Communication
Sur un marché en révolution permanente, les agences digitales voient leurs outils, leur organisation et leur mode de fonctionnement constamment remis en question. Challengées sur le ROI, sommées de partager l’affiche avec (beaucoup) d’autres, elles se cherchent un nouveau modèle.

Le marché des agences digitales a les défauts de ses qualités : extrêmement dynamique du fait de la digitalisation de la société, des entreprises et de leur communication, il a permis aux structures du secteur de se développer à un rythme soutenu, avec une croissance souvent à deux chiffres. Mais en tant que nouvel eldorado, il est devenu le terrain de chasse de nombreux acteurs : « Entre les agences de communication traditionnelles se diversifiant vers le social media, les nouveaux médias de type Vice, BuzzFeed ou Brut, qui produisent leurs contenus et inventent de nouveaux codes, les influenceurs (structurés ou pas en agence), les annonceurs qui favorisent la dés-intermédiation et les acteurs de la tech qui évoluent vers le conseil, l’espace des agences est plus qu’encombré », observe Sandrine Plasseraud, présidente de We Are Social. Une configuration liée à l’ADN du marché, historiquement investi et développé par des ingénieurs dont l’expertise technologique échappait alors complètement aux communicants, faisant du digital une niche, une spécialité en soi ! Près de quinze ans plus tard, le sujet s’est démocratisé, tout en poursuivant une mutation permanente au gré des nouveaux usages et des nouvelles technologies, fragmentant le métier en une multitude de sous-spécialités. 

Des exigences à la hausse

Ce qui n’est pas sans poser quelques problèmes. Car s’il est clair que la demande des annonceurs s’oriente vers plus de simplicité dans leur relation avec les agences, l’exigence à l’égard de ces dernières en expertises de pointe est de plus en plus forte. Exemple : « Les annonceurs nous demandent aujourd’hui d’être force de proposition sur des problématiques ROIstes de génération de business et de mesure de la performance », explique Édouard de Pouzilhac, président de 5ème Gauche. L’agence a également changé sa façon de travailler :« Nous faisons davantage participer les clients à la réflexion et à la création de solutions. Ils nous demandent d’aller chez eux et nous avons des plateaux réservés pour qu’ils puissent travailler chez nous. » Une pratique de plus en plus répandue, empruntée aux cabinets de consulting. Elle confirme que le business model d’agence doit évoluer pour répondre à la nouvelle demande du marché en structures agiles et capables de résoudre les problématiques de marque, quelles qu’elles soient, seules ou au sein d’un écosystème de partenaires (free-lances, agences, éditeurs…). 

Des structures dont la taille et l’origine importent finalement peu aux yeux de l’annonceur, pourvu qu’elles collaborent en bonne intelligence : « Nous travaillons en partenariat avec les marques et les autres agences, confirme Édith Chapin, directrice de clientèle au sein de l’agence DareWin. C’est le client qui choisit, s’il considère que son agence lead n’est pas assez pointue sur un thème, et personne n’a intérêt à ne pas jouer le jeu. » Ce que confirme Brice Vinocour, responsable marketing France de Facebook : « Nous travaillons avec tous les acteurs de l’écosystème des agences – créa et média notamment – et avec les sociétés d’étude comme GFK et Médiamétrie. L’objectif est de nourrir les agences en insights, en bonnes pratiques et en retours d’expérience pour les aider à créer avec leurs clients les campagnes les plus impactantes et pertinentes possibles sur Facebook, Instagram et Messenger. »

Un modèle collaboratif pour lequel les grands groupes ont dû abandonner leur stratégie de « one stop shop » : « Notre rôle n’est pas de tout intégrer, mais de mettre en musique toutes les solutions et expertises nécessaires pour faciliter l’expérience client, explique Stéphane Gazzo, directeur général de Tribal Paris (groupe DDB). Certaines sont faciles à développer en interne, comme les bots, le voice marketing, etc. Pour d’autres, comme les DMP, nous nous appuyons sur le marché. » Illustrant une tendance sociétale qui dépasse très largement le cadre des agences, ce modèle repose sur l’idée, simple, que l’on ne peut pas tout faire tout seul… 

