Conseil
La création d’une association professionnelle remet sur le devant de la scène un métier encore méconnu et au statut fragile. Une annonce importante à l’heure où les agences doivent réaffirmer leur rôle de conseil.

La nouvelle n’a fait que des heureux. L’annonce il y a quelques semaines (lire Stratégies n°1940-1941) de la création du Collectif du planning stratégique à l’initiative de Sébastien Genty, directeur général de DDB Paris en charge du planning, ravit ses collègues. « Je suis enchanté parce que c’est un serpent de mer dont on parle depuis quinze ans. Il est nécessaire d’avoir des occasions de se rencontrer, d’avoir des échanges et des retours d’expérience, et dans ce domaine, nous étions très en retard par rapport aux créatifs », souligne Nicolas Lévy, managing partner et directeur des stratégies de Marcel. « C’est une très bonne initiative, surtout si elle peut aider à la visibilité et à la lisibilité d’un métier dont on donne parfois des définitions farfelues », estime Luc Wise, chief strategic transformation officer du groupe Publicis. « C’est important pour sortir un métier de l’ombre exercé par des gens plutôt modestes. Sans chercher à tout prix une reconnaissance, cela pourra montrer qu’une bonne création vient aussi d’une bonne réflexion au départ », analyse Deborah Marino, directrice générale adjointe de Publicis 133 en charge du planning stratégique. Ou, comme le dit Renaud Berthe, directeur général adjoint en charge des stratégies de La Chose, de montrer que « sans les créatifs, on n’est rien, mais que l’inverse est vrai aussi. » « On n’est peut-être pas le cœur du réacteur, mais le combustible qui l’alimente, et c’est intéressant de valoriser notre rôle, c’est une manière de dire au marché que c’est un métier central », relève cet ancien de Buzzman.

Primer les démarches

Fondé par une dizaine de planneurs (1), le Collectif du planning stratégique s’est donné pour premier objectif l’organisation d’un prix qui couronnera les meilleures stratégies. Il devrait être remis en mars prochain. Les souscriptions auront lieu entre septembre et décembre, avec deux sessions de jury en janvier et février. « Il ne s’agit pas de célébration d’egos, mais de primer des démarches. Ce ne sont pas les planneurs qui m’intéressent mais le planning, et si les cas sont défendus par des commerciaux ou des créatifs, ce ne sera pas un problème », précise Sébastien Genty. À la clé, pour les vainqueurs, non pas des Lions mais des « pépites », en or, en argent et en bronze, un nom qui illustre la valeur de l’idée, la part de chance nécessaire dans le processus et le fait que l’objet final reste entre les mains des créatifs.

Xavier Charpentier, qui dirige la société d’études FreeThinking, avait tenté, lui aussi, de monter une telle structure il y a une quinzaine d’années. L’idée, sur le modèle de l’association britannique Account Planning Group (APG), n’avait pas vraiment pris. « Créer un prix, c’est intéressant, c’est toujours quelque chose qui fonctionne, estime cet ancien planneur de Publicis. Mais il faut aussi une production d’intelligence. C’est intéressant s’il y a une réflexion. C’est le cas de l’APG qui, au-delà des awards, a toujours pris en compte des histoires de communication et de marketing qui font avancer le métier et permettent de prendre du recul. » Selon Xavier Charpentier, le collectif a plus de chances de réussir aujourd’hui. « Le problème que nous avions rencontré était celui de la taille critique de la communauté de planneurs sur la place de Paris, estime-t-il. Il y avait déjà des planneurs dans la publicité ou le design, mais pas suffisamment pour participer et produire et pour que ça prenne dans la durée. » Un écueil écarté, d’autant que le club a une vocation nationale et que bon nombre d’agences en région sont équipées de service de planning stratégique.

