Numérique
Big data, profilage, économie du partage... Françoise Colaïtis, déléguée adjointe du pôle de compétitivité Cap digital, présente son cahier annuel de tendances et n'hésite pas à ouvrir le débat.

En quoi le cahier de tendances de Cap digital se distingue-t-il d'autres études?

Françoise Colaïtis. Cap digital n'est pas un cabinet d'études. Avec ses 800 membres dont 670 PME, le pôle de compétitivité de la transformation numérique de la région Ile-de-France est un échantillon vivant de la réalité de l'économie numérique aujourd'hui. Ce cahier est la synthèse de toutes nos interactions durant une année – rencontres, think tank, accompagnement et soutien dans l'aide au financement…

 

Le big data est une tendance forte et durable qui marque une rupture. Pourquoi?

F.C. En 2020, le marché du big data représentera 8% du PIB européen, selon le BCG, et il y aura 80 milliards d'objets connectés dans le monde, selon l'Idate. Le développement d'une hyper-connectivité, à la fois des individus, des groupes et des objets, conduit à une collecte de données dans des proportions inédites. La rupture c'est ce caractère massif de la captation de données, avec des besoins en traitement et en algorithmes pour automatiser tous les process qui se traduit par une attente des entreprises toujours plus exigeante.

 

Cette évolution place l'utilisateur au cœur de l'économie. En quoi est-ce un changement radical?

F.C. Dans une économie numérique qui se nourrit des données, la construction des services s'opère à partir de l'utilisateur, par l'observation ou la prédiction de ses usages. Il faut donc aller le chercher dans l'espace physique ou virtuel, via des offres toujours plus personnalisées, sur tous les canaux. Pour capter et retenir l'attention du consommateur, les services misent sur des contenus riches, des expériences utilisateur stimulantes, inspirantes: les interfaces quittent le strict périmètre des écrans pour entrer dans la vie réelle, pour bousculer notre rapport à la réalité. Selon Médiamétrie et la Fevad, 76% des consommateurs ayant effectué un achat en magasin l'ont préparé en consultant un site internet en amont, et auprès de la même marque pour 80% d'entre eux. Le showrooming se développe également, avec un tiers des consommateurs qui se sont rendus dans un magasin pour se renseigner avant de terminer leur processus d'achat en ligne. On assiste à un basculement progressif d'un modèle d'organisation structuré, de la production au consommateur, vers un modèle où c'est l'usage qui, dans une certaine mesure, conditionne et oriente la production, grâce aux datas. Dans dix ans, nous ne parlerons sans doute plus de numérique.

 

Cette société du profilage et de la personnalisation inquiète. Comment éviter les abus?

F.C. Il faut des recommandations et de l'éthique de la part des entreprises. Mais la meilleure réponse passe par une connaissance et une maîtrise de la culture numérique par les individus. Il s'agit de comprendre pour ne pas subir un ciblage commercial aliénant. Par exemple, comprendre que la contrepartie de services gratuits ce sont les données que l'on offre. Pas sûr que tous les jeunes aient cela bien en tête.

 

Bla bla car transporte 600 000 passagers par mois – l'équivalent de 1 500 TGV –, Airbnb concurrence les hôtels milieu de gamme. Que vous inspire la montée en puissance de l'économie du partage?

F.C. Le développement de l'économie du partage et de la collaboration interroge sur les nouvelles formes de travail, le salariat. Comme le dit Jeremy Rifkin, dans son livre La Nouvelle Société du coût marginal zéro, l'essor des «communaux collaboratifs» est-il le signe d'une rupture avec le modèle capitaliste tel que nous le connaissons? Entre aspiration à une société plus durable et plus économe de ses ressources énergétiques, et besoin d'un complément de revenus dans une société en crise – ce à quoi répond le covoiturage – allons-nous tous devenir des entrepreneurs? Et si les relations sociales se professionnalisent, quelle place, alors, pour l'entraide et la solidarité?

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