en ayant la tête dans le «cloud».

 

(*) Les membres de l'e-G10 sont Renault, Axa, L'Oréal, BNP-Paribas, SNCF, LVMH, Michelin, Vivendi, Accor, Danone, Monoprix, PagesJaunes et GDF.

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