Considéré comme l'un des rédacteurs publicitaires les plus talentueux de sa génération, Pierre Berville revient aux affaires après cinq ans passés dans l'univers de la musique comme auteur, producteur et éditeur. Un univers qu'il ne quitte pas tout à fait puisqu'il monte Music Bridge, une structure qui se propose de rapprocher les marques et la musique. L'occasion de recueillir sa vision du marché aujourd'hui.

Il y a cinq ans, quand vous êtes parti de Grey à qui vous aviez revendu votre agence Callegari Berville en 2000, aviez-vous un projet précis?

Pierre Berville. Mon intention était de me consacrer à la musique et c'est ce que j'ai fait pendant cinq ans. J'ai découvert cet univers, très intéressant, avec son attrait, une somme de talent, d'intelligence artistique tout à fait remarquable. Mais aussi ses lacunes en termes de business, de savoir-faire. Ce qui a donné les résultats économiques préoccupants que l'on sait. Les accords que les majors ont signés avec Deezer puis Spotify, par exemple, il n'y a pas un chef d'entreprise sensé qui accepterait de payer la corde qui va le pendre... C'est un univers complexe, opaque, dont les annonceurs ont besoin, dont ils sont demandeurs mais qu'ils ne savent pas comment aborder. C'est pour cela qu'au bout de ces cinq ans, avec des partenaires très expérimentés, j'ai décidé de monter Music Bridge (lire par ailleurs).

 

Pourquoi avoir choisi de vendre votre agence?

P.B. Pour deux vraies raisons. La première: on nous a fait une offre qu'il était difficile de refuser. La deuxième raison est que, devenue la plus grosse agence française par ses budgets nationaux, nous plafonnions un peu en ce qui concerne le développement auprès de clients internationaux. Un des grands plaisirs pour moi de cette fusion avec Grey a été de travailler avec P&G, Mars-Unisabi, Smithkline. Cela a été une expérience professionnelle enthousiasmante.

 

Et pourquoi aujourd'hui ne montez-vous pas à nouveau une agence de publicité?

P.B. Parce que je suis un garçon gâté... Inventer le moyen de réunir les deux passions de ma vie professionnelle, la publicité et la musique, dans la même entreprise, je ne pouvais rien imaginer de mieux.

 

Cinq ans après votre départ de la publicité, qu'est-ce qui a le plus changé à vos yeux?

P.B. Ce qui s'est affirmé, c'est la "World Company". Ce phénomène d'internationalisation et de concentration des entreprises n'a fait que s'accuser. Des pans de l'économie et des entreprises dépendent des mêmes centres de décision. Couplé à une pression sur la rémunération des agences, et sur les coûts en général, cela a entraîné une certaine crise de la créativité des agences, de la créativité réelle, pas virtuelle que l'on peut voir dans les festivals. Cela a provoqué aussi une baisse de la qualité du service apporté par les agences. J'ai aussi une vraie déception par rapport au Web dont on attendait beaucoup.

 

C'est-à-dire?

P.B. Sur le plan économique, cela reste un secteur dynamique, pas encore à maturité. En revanche, sur le plan des idées, de la création, de la reconnaissance du talent, c'est lamentable. Les centres d'intérêt du Web? Le sexe, la musique - ouf ! - et le jeu. Le sport, le cinéma sont loin derrière et je ne parle même pas de la littérature ou de la poésie. Au-delà, Internet a accumulé les défauts, en bien pire, de ce que l'on pouvait reprocher à la communication traditionnelle. Les gens sont publiphobes; la communication, la publicité sont perçues comme plus intrusives que jamais; la politique de moyens, sous prétexte que c'est le Web, fait que cela ne doit pas coûter cher et cela finit par se voir.

 

Ne pensez-vous pas que le niveau monte tout de même?

P.B. La qualité monte un peu sans doute, mais on est loin du grand bouleversement intellectuel, artistique, esthétique annoncé. Mais il y a de bons côtés à cette situation. Je crois que les annonceurs prennent conscience de la valeur d'une idée. Ils ne comptent plus simplement sur l'argent, le nombre de contacts... Souvent dans les périodes de marasme resurgit une forme de créativité. Je suis très intéressé par ce que font Buzzman, Jésus, Herezie... On a un peu l'impression de se retrouver dans l'Angleterre des années 1980, où il y avait une floraison d'agences indépendantes. Avec une différence très notable: ces nouvelles propositions créatives sont portées par des gens d'expérience. Je crois que c'est cela, le ticket gagnant. Je ne crois pas à la génération spontanée de petits jeunes.

 

La place de la rédaction dans la publicité aujourd'hui, par rapport à une certaine tradition française, est-elle en recul?

P.B. Une partie de moi qui est optimiste considère que tout cela est cyclique, que les mots sont importants, le langage structure l'esprit. Une partie de moi estime que, face à l'internationalisation, au manque d'habitude de consommer de l'écrit, on est peut-être à la fin d'une ère. Je n'en sais rien.

 

Que pensez-vous de la concentration du marché des agences en France?

P.B. Je suis raisonnablement partagé sur ce sujet. Il y a une course à la taille, à la puissance, compréhensible, mais qui entraîne en général sur le plan de réactivité et de la créativité une baisse du niveau. En même temps, cela suscite de nouvelles propositions créatives, à l'extérieur. J'en parlais à l'instant, et je suis prêt à parier qu'il va y en avoir d'autres d'ici à un an. Ces enseignes participent aussi d'une petite remise en question de la façon dont est structurée une agence de publicité. L'agence de publicité de demain ne ressemblera-t-elle pas davantage à une maison de production qu'à une sorte de bureau complet, fixe, suréquipé? Il existe également peut-être un juste milieu. Je ne peux pas dire que BETC soit un mauvais exemple de ce qu'il faut faire aujourd'hui!

 

Revenons à la musique. La France est-elle en retard par rapport aux Anglo-Saxons?

P.B. Les maisons de disques sont majoritairement sous influence anglo-saxonne. Mais la France a des atouts énormes. Il continue d'exister des indépendants, tels que Because Music, qui occupent une place très importante sur le marché national, européen et même mondial. N'oublions pas que ce label a signé Prince il y a deux ans, par exemple. Plus structurellement, il y a une exception française qui est la Sacem (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique), la société de perception de droits musicaux la plus compétente et la plus performante dans le monde. Pour les annonceurs qui devraient se préoccuper d'être copropriétaires de leur musique, c'est une grande chance d'être en France et pas en Italie, en Angleterre ou aux Etats-Unis.

 

De rares agences en France s'intéressent vraiment au sujet. Est-ce davantage développé en Angleterre et aux Etats-Unis?

P.B. Dans ces pays, ce n'est pas l'affaire des agences, ni des maisons de disque, c'est celle des avocats. Donc autant dire que c'est performant sur le plan des contrats mais que, globalement, le lien avec la stratégie des marques est très ténu. Ici, les annonceurs ont la chance d'avoir des partenaires qui ont tout intégré. Pardon de chanter pour ma chapelle!

 

(sous-papier)

Music Bridge veut réconcilier musique et marques

 

«Ne sous-exploitez plus le capital musique de vos marques». Ce slogan résume à lui seul la mission que s'est fixée l'ancien publicitaire Pierre Berville au sein de sa nouvelle structure, Music Bridge. Loisir le plus consommé, la musique n'est pourtant pas au cœur de la communication des marques aujourd'hui. «Les marques considèrent qu'il est complexe de travailler avec l'industrie musicale, en raison du nombre d'ayant droits et de la chaîne de contrats. Avec parfois une transparence qui n'est pas assurée et un retour sur investissement difficile à évaluer, cela se complique encore», estime Pierre Berville. 

Si Dim, Darty, Evian, SFR ou E.Leclerc figurent parmi les quelques bons exemples «incontestables» selon Pierre Berville, le chantier du marketing musical est encore grand. «Au même titre que le nom, le logo, l'identité visuelle, le positionnement, la promesse etles valeurs d'une marque, le capital musique est un actif de la marque. Ce n'est pas une simple signature sonore ni un habillage publicitaire improvisé à la fin du processus créatif. C'est un univers musical transversal qui se construit dans la durée, un choix sonore identifiable et spécifique», explique-t-il. Le but: conforter la valorisation et la mémorisation de la marque. «Tout se passe comme si en publicité, on avait oublié l'importance de l'attribution.»

Une évangélisation que le publicitaire ne part pas mener seul mais avec deux autres partenaires: Amélie de Chassey, music supervisor dans le cinéma et avocate spécialisée en droit d'auteur et propriété littéraire et artistique, et Maéva Chanchorle, présidente de la société d'études qualitatives Qualeïa. Une expertise musicale doublée d'une capacité d'audit «musical» auxquelles s'ajoute donc l'expertise publicitaire de Pierre Berville. Un trio qui propose aux annonceurs une palette de services permettant le développement d'une identité musicale (négociation, production, édition). «Pourquoi en effet une marque ne monterait-elle pas sa propre structure d'édition musicale?», interroge Pierre Berville.

A.L.C.

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