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Le mouvement actuel de féminisme oblige les agences à bannir du discours publicitaire les clichés sexistes et à revoir leur mode de gouvernance.

« Babette, je la lie, je la fouette et parfois elle passe à la casserole. » Personne n’a oublié l’accroche sortie, un beau matin du printemps 2000, sur des milliers de panneaux publicitaires par cette marque de crème fraîche. Comment imaginer qu’un annonceur prenne aujourd’hui le risque de heurter ainsi les consciences ? Et quel tollé ces visuels n’auraient-ils pas déclenché si Twitter avait existé ! Aujourd’hui, les stéréotypes sexistes n’ont pas disparu de la publicité, loin de là. Pour vendre la lunette astronomique de son client Cdiscount, l’agence Rosapark a récemment imaginé une campagne montrant le cerveau d'une femme dans lequel on pouvait lire « L’astronomie, c’est pas trop mon truc. Mais l’anatomie de mon voisin, oui… ».

Le stéréotype, un exercice classique

L’Association des agences conseil en communication (AACC) a pris le sujet des stéréotypes à bras-le-corps. « Le premier impact que l’on a en tant qu’agence est sur l’imaginaire collectif, estime Gildas Bonnel, président de la commission développement durable et patron de l’agence Sidièse. La façon dont on conçoit et dont on véhicule les représentations est un enjeu-clé. » Sur ce thème, l’AACC travaille en relation avec l’Union des annonceurs (UDA). Cette dernière vient justement de placer au centre de ses préoccupations la question des stéréotypes dans le cadre de son programme FAIRe, déjà signé par 28 grandes entreprises, comme Coca-Cola, Danone ou Renault.

« En lien avec le CSA, les associations de consommateurs ou féministes, on va construire des grilles de lecture qui vont permettre d’identifier les stéréotypes », indique Laura Boulet, directrice des affaires publiques, juridiques et éthiques de l’UDA. Les marques vont devoir se poser des questions toutes simples : qui vais-je représenter comme expert dans mes campagnes, qui vais-je montrer dans l’univers domestique, qui vais-je mettre au volant de ma voiture ? L’idée est d’arriver, en 2020, à bannir ces stéréotypes d’habitude.

Mais le travail est moins facile qu’il n’y paraît. « Le stéréotype, en publicité, c’est l’exercice classique, reconnaît Stéphane Martin, directeur général de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP). Pour être compris immédiatement, on simplifie forcément les représentations. »

Rases campagnes

Ces clichés ne sont pas toujours sexistes, mais ils peuvent l’être. L’an dernier, une majorité des plaintes reçues à l’ARPP avaient trait à cette question. Deux campagnes ont décroché le pompon : celle de la ville de Béziers en faveur de la ligne à grande vitesse (LGV), qui montrait une femme ligotée sur des rails assortie de l’accroche « Avec le TGV, elle aurait moins souffert » (1 400 plaintes), et la campagne d’Yves Saint Laurent et ses mannequins aux jambes écartées (220 plaintes). « L’attention portée à l’image de la femme n’est pas nouvelle », ajoute Stéphane Martin, qui rappelle que la première version de la recommandation sur l’image et le respect de la personne remonte à 1975. Le terme de sexisme, toutefois, n’y a été intégré explicitement qu’en 2016.

Sur le plan de la gouvernance, le modèle d’agence à l’ancienne, avec un mode de management autoritaire et masculin, est aujourd'hui battu en brèche. Les questions de l’égalité salariale et de l’accession des femmes aux postes à responsabilité sont devenues cruciales. Au sein du groupe Omnicom, qui totalise 3 000 employés en France, 55 % sont des femmes mais celles-ci ne comptent que pour 30 % dans les postes de managers, pointe Valérie Accary, présidente de l’agence BBDO. D'où l'idée d'importer un mouvement né en 2014 aux États-Unis au sein de son groupe de communication, Omniwomen.

Un programme de mentorat

« Le but, c’est de permettre à davantage de femmes de devenir leaders », explique la dirigeante. En avril 2017, une journée avait été organisée au cours de laquelle des femmes de différents horizons avaient témoigné. Le 8 mars prochain, Omnicom va s’engager dans un nouveau programme inédit de mentorat. « Chaque directeur général a la possibilité de monitorer des plus jeunes, de les aider à sortir de leur zone de confort et les pousser à accéder à un poste de leader », explique Corinne Abitbol, directrice générale des études d’OMG et qui sera l’un de ces mentors.

Parfois, les femmes ne doivent pas tant se battre contre les autres que contre elles-mêmes, comme le souligne Delphine Drutel, directrice générale de Rosapark. « Moi aussi, j’avais des idées préconçues sur le fait qu’il était difficile de prendre des responsabilités et de rester épanouie sur le plan personnel, admet-elle. Je me disais, si je suis DG, je vais y laisser mon équilibre, et il y a encore pas mal de filles aujourd’hui qui ont ces idées-là. » Même discours chez Elisabeth Billiemaz, présidente d’Humanseven (Havas), pour qui « il faut donner confiance aux femmes qui ont la capacité de prendre des jobs à responsabilité mais qui, parfois, hésitent pour des questions de gestion de leur temps ou à cause de doutes qu’elles ont sur leur capacité à faire le même travail qu’un homme. »

Parer les inégalités salariales

Dans le domaine des inégalités salariales, certaines structures ont trouvé la parade, comme Biborg, une agence de création digitale d’une cinquantaine de personnes, dont 30 % de femmes. « Quand on recrute quelqu’un, on n’attend plus de savoir quel salaire le candidat va demander en espérant profiter d’une bonne affaire, mais on l’annonce à l’avance, explique Bruno Luriot, son président. Cela permet à tous les candidats d’être traités de façon équitable et cela apporte de la transparence en interne. »

Le sujet reste sensible. L’AACC s’en est aussi emparée, avec une étude qui fournit à ses adhérents des indicateurs pour évaluer les inégalités salariales et un label RSE qui sera bientôt attribué aux bons élèves. « Les valeurs féminines ont changé le management, résume Elisabeth Billiemaz. On est désormais dans un modèle moins descendant, plus horizontal, dans la cocréation ; c’est ça qui est féminin et qui fait évoluer des entreprises, qui étaient bâties jusque-là sur des modèles autoritaires et très masculins. » Reste un effort à faire pour conquérir le dernier bastion des « mâles », la direction de création, où les femmes sont encore rarissimes.

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