L'affaire Bygmalion jette à nouveau l'anathème sur les relations entre communicants et politiques. Le duo n'a pas trouvé son point d'équilibre, alors que la sphère politique est plus que jamais coupée de l'opinion publique.

Fausses factures? Surfacturations? Rétrocommissions? L'enquête préliminaire pour faux, abus de bien sociaux et abus de confiance sur les finances de l'UMP et ses relations avec l'agence de communication Bygmalion a connu une soudaine accélération après les déclarations de l'avocat de cette dernière accusant l'UMP de lui avoir imposé des factures litigieuses. Des accusations qui ont provoqué l'annonce, le 26 mai, de la démission de Jean-Francois Copé, président de la formation politique, confronté à une gestion de crise sans précédent.

L'affaire Bygmalion ne fait qu'aggraver le malaise déjà profond entre politiques, communicants et opinion publique. Largement entretenues ces dernières années par diverses affaires, des sondages de l'Elysée sous Nicolas Sarkozy (via les instituts de Pierre Giacometti et Patrick Buisson) au scandale du Sofitel New York de Dominique Strauss-Khan (conseillé par Stéphane Fouks et son équipe) en passant par le réseau social de l'UMP «Les créateurs de possibles», au coût jugé excessif, les relations entre conseillers en communication et hommes politiques s'apparentent de plus en plus à des liaisons dangereuses.

 

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La télévision exploite le filon, avec des séries comme Borgen sur Arte ou Les Hommes de l'ombre (France 2) et au travers de documentaires tel Jeu d'influence, diffusé sur France 5 le 6 mai dernier, toutes ces émissions insistant sur la part d'ombre du métier de communicant.

«Plus que jamais, les hommes politiques ont la communication honteuse. Ils se gardent d'afficher tout lien avec des agences ou des conseillers en communication. Ce terme est même devenu un gros mot», constate Marie-France Lavarini, cofondatrice et présidente de l'agence Ella Factory, qui a notamment été chargée de la communication du candidat Lionel Jospin lors de la présidentielle de 2002. «Malheureusement, ajoute-t-elle, c'est au moment où les liens entre politiques et communicants se distendent que la communication politique, à l'ère d'Internet et des réseaux sociaux, a plus que jamais besoin d'être professionnelle.»

«Dans un pays qui a une profonde difficulté à se réformer, la pédagogie du changement pourrait apporter un début de solution. Mais le manque de compréhension des politiques de la “communication projet”, parfaitement intégrée par ailleurs par le monde de l'entreprise, freine considérablement cette évolution», regrette Nicolas Bordas, vice-président de TBWA Europe et président de Being, qui a coordonné avec l'appui de BDDP & Fils la campagne publicitaire de François Hollande lors de la présidentielle.

La sous-facturation peut-être également illicite

Regrettable sans doute, mais l'heure est bien au «com bashing». Consternés par l'affaire Bygmalion, les professionnels rappellent quelques précautions utiles à prendre quand on travaille pour un parti ou un homme politique. «Comme pour tout business, il ne faut pas être dépendant d'un seul client, ne pas être l'agence d'un seul parti», souligne Régis Lefebvre, directeur général de Blue Advertainment, qui conseille François Bayrou.

Plus pragmatique, Emmanuel Voguet, fondateur associé du cabinet corporate Sparker, qui conseilla jusqu'en 2007 Dominique Perben au ministère des Transports et, plus récemment, Jean Sarkozy au conseil général des Hauts-de-Seine, estime qu'«entre ce que permet le droit et ce qu'autorise l'opinion publique, il faut toujours veiller à ce qu'un contrat avec un parti soit acceptable par l'opinion». Et il y a ceux qui assument, comme Stéphane Rozes, président du cabinet CAP: «Les choses sont claires, je suis un artisan de luxe du conseil et je ne travaille jamais sans rétribution. Ma facture de 20 000 euros de conseil stratégique de janvier à mars 2012 pour le candidat François Hollande est dans ses comptes de campagne.»

Mais la vigilance est de rigueur, qui plus est en période électorale. Compte tenu des plafonds de dépenses imposés par la loi, si toute surfacturation est risquée, une sous-facturation, elle, peut être assimilée à un financement illicite de campagne. Le bon équilibre consiste à facturer les frais de production assortis d'une marge oscillant entre 12% et 25%.

«Pour le clip Imaginons la France d'après que j'ai réalisé bénévolement pour l'UMP avec une équipe de trois personnes lors de la présidentielle en 2007, je n'ai facturé que les frais techniques, soit environ 70 000 euros», assure Frank Tapiro, président d'Hémisphère droit. En 2012, Havas avait mis une équipe à disposition du staff de François Hollande pour ses meetings. Mais seules les prestations de conseil auraient été facturés (50 000 euros), les coûts de production ayant été directement pris en charge par l'équipe du candidat socialiste.

Une prudence justifiée par l'explosion des budgets alloués à ce type de campagne, comme en témoigne l'affaire Bygmalion. «Dans un contexte d'improvisation et d'urgence permanentes, une campagne présidentielle, qui plus est avec plus de quarante meetings à son actif, ça coûte très cher. Tout le monde sait que les comptes des candidats du second tour dépassent le seuil officiel de 22 millions d'euros. Nous baignons dans une hypocrisie générale», lance Arnaud Dupui-Castérès, président de l'agence Vae Solis Corporate et ancien conseiller, notamment de Jean-Pierre Raffarin à Matignon.

Jean-Christophe Alquier, président d'Alquier Communication, renchérit: «Il faudrait sortir du mythe de l'engagement politique purement altruiste et finir par comprendre que la démocratie a un coût, que l'essentiel du personnel politique est constitué d'énarques qui savent qu'ils peuvent être payés cinq fois plus dans le privé, que les dépenses d'un parti représentent des sommes importantes. Tant que ce sujet ne sera pas réglé, les arrangements financiers et les malversations continueront.»

Une situation de gestion de crise permanente

En attendant, les conseils en communication politique préfèrent mettre en avant leur engagement bénévole. «J'ai fait le choix de ne pas travailler avec des politiques, du moins dans le cadre d'une relation commerciale. Cela me permet de garder ma liberté de conseil», prévient d'emblée Robert Zarader, président d'Equancy & Co et proche de François Hollande.

De son côté, Natalie Rastoin, directrice générale d'Ogilvy France, qui a conseillé Ségolène Royal lors de la présidentielle de 2007 puis Anne Hidalgo pour les récentes municipales à Paris, souligne que «le groupe WPP [maison mère d'Ogilvy] mentionne dans ses statuts l'interdiction pour ses agences de travailler sur des sujets partisans. En revanche, le groupe encourage, chacun en tant que citoyen, à s'engager à titre personnel.»

Pour avoir longtemps joué sur les deux fronts, Havas a souvent été suspecté de conflits d'intérêt. Mais le groupe assure aujourd'hui ne plus avoir de contrats politiques. «C'est 1% de chiffre d'affaires et 99% d'emmerdes», n'a cessé d'affirmer ces derniers mois Stéphane Fouks. En revanche, le bénévolat reste plus que jamais d'actualité parmi les consultants du groupe, à commencer par le patron, qui conseille notamment Manuel Valls et… Xavier Bertrand. Un bel exemple d'ouverture politique!

«En politique comme ailleurs, il existe des amitiés, ce n'est pas un problème tant qu'on agit à titre bénévole», précise Régis Lefebvre, pour qui le vrai sujet est de ne pas mélanger les genres: engagement personnel et relations commerciales. «Jean-Michel Goudard est l'exemple de ce qu'il faut faire. Il est devenu le collaborateur bénévole de Sarkozy après avoir quitté la communication», analyse-t-il. Marie d'Ouince, patronne d'une agence de communication pour les collectivités locales, vient de faire de même en rejoignant François Rebsamen pour s'occuper de sa communication au ministère du Travail. 

Un engagement total justifié entre autres par le fait qu'un homme politique n'est pas un client comme les autres. «L'exposition médiatique permanente à laquelle est soumise un homme politique le place, ainsi que son équipe, constamment en situation de gestion de crise», souligne Franck Louvrier, l'ancien conseiller en communication de Sarkozy, aujourd'hui président de Publicis Events et vice-président de Publicis Consultants.

Autre particularité d'une campagne politique, notamment en période électorale: concentrer toutes les techniques de communication au même moment et ce, «sans avoir la maîtrise du calendrier, notamment vis-à-vis des médias», explique Manuel Diaz, président d'Emakina, agence digitale de l'UMP depuis 2011.

Enfin, il ne faut pas oublier que «le premier communicant d'un homme politique, c'est lui. Le conseil en communication est finalement relatif. Plus que des petites phrases, notre travail relève davantage du planning stratégique», analyse Natalie Rastoin. En bon publicitaire, Frank Tapiro résume l'enjeu ainsi: «En politique, le client doit être la marque. Le parti, c'est l'enseigne de distribution, et les idées politiques, le produit. Mais n'est pas Mitterrand ou Sarkozy qui veut!»

«Le fantasme ultime du publicitaire»

Quoi qu'il en soit, le rouleau compresseur de la politique en fait réfléchir plus d'un. Comme beaucoup, Arnaud Dupui-Castérès (Vae Solis) a décidé de ne pas travailler avec des partis ou hommes politiques: «Cela reste un objet de fantasme délirant, une caisse noire. De toute façon, ces clients-là ne sont absolument pas dans un principe de réalité.» Emmanuel Voguet, de Sparker, acquiesce: «Il y a quinze ans, on pouvait encore tirer un avantage à faire de la communication politique, quand les entreprises étaient en quête de réseaux, de carnets d'adresses. Mais, aujourd'hui, on achète ce travail d'influence qui s'est professionnalisé. Sans compter que c'est incroyablement chronophage et qu'il n'y a pas de sujets politiques rentables

Il est vrai aussi que l'impact pour un communicant peut être ravageur. «Je ne compte plus les attaques personnelles parfois violentes sur mon compte Facebook, qui plus est avec l'affaire Bygmalion», admet Manuel Diaz, d'Emakina. «Bien souvent, quoiqu'il arrive, vous restez un publicitaire, le vendeur de vent devant lequel on affiche un profond mépris. Vous êtes toujours là par effraction. Seule une relation privilégiée peut vous épargner cela, comme Séguéla avec Mitterrand, Fouks avec Valls, Goudard avec Sarkozy ou Ossard avec Juppé», remarque Philippe Lentschener, président de McCann France et conseiller d'Arnaud Montebourg, ministre de l'Economie.

Toutefois, la communication politique a aussi des avantages pour ceux qui s'y essaie. Et ils sont nombreux tant «la politique reste le fantasme ultime du publicitaire, celui du pouvoir, des réseaux, de la capacité à changer les choses», reconnaît Philippe Lentschener. Le gain d'image et de notoriété pour un publicitaire n'est pas négligeable, même «s'il reste indexé sur la cote de l'homme politique ou du parti en question», tempère Régis Lefebvre, de Blue Advertainment. L'incontournable Stéphane Fouks l'a en tout cas toujours considérée comme une bonne école de formation en interne. Sans compter que les promotions sorties d'Havas ont souvent le mérite d'essaimer dans les arcanes du pouvoir. Parmi les plus récents exemples: Marie-Emmanuelle Assidon chez Bernard Cazeneuve à l'Intérieur, Sacha Mandel chez Jean-Yves Le Drian à la Défense, Mathilde Renoir chez Marylise Lebranchu à la Réforme de l'Etat ou encore Anne Descamps auprès de Christian Eckert au Budget.

Un laboratoire idéal

Une voie de recrutement qui aurait d'ailleurs tendance à s'accélérer ces dernières années. Et dans les deux sens, comme en témoigne la récente arrivée en tant qu'associé chez Publicis Consultants de Jérôme Batout, ancien conseiller spécial du Premier ministre Jean-Marc Ayrault. Sous la direction de Franck Louvrier, l'ancien dircom de Sarkozy...

Pour Manuel Diaz, les bénéfices sont globalement positifs: «Nous démontrons ainsi notre capacité à résister au stress et à maîtriser les différentes techniques de la communication. Cela rassure nos clients. Quand à l'interne, il y a une grande satisfaction à voir ses réalisations largement reprises par les médias.»

Beaucoup voit enfin dans la communication politique un laboratoire d'idées. «C'est l'occasion idéale pour mieux comprendre les réseaux sociaux et les enjeux d'engagement sur le Web. Les grandes entreprises devraient s'inspirer de ce type de gestion de l'opinion sur lequel la sphère politique est plutôt en pointe», conseille Natalie Rastoin.

Tout compte fait, nombre de communicants constatent que les politiques recourent de plus en plus à leur service. L'accélération du temps médatique, notamment avec le Web qui désintermédie les relations avec les citoyens, nécessite en effet une expertise qui laisse peu de place à l'amateurisme.

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