Planning vs consulting

Bonne nouvelle pour les planneurs, la création de ce collectif l’est tout autant pour la profession à l’heure où la concurrence n’a jamais été aussi vive et protéiforme, notamment celle du consulting. « Même si, personnellement, je n’ai encore jamais répondu à des appels d’offres face à des cabinets de conseil, un planning fort va permettre de nous mettre sur un pied d’égalité avec ces structures, espère Nicolas Levy. Aujourd’hui, on ne peut plus se contenter de faire illusion, il faut une vraie compréhension des enjeux business pour remporter le morceau. » De même, pour Luc Wise, « conseiller une marque sur sa stratégie n’a jamais été aussi important que dans une telle période de disruption et de transformation. Qui va gagner cette bataille ? Les planneurs ont un rôle fondamental à jouer. » Pour Guillaume Martin, head of strategy de BETC, les agences ont un avantage sur les cabinets de conseil, « la culture de la marque » : « Bien sûr, on doit tous maîtriser la data, la stratégie d’entreprise. Mais les agences gardent l’avantage parce qu’elles ont en plus une compréhension de la marque – tout en ayant aussi accès à un haut niveau d’interlocuteur chez les clients ». Comme le dit aussi Xavier Charpentier, « ce qui reste au planning et aux agences, c’est le sens des gens. Nous avons le sens du bon langage pour leur parler et des professionnels qui ont un goût et un talent pour cela. À un moment où les cibles se multiplient et se fragmentent en communautés, c’est vital de se repérer et de trouver le bon langage ».

Un rôle d'accélérateur

Pour Nicolas Lévy, les agences de publicité nagent aujourd’hui en plein paradoxe : « On est, certes, challengés, mais on ne nous a jamais demandé autant de choses en si peu de temps et avec si peu de moyens, de l’accompagnement marketing, de la transformation créative, de la publicité, du digital… Aujourd’hui, il faut savoir tout faire, vite et pas trop cher, et c’est là que le planning a un rôle d’accélérateur à jouer car il est capable de faire remonter les problématiques au client, d’aborder les sujets d’un point de vue business, d’angler des briefs, et de se faire l’avocat du digital et de la transformation. » En somme, selon lui, « muscler son planning » reviendrait à « muscler sa capacité à devenir l’agence rêvée pour les clients ». Avec un autre enjeu, interne cette fois, que met en exergue Séverine Bavon, planneuse stratégique senior chez Marcel où elle est responsable de l’offre « experience design ». « Le planneur de demain doit se préparer à avoir beaucoup plus de facettes qu’hier, avec un point central : son rôle est d’accompagner la stratégie des clients mais aussi celle de l’agence, en impulsant la transformation et le changement en interne. »

Même s’il considère qu’aujourd’hui, « un planneur doit tous les jours faire la preuve de son utilité », Sébastien Genty veut rester résolument positif. « Notre métier n’est pas menacé, au contraire. Ce sont des profils recherchés aujourd’hui jusque chez les annonceurs, souligne-t-il. Et il est sain de se mettre dans une posture qui consiste à se demander à chaque fois si l’on a apporté une idée ou un point de vue. » Pour lui, entre les deux fonctions clés de commercial et de créatif, il reste de la place pour grandir. Mais Deborah Marino remarque toutefois que le modèle publicitaire français fragilise le métier. « En France, le planning est parfois plus un centre de coûts qu’un centre de profits. On ne sait pas toujours si bien le vendre sur le marché. Pour preuve, lors d’une compétition, la stratégie est offerte, pas la création », pointe la planneuse. Selon elle, « dans le modèle français, les commerciaux sont des bacs +5 qui sortent des grandes écoles et sont plutôt bons en stratégie. Ils peuvent gérer à la fois le commercial et la stratégie. » Enseignante au Celsa et à Sciences Po, les deux formations reines pour intégrer cette filière, elle redoute que « l’on forme davantage de gens qu’il n’y a de places sur le marché. Cela reste un métier rare en agences. Pour y faire son trou, il faut bien souvent en dégommer un autre ». Et se montrer d'autant plus stratège ?

Un métier toujours en quête de définition

« Quand j’étais étudiant, mon professeur de marketing confondait planning stratégique et médiaplanning. On a fait un peu de chemin depuis… ». Guillaume Martin n’a pas tort, mais le métier reste pourtant méconnu. Il est né en Grande-Bretagne dans les années 60, rappelle Luc Wise, à l’initiative de Stanley Pollitt et Stephen King, « deux publicitaires partis de l’intuition que dans le processus de création d’une campagne, le commercial portait la voix de la marque et le créatif celle de la profession, mais qu’il manquait celle du consommateur. » Sébastien Genty résume aujourd’hui « la feuille de route » du planneur : « Se concentrer sur l’efficacité en se demandant ce qu’il produit et à quoi sert ce qu’il fait, faire entrer le consommateur dans la salle de réunion en trouvant les bons insights, et se torturer les méninges sur la façon dont peut fonctionner une communication ». « