Alors que le rachat des agences digitales fait régulièrement de la casse, les modalités d'acquisition du pure player X Prime par JWT Paris (WPP) visent à garantir son succès et la pérennité des équipes.

En se portant acquéreur, fin mars, de 84 % de l’agence digitale toulousaine X-Prime, après dix-huit mois de discussion et de collaboration sur des projets clients, JWT Paris (WPP) opère de manière inédite. Depuis la vague massive de concentration il y a sept ans, c’est la première fois qu’un groupe de communication n’acquiert pas d’emblée 100 % d’une agence digitale en France, et laisse à ses fondateurs une part du capital. Depuis le début de l’année, deux autres pure players ont ainsi été rachetés à 100 % : Big Youth par Makheia et You to You par Mazarine. Dans le cas de X-Prime (55 personnes), François Garcia, cofondateur en 2002, garde 10 % du capital et devient président et mandataire social, David Ferrera conserve 2 % et Maxime Garrigues, chargé du développement, 4 %. « Ce n’est pas une fusion, précise-t-il. Je ne deviens pas directeur digital de JWT, et X-Prime garde son caractère d’agence digitale pure player avec son identité et son management propre. »
« Quand on achète une agence, on achète le talent des managers et leurs clients, affirme Claude Chaffiotte, président de JWT Paris (environ 80 salariés). Leur laisser une participation est la meilleure manière de les engager à long terme au-delà du CDD qu’est l’“earn out”. Je voulais éviter les écueils des fusions que sont le départ des patrons et la perte de certaines expertises. » Cet « intrapreneur » parle d’expérience. Resté actionnaire minoritaire après avoir vendu l’agence Yka à Euro RSCG dans les années 1990, il s’est investi douze ans dans le groupe.

Fer de lance de la croissance

De même, il ne voulait pas revivre les affres d’une fusion, comme en 2008 entre JWT et RMG Connect, l’agence de marketing client qu’il dirigeait. D’autant que le rachat de X-Prime est stratégique pour l’avenir de JWT, qui peine, comme actuellement toutes les agences moyennes.  Il annonce d'ailleurs une autre acquisition, dans le retail, notamment pour répondre aux besoins de son client BMW. « J’ai entrepris de relancer JWT depuis un an et je veux faire du rachat de X-Prime l’un des fers de lance du développement de l’agence, affirme-t-il. Nous savons définir des stratégies digitales, il nous manquait les expertises pour leur mise en œuvre. »
X-Prime est un généraliste (création de sites d’e-commerce, social media, mobile, production…) qui voit dans son rapprochement avec JWT l’opportunité de muscler son offre e-CRM, de proposer de nouvelles expertises à ses clients tout en accédant à des grands comptes et, donc, de pouvoir aller sur des campagnes intégrées. Sans négliger les atouts du réseau international. Brice Najda, directeur technique digital de JWT Paris, sera l’interlocuteur de l’agence toulousaine, tandis que les sept salariés du pure player à Paris vont rejoindre JWT Paris pour optimiser la collaboration.
Le mode d’intégration progressif choisi par JWT et X-Prime devrait être suivi avec attention tant les rapprochements dans le digital se sont soldés jusqu’à présent par pas mal de casse, pour ne pas dire d’échecs, si l’on considère les départs prématurés des fondateurs, dont l’ambition était de développer leur agence au sein d’un groupe. Ainsi en est-il notamment des trois dernières intégrations marquantes de 2012 – les rachats de Mediagong par Leo Burnett (Publicis), de Soleil noir par McCann Paris (Interpublic) et la fusion entre Saatchi & Saatchi et Duke (Publicis) – qui aboutissent toutes, moins de deux ans plus tard, à l’exode des fondateurs et managers et à la dilution du pure player aux effectifs fortement réduits.

Manque de vision

Chez Mediagong, rachetée en janvier 2012, deux des fondateurs sont partis très rapidement et le dernier, David Oks, en novembre dernier. Entre-temps, l’agence digitale a connu trois patrons, tous directeurs généraux adjoints de Leo Burnett : Thomas Lecordier et Olivier Abel, experts du digital mais qui ont jeté l’éponge faute de moyens et de vision, et, depuis janvier 2014, Régis Perrone qui n’est pas un profil digital. Pourtant, Jean-Paul Brunier, président de Leo Burnett, voyait dans ces digital natives son successeur. « Je me suis emballé et j’ai fait preuve de naïveté, reconnaît-il. Je pensais que ce rachat serait une promenade de santé, mais comme les autres agences, j’ai rencontré de grandes difficultés. C’était pourtant la meilleure solution pour intégrer du digital, ne pas être déclassé, et repartir aujourd’hui en conquête avec une nouvelle équipe. »
Philippe Lentschener, PDG de McCann France, caressait, lui, avec le rachat du studio digital créatif Soleil noir, « l’ambition de créer des expériences uniques dans l’esprit de [son] modèle Crispin Porter + Bogusky ». Pour Benjamin Laugel, le président de Soleil noir nommé également directeur de la création digitale de McCann Paris, ce rachat constituait « la seule solution pour permettre au digital de remonter sur les briefs des marques ». Il vient de quitter l’agence (passée de 20 à 10personnes) et ne cache pas une certaine « tristesse ».

Rapport dominant-dominé

Ses conseils pour éviter les déconvenues : construire une stratégie d’intégration en amont de l’achat, se connaître et travailler ensemble avant, préserver l’ADN de la société rachetée pour ne pas mettre en péril son succès. Édouard de Pouzilhac, président de 5ème Gauche et de l’AACCI, renchérit : « L’erreur des publicitaires est de chercher à digitaliser leur métier, non pas en embauchant des talents mais en intégrant des agences pure players dont elles changent l’ADN en leur demandant de décliner des campagnes et donc de ne plus être en amont de la réflexion. En réalité, le digital est toujours dans un rapport dominant-dominé. »
Également sur le départ, Stéphane Guerry. Le directeur général de Duke (une dizaine de salariés) met un point final à cette illusion orchestrée il y a deux ans par Maurice Lévy lors de la fusion de Saatchi & Saatchi, agence en mal de projet, avec Duke, agence déficitaire mais belle marque digitale récupérée dans la corbeille Razorfish en 2009 – et dont il n’avait su quoi faire. « Notre ambition est de proposer aux annonceurs une plateforme ouverte de développement d’idées neuves avec les individus comme moteur et la technologie comme alliée, indiquait Elie Ohayon, président du nouvel ensemble, en mai 2012. Les équipes vont être fusionnées dans un esprit collaboratif. »

Définir des complémentarités

La réalité est, on s’en doute, moins lyrique. « Les digital natives ont l’indépendance, l’agilité et l’innovation dans leur ADN. Vous imaginez le choc de culture et de génération lorsqu’ils découvrent la logique groupe avec sa hiérarchie, ses process, sa rationalisation financière, sa prudence ! », raconte une ex-Duke, Déborah Marino, directrice de la stratégie de Publicis 133.
Pour Olivier Abel, qui a dirigé Duke puis Mediagong avant de rejoindre Change, « les agences publicitaires ne savent pas ce qu’elles rachètent, car elles ont une connaissance superficielle du spectre du digital. Elles cherchent du business additionnel sans aucune vision stratégique partagée et aucun schéma directeur ». D’où, selon lui, « la nécessité avant tout achat de procéder à une analyse du besoin pour développer son activité par rapport à sa base de clients et définir la meilleure des complémentarités ».
Stéphane Amis, ex-Digitas et Fullsix France, aujourd’hui conseiller en fusion-acquisition chez APM Corporate Finance, ajoute : « Il est primordial de travailler sur le projet et le mode d’intégration pour lever les risques d’incompatibilité, alors que les agences se concentrent à tort sur le prix de cession. »
Lionel Curt, président de MNSTR, qui a connu « l’intégration pure et dure » lors du rachat de Megalos, pense que « désormais les groupes vont plutôt chercher à acquérir un réseau ou une agence supplémentaire et les laisser vivre ». Il est vrai que de nouveaux acteurs, à l’instar du chinois Blue Focus qui a racheté We are social, ou d’Accenture et autre Deloitte, arrivent sur le marché du digital.

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