Relations publics
Il a été élu CEO de la communication le plus apprécié en 2017 par l'institut d'étude américain Owler. Richard Edelman, président et CEO d'Eldeman, était présent à Paris, dans les locaux d'Elan Edelman. Stratégies l'a rencontré.

Quelles sont les principales conclusions du Trust Barometer 2018 ?

Richard Edelman. Nous l’avons présenté à Davos le 22 janvier dernier. Son premier enseignement est un retour à la parole des experts. Les années précédentes ont mis en avant des pairs, des personnes comme vous et moi, mais cette année, nous avons été frappés par la résurrection des experts. Parmi eux, les experts académiques, des experts technos, des journalistes ou encore des CEO. Le deuxième grand enseignement est que, si la confiance était historiquement liée à des facteurs économiques ou aux évènements (comme le 11 septembre ou Fukushima), cette année pour la première fois aux États-Unis, ces facteurs sont décorrélés… L’une des principales leçons est que le monde est maintenant polarisé... Si je suis un Américain de droite, je regarde la Fox et si je suis de gauche, MSNBC et lis le NY Times. Tout ce qui est au milieu de ces deux idéologies rétrécit au fur et à mesure que le monde se polarise. Ce clivage débouche sur une attention moins importante aux faits. Quand nous avons un débat dans le business, nous nous attachons aux faits (chiffre d’affaires etc.), mais parfois on ne peut pas être d’accord sur les faits, comme pour le changement climatique. Certains qui présentent le réchauffement climatique, preuve à l’appui, comme un fait, sont qualifiés de propagateurs de fake news. Dans ce cas, les fake news ne sont pas du domaine de l’erreur, mais de ce que vous pensez, d’une idéologie.

La confiance semble être au plus bas vis-à-vis des médias traditionnels…

Deux tiers des gens déclarent ne plus savoir faire la différence entre une fake news et un fait et une personne sur deux ne lit plus les médias mainstream. Ainsi, 61 % des Français ne lisent plus la presse. C’est une catastrophe ! Cela ne signifie pas qu’ils n’ont pas accès à l’information. Ils l’ont simplement différemment, que ce soit par les amis, les collègues, les vidéos. Ceux qui se documentent différemment ont tendance à voir les médias classiques comme complotistes, politisés, élitistes etc. Le plus grand écart se retrouve au Royaume-Uni avec 61 % de personnes qui suivent les médias mainstream et 24 %, les réseaux sociaux… Plusieurs affaires, comme la vague de désinformation après le tremblement de terre au Mexique en octobre 2017, mènent à une remise en cause de plus en plus forte des médias sociaux. Paradoxalement, à un moment où le scepticisme n’a jamais été aussi élevé, on peut s’attendre à une montée du bon journalisme…

Dans ce contexte, comment voyez-vous le rôle de votre firme de RP [relations publics]?

Le rôle des RP a toujours été d’insister sur une partie choisie de l’histoire afin de soutenir notre client. Aujourd’hui, cela va plus loin, on doit informer sur tous les aspects. Les bons comme les mauvais... Nous devons informer plutôt que défendre. Autre changement opéré dans l’industrie des RP : quand nous faisons une déclaration, nous devons montrer que nous bénéficions d’informations, et d’informations sourcées - un peu comme des notes de bas de page. Pourquoi est-ce important ? Car les infos vont souvent directement au consommateur… Les intermédiaires disparaissent peu à peu. C’est sur cela qu’a surfé Trump pour être élu. Il s’adresse directement aux gens, avec Twitter par exemple. En RP, le plus grand risque est d’être vu comme de la propagande, comme dans le fameux film Des hommes d'influence [1997, Barry Levinson], avec Al Pacino… Quelque part, nous sommes de plus en plus amenés à faire un travail de journaliste et c’est pour cela qu’il faut nous appliquer la rigueur la plus stricte. C’est finalement le sens de l’histoire. Nous devons nous situer davantage dans la clarté que dans la transparence.

Les RP sont-elles à un tournant ?

Le budget mondial de la com représente 46 à 50 milliards de dollars. Les RP représentent environ 6 % de ce total et notre argent vient principalement des CCO [chief communication officers]. Le futur pour nous est de grapiller dans chacun des trois domaines restants que sont la publicité, le digital et l’achat média. Nous voulons atteindre 12 à 15 % de l’écosystème global. C’est ainsi que nous pourrons grandir. Il faut que nous nous adressions plus au CMO [chief marketing officer], chose que nous n’avions pas l’habitude de faire. C’est pour cela que nous nous sommes repositionnés au-delà des RP.

Qu’est-ce que cela change dans vos recrutements ?

