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Criteo est entré au Nasdaq en octobre 2013. Un an plus tard, son fondateur et président fait le point sur la stratégie multicanal de ce fleuron français de la publicité à la performance personnalisée.

En octobre 2013, Criteo faisait une entrée remarquée au Nasdaq. Qu'est-ce que cela a changé pour vous?

Jean-Baptiste Rudelle. Cela a été un véritable bouleversement, en termes de visibilité comme de perception de l'entreprise. Jusqu'alors, nous étions une start-up; nous sommes désormais perçus comme un grand acteur du secteur, notamment aux Etats-Unis, marché où il est bien plus difficile qu'ailleurs de se faire entendre et où cela nous permis de nous déployer très vite. Cela s'est traduit dans nos chiffres: les Etats-Unis ont été la locomotive de notre croissance, même si nous connaissons, en Europe et en Asie, une accélération particulièrement forte. Nous avons également eu accès à des personnes inaccessibles auparavant, comme les grands donneurs d'ordre chez les annonceurs, les agences médias, etc. Cela nous a aussi permis de renforcer les liens stratégiques avec les éditeurs, comme Google, Facebook, Microsoft. 

 

La concurrence est-elle rude sur le marché du programmatique?

J.-B.R. Le programmatique a deux facettes: le marketing à la performance et le branding. Ce sont deux marchés aux logiques différentes. Le marché du branding est très fragmenté alors que celui du marketing à la performance a tendance à être beaucoup plus concentré. Ce qui s'explique par le fait que pour les clients, il est plus facile de faire la différence entre une offre et une autre puisqu'il s'agit de choisir le meilleur ROI [retour sur investissement] alors que dans le branding, nous n'avons pas de «metrics» aussi tranchées.

 

Criteo a racheté cette année Tedemis, une société spécialisée dans l'e-mail retargeting. Pourquoi est-ce une acquisition importante?

J.-B.R. Le rachat de Tedemis s'inscrit dans une stratégie plus large de Criteo, une stratégie multicanal. Nous étions essentiellement sur le reciblage publicitaire sur ordinateur. Avec Tedemis, dont l'offre est en rupture avec les pratiques traditionnelles, nous intégrons à notre solution un canal majeur sur lequel il y a assez peu d'innovations: l'e-mail. On entend souvent que l'e-mail est mort, mais il y a une très forte croissance de l'activité, notamment grâce au mobile puisqu'une partie importante des e-mails est ouverte via mobile ou tablette.

 

L'objectif est donc de vous développer fortement sur le mobile?

J.-B.R. Il ne faut plus opposer le mobile à l'ordinateur. Nous avons aujourd'hui un continuum d'écrans et il devient de plus en plus difficile de trancher sur ce qu'est un mobile. Une tablette est-elle plus mobile qu'un ordinateur portable? Les clients raisonnent multiécran, multicanal. Nous offrons une solution multiécran qui permet, à partir d'une seule interface, de toucher de manière automatisée l'ensemble des utilisateurs, peu importe le support qu'il utilise. Aujourd'hui, 80% de nos clients ont choisi cette offre, car il y a eu une véritable prise de conscience des annonceurs, même si certains n'ont encore pas d'application ou de site mobile ad hoc.

 

Le continuum d'écrans impose aussi le continuum de tracking. En êtes-vous capable aujourd'hui?

J.-B.R. La capacité à suivre les consommateurs sur les différents écrans qu'ils utilisent est une question qui devient brûlante. Nous voyons bien que dans le tunnel de conversion, ils commencent leur navigation sur un écran pour la finir sur un autre. Si vous n'êtes pas capable de les suivre, vous ne pouvez pas tracker correctement le ROI de vos investissements publicitaires, et cela signifie également que vous ne poussez probablement pas le bon contenu. Il faut donc qu'il y ait également un continuum de tracking «cross-device». C'est quelque chose que nous savons faire et dont nous sommes extrêmement fiers. Pour ceux qui n'y sont pas encore, avoir la capacité de reconnaître les utilisateurs sur plusieurs écrans va être un enjeu majeur des années à venir.

 

On parle beaucoup de pré-targeting, d'un marketing plus prédictif. Le moteur Criteo a-t-il évolué en ce sens?

J.-B.R. Les gens nous identifient encore sur le retargeting alors que nous couvrons l'ensemble du tunnel de conversion. Notre métier est de prédire une intention d'achat. Mais il y a plusieurs niveaux de prédiction. Un internaute a regardé une paire de chaussures, je pousse un article qui irait bien avec, comme une paire de chaussettes: c'est le plus basique. Ensuite, nous savons statistiquement que le consommateur achète certains produits ensemble, qui ne sont pas nécessairement de la même famille: la prédiction est déjà plus compliquée et nécessite de gros algorithmes. Le troisième volet, c'est la récurrence d'achat: il faut évaluer le cycle et prédire son prochain achat d'une paire de chaussures; puis être capable de réengager le consommateur. Mais si notre moteur évolue en permanence, notre compétence de la prédiction peut encore être plus fine, plus granulaire. Notre idée est de tout rassembler dans un outil décisionnel complet.

 

Le gouvernement a créé la French Tech et espère bien voir d'autres Criteo naître dans les prochaines années. Si vous aviez un conseil à donner aux start-up aujourd'hui, quel serait-il?

J.-B.R. La French Tech est un sujet qui me tient à cœur. Nous espérons que notre histoire sera une source d'inspiration pour d'autres et que le succès de Criteo en entraînera d'autres. Le milieu des entrepreneurs a tendance à beaucoup monter depuis quelques années, et ils raisonnent de manière plus globale, plus mondiale. Avant, il y avait une sorte de complexe vis-à-vis des Etats-Unis, et j'espère que le succès de Criteo leur a permis de se dire «yes we can». Le tout est de procéder par itération. Cela nécessite du temps de trouver le bon modèle économique aussi, mais il y a une chose à laquelle il faut penser assez tôt: s'entourer d'une équipe internationale.

 

 

 

Glossaire

Programmatique. Ce mot désigne l'achat automatisé d'espace publicitaire numérique grâce à l'utilisation d'algorithmes sophistiqués qui permettent de cibler des audiences très précises, le plus souvent en temps réel («real time bidding» ou RTB). On estime que le marché publicitaire programmatique devrait croître de 50% par an en moyenne jusqu'en 2017.

Retargeting. Le reciblage publicitaire consiste à afficher un message à un internaute qui a quitté un site marchand sans qu'il y ait eu l'achat ou la transformation espéré. Ce message personnalisé, vu comme une «relance», est le plus souvent utilisé pour la reconquête de prospects.

Pré-targeting. C'est une forme de marketing prédictif qui, après analyse du comportement de l'internaute, émet des prévisions sur ce qu'il pourrait avoir envie d'acheter afin de personnaliser les messages avec les articles susceptibles de l'intéresser.

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