Maurice Saatchi, 67 ans, cofondateur avec son frère Charles de Saatchi & Saatchi en 1970 et de M&C Saatchi en 1995, était à Paris la semaine dernière. Rencontre avec l'autre Maurice de la publicité.

Le fait d'être membre de la Chambre des Lords et d'être impliqué depuis de nombreuses années en politique, est-ce un atout pour vos affaires ?

Maurice Saatchi. Cela n'a pas réellement d'impact. Certes, quand vous participez à une campagne électorale et que vous gagnez, cela vous apporte une certaine crédibilité. Mais les connexions entre l'establishment et les entreprises sont déjà bien établies.

 

Vous qui côtoyez les deux univers, quel regard portez-vous sur les «spin doctors» ?

M.S. Je désapprouve totalement l'idée selon laquelle la politique et les politiques sont des marques, donc je désapprouve le rôle des spin doctors. Ce n'est pas en tout cas la manière dont nous conseillons les politiques avec lesquels nous travaillons. Notre mission est de trouver le meilleur argument et non pas le physique le plus attirant. Arrêtons de penser que le public est stupide. 

 

Venons-en à la publicité. Que vous a inspiré l'annonce de la fusion entre Publicis et Omnicom?

M.S. Je les félicite ! Ils ont fait ce qu'il fallait faire. C'est le sens de l'histoire. A l'heure de la mondialisation, il est logique qu'à terme quatre ou cinq géants mondiaux dominent ce marché comme cela se fait dans d'autres secteurs. L'effet de taille est un atout. C'est une règle économique. 

 

Dans ce cas-là, quelle est la place de groupes comme M&C Saatchi ?

M.S. Evidemment, pour M&C Saatchi l'idée n'est pas de répéter ce qui a déjà été fait. La philosophie de M&C Saatchi est totalement différente. Chez nous, les patrons d'agence détiennent la majorité des parts de leur société. Et cela change radicalement la façon de travailler. C'est d'autant plus important que la publicité est devenue, ou est en train de devenir, un produit de base où la compétition se résume bien souvent au prix le plus bas. Or  aligner des chiffres sur une toile n'a jamais fait une œuvre d'art. Face à cette standardisation, nous avons l'obligation de créer un leadership créatif. C'est là le seul et vrai bénéfice que nous devons à nos clients.

 

Gilles Masson. Il est clairement plus facile de faire de la création quand on est indépendant. Les clients à qui nous parlons, même s'ils dirigent des sociétés de 10 000 personnes, nous nous adressons à eux comme des entrepreneurs. Quand on est le n°2 d'un grand groupe publicitaire, on pense d'abord à l'interne, à la politique, aux fusions, au reporting. Au sein d'un groupe comme M&C Saatchi, Maurice Saatchi est avant tout notre partenaire. Nous ne sommes pas dans une relation hiérarchique. Le groupe a certes 51% de M&C Saatchi GAD, mais il a joué davantage un rôle de business angel avec nous. Et ça marche ! Huit ans après, l'agence compte cent personnes avec un chiffre d'affaires de 20 millions d'euros et elle fait du profit.

 

Antoine Barthuel. Il est étonnant de voir combien le fait d'être le patron de sa boîte change le regard que porte sur vous un client. Il ne faut pas oublier que c'est un métier de confiance. Le fait d'être entrepreneur rassure.

 

Daniel Fohr. On vit dans des relations individuelles avec nos clients et pas dans des relations d'entreprise à entreprise. Au final, vous prenez des risques et le client les prend avec vous.

 

M.C. Avec ce principe, 95% de nos agences ont été profitables dès la première année. Tout compte fait, aujourd'hui nous fonctionnons un peu comme une monarchie constitutionnelle. Mon rôle comme monarque est de conseiller, d'encourager et, quand il le faut, d'alerter.

 

Avec le recul, diriez-vous que vous avez connu plus d'obstacles que vous ne le pensiez au moment de lancer M&C Saatchi GAD ?

G.M. Quand vous lancez une agence en Angleterre, tout de suite vous êtes consultés par les annonceurs. Il y a un effet de curiosité. En France, vous rencontrez d'anciens clients avec qui vous aviez d'excellentes relations, ils vous disent : «C'est formidable. Dans deux ans, dites-nous si tout va bien.» A l'époque, nous étions il est vrai une des toutes premières agences indépendantes à se créer. Autre particularité du marché français : le verrouillage des appels d'offres publics par les quatre ou cinq plus gros réseaux. C'est pourquoi nous nous sommes rapidement retirés de ce marché.

 

Pour revenir au réseau, pourquoi M&C Saatchi a décidé en novembre dernier de se retirer partiellement de l'agence Walker Media au profit de Publicis ?

M.S. Walker Media est une excellente agence média. Mais dans l'achat d'espace, la taille n'est pas nécessaire, elle est indispensable. Or l'opportunité d'intégrer Walker Media dans un nouveau réseau de dimension mondiale, tout en en conservant 25% des parts, est pour nous une bonne solution. 

 

Le marché ne jure plus que par l'intégration d'expertises de plus en plus technologiques, notamment en matière de data. Quelle est votre position sur ce sujet ?

M.S. Nous intégrons évidemment ce type d'expertises. Il est difficile de résister à ces nouvelles techniques qui vous permettent de toucher uniquement les gens qui veulent acheter, par exemple, un machine à laver, vous évitant ainsi de gaspiller de l'argent dans une campagne TV de masse. C'est tentant en effet. Mais c'est en fait consternant ! C'est tout simplement la fin de la publicité. Le monde de la data, aussi sophistiqué soit-il, n'est pas toujours celui de la réalité. C'est comme dans la vie, les plus belles rencontres ne se font pas toujours sur des critères rationnels ou sur des goûts communs. Bien au contraire. Je me méfie énormément des prédictions. Toutes les mesures ne remplaceront jamais la créativité.

 

Il subsiste encore parfois une confusion entre Saatchi & Saatchi et M&C Saatchi. Est-ce un sujet que vous avez abordé avec Maurice Lévy, le président de Publicis Groupe dont Saatchi & Saatchi est devenu une filiale?

M.S. Je ne peux pas vous répondre. S'il y a eu des conversations, elles sont restées privées. Mais vous pensez qu'il y a vraiment confusion ?

 

Ça peut arriver...

M.S. Dans ce cas, la solution serait peut-être de nous rapprocher [rire].

 

(encadré)

 

Dates et chiffres clés

 

Décembre 1994. Maurice Saatchi est évincé de Saatchi & Saatchi, agence créée avec son frère Charles en 1970.

Janvier 1995. Création de l'agence M&C Saatchi par Maurice et Charles Saatchi avec trois anciens dirigeants de Saatchi & Saatchi : Jeremy Sinclair, Bill Muirhead et David Kershaw.

26 agences dans 18 pays.

169,5 millions de livres (206,8 millions d'euros) de revenus en 2012.

44,6% de l'activité 2012 réalisée en Grande-Bretagne, 31,7% en Asie, 9,5% en Europe, 4,7% en Amériques...

1 708 salariés en 2012. 

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