Dans nos différentes entités, les créatifs et planneurs représentent 9 % de notre staff et s’occupent de la partie RP mais aussi digitale. La partie RP est passée de 100 % à 65 % en cinq ans, cinq années de transition afin de déployer notre nouveau modèle. Pour cela, nous avons engagé 550 personnes sur les trois dernières années parmi lesquelles des créatifs et des planneurs. Il y a quatre ans nous n’avions par exemple personne à Cannes et en 2017, nous avons envoyé 70 personnes. Nous voulons être un leader créatif autant que stratégique. Historiquement, Edelman était une agence RP qui s’est appuyée sur la création publicitaire, je ne veux plus être ce type d’agence car le monde a changé. Les clients sont à la recherche d’idées, ils se fichent de savoir d’où elle vient. De manière générale, nous voyons l’« earned media » comme un nouvel Eldorado. Les idées qui naissent du « earned media » sont « friendly » pour la société et pour le buzz. Elles correspondent à un insight sociétal, cela provoque des échanges qui créée des marques conversationnelles. Finalement, on ne crée pas des campagnes mais des mouvements. Nos campagnes intègrent les besoins RP ou social média mais nous ne réfléchissons pas comme des publicitaires. Mais la collaboration entre des agences comme les nôtres et des enseignes de pub classiques peuvent être la solution, comme le lancement mondial d’Heineken que nous avons réalisé avec Publicis au Royaume-Uni. Publicis s’est occupé de la pub mais nous avons fait la campagne social média et RP. Nous voulons créer un nouveau modèle d’agence s’inspirant de ce qu'il se fait de mieux. Nous voulons prendre le meilleur de chacun pour inventer un nouveau modèle car notre secteur bouge énormément avec les cabinets de conseil comme Accenture ou Deloitte.

Vous sentez-vous menacé par ces géants du conseil ?

Je pense que c’est plus un problème pour Publicis que pour nous car nous ne sommes pas sur le business du digital comme eux peuvent l’être. Nous faisons du social community management, nous faisons du digital customer services, finalement, des choses dont un géant comme Accenture se moque bien car la potentialité de revenus n’est pas assez importante. Et les Accenture et autres E&Y ne chassent pas vraiment sur nos terres... Ils ont, certes, énormément d’argent néanmoins, je ne crois pas au rachat massif des agences de pub par ces acteurs. Ils risquent de nous concurrencer sur la partie digitale mais la majorité de notre business est à l’abri. Par ailleurs, en ce qui concerne l’arrivée de Google ou de Facebook sur la création, je pense que cela peut se faire mais très à la marge. Je ne m’inquiète pas de ça. Nous avons l’avantage d’être un business familial. Mon père Daniel, a fondé Eldelman il y a 66 ans et j’en suis CEO depuis 21 ans. Daniel Edelman était une force de la nature. L’idée de faire évoluer une compagnie en embauchant 550 personnes, comme je vous l’ai raconté, c’est énorme... J’y crois et nous le faisons ! Si nous appartenions à WPP, ce serait différent… La seule agence de RP qui ait emprunté une voie similaire à la nôtre est Weber Shandwick.

Vous avez inventé le concept de « communications marketing ». De quoi s’agit-il ?

Je pense que le marketing ne peut fonctionner sans la communication. On parlait traditionnellement de « Marketing communications ». En renversant le terme, on montre, à mon sens, à quel point les RP peuvent être un partenaire pour les départements marketing… Et à quel point les CCO et les CMO doivent travailler ensemble. Le terme de « Communications marketing » structure notre entreprise et notre vision depuis cinq ans.

Justement, quels sont vos projets pour les années à venir ?

Nous sommes présents dans 28 pays, 66 villes… Nous sommes assez gros pour nos ambitions, nous comptons désormais aller davantage en profondeur, en nous développant en France, en Allemagne, mais aussi en Chine, en Inde, au Japon… Nous souhaitons réaliser la moitié de notre CA en dehors des États-Unis d’ici à cinq ans (contre 40 % aujourd’hui).

Vous le rappeliez, votre père, Daniel Edelman, a fondé votre compagnie… Souhaitez-vous que vos enfants reprennent le flambeau ?

Oui, c’est mon rêve ! J’ai trois filles, l’une de 30 ans, qui travaille au bureau de San Francisco d’Edelman depuis six ans, une de 26 ans qui travaille pour nous à New York dans le digital. La dernière, 22 ans, est avocate. Je rêve qu’elles prennent ma succession, qu’elles soient « owners », « owners et operators » ou CEO… J’admire beaucoup, par exemple, des dynasties comme JCDecaux. Nous voulons rester une affaire de famille, garder notre liberté comme Mars, Sodexo… On verra.



 

1952 : Daniel Edelman, ex-journaliste, fonde l'enseigne de RP Edelman.

1954 : Naissance de Richard Edelman à Chicago. 

1978 : Après son MBA à Harvard, il rejoint Edelman.

2017 : Richard Edelman est élu CEO de la communication le plus apprécié par Owler. 

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