Plutôt hybride que généraliste ou spécialiste

Faute de pouvoir intégrer toutes les compétences, certains ont développé une nouvelle forme d’organisation, s’appuyant principalement sur l’extérieur. C’est le cas de Nicolas Czorny avec Small is Bigger : « L’agence s’inscrit dans une logique de petite équipe interne (Small) pour piloter des projets pour lesquels elle va mobiliser et orchestrer tous les talents extérieurs nécessaires (Bigger). La question n’est plus d’être généraliste ou spécialiste, il faut surtout être hybride. » Pour mettre en pratique cette approche, l’agence a cartographié plus de 350 profils free-lance ou micro-agences avec de vraies expertises et avec lesquels elle entretient une relation soutenue. « Nous les sollicitons quand nous en avons besoin, poursuit Nicolas Czorny. Nous ne gagnons pas plus d’argent que les autres, mais en adaptant nos frais de structure, nous ne pouvons pas passer dans le rouge. » 

Là où beaucoup cherchent à se différencier par leurs compétences de généralistes ou d’hyperspécialistes, l’agence veut se distinguer par son organisation, qui n’est pas sans rappeler celle des agences de communication événementielle. « Sans être des ultra-spécialistes, nous mettons en avant des spécialités pour lesquelles nous souhaitons garder une maîtrise d’œuvre, ajoute Julien Cocquerel, cofondateur de Castor & Pollux. Nous évaluons le caractère plus ou moins indispensable de chacune (data, SEO, 3D, etc.) et intégrons celles qui présentent un vrai potentiel. » Elles viennent enrichir un socle commun d’expertises au-delà duquel l’agence fait appel à l’externe pour constituer sa dream team.

L’exception du luxe

Finalement, seul le luxe, parce qu’il entretient historiquement des relations très étroites avec ses partenaires, fait quelque peu figure d’exception en essayant d’intégrer dès que possible les compétences nécessaires pour se poser en multispécialiste : « Nous devons faire des propositions de valeur sur tous les canaux du digital, explique Cyril Marin Le Quellec, directeur général adjoint de l’agence Mazarine Digital. À l’exception de quelques compétences, nous produisons tout en interne en intégrant les talents, qu’il s’agisse d’une personne ou d’une structure, comme nous l’avions fait avec You to You [agence de social media et marketing viral]. La technologie reste donc au cœur de notre stratégie de moyens, mais elle n’est pas la valeur la plus différenciante. Elle est au service de l’idée. »

Passé ce cas particulier, la pratique consistant à se positionner en chef d’orchestre de talents digitaux majoritairement externes est en passe de devenir le modèle de référence. Une pratique inhérente au marché de la communication digitale, atomisé en une multitude d’acteurs spécialistes, dont la motivation n’est pas de devenir les nouveaux poids lourds de la com. « Contrairement à d’autres, la croissance n’est pas forcément un but pour les agences digitales, souligne Sandrine Plasseraud de We Are Social. D’abord, parce que les clients apprécient les structures agiles. Ensuite, parce qu’on peut faire beaucoup plus de marge ainsi ! »

Grégory Pascal, président de l’AACC Digital et président de Sensio : « Il faut repenser notre organisation » 



 

  Y a-t-il une tendance à l’hyperspécialisation ?Non. Il faut comprendre que le marché du digital dépasse largement le champ des seules agences. On y trouve donc des acteurs périphériques capables d’apporter une réponse très spécifique. Les agences leaders ne s’orientent pas dans cette direction, mais l’axe est pertinent pour une entreprise qui souhaite entrer et percer sur le marché. Elle prend un angle, se développe, puis se généralise, pour devenir ce que nous sommes tous : des prestataires de service aidant leurs clients à défendre ou développer leur core business.

Avec quelle incidence sur l’organisation ?Le fait que le marché ait besoin d’hyperspécialistes nous oblige à repenser notre organisation, à reconsidérer la façon dont nous travaillons, car nous ne parlons pas tous le même langage. Nous devons être les chefs d’orchestre de talents digitaux, ce qui pose un nouveau défi : le sourcing de talents et leur gestion, car leur mode de fonctionnement a changé.

C’est-à-dire ?L’approche à l’ancienne, où tout le monde arrive à l’agence à 9 heures à Paris, c’est fini. On a des développeurs qui habitent Lille ou Marseille et qui n’ont pas du tout envie de suivre le mouvement. Nous devons intégrer cela dans nos process pour réussir à les former sur nos outils, développer avec eux des programmes d’apprentissage, de partage d’expérience, aménager des moments de rencontre qui sont devenus aussi importants que le revenu.

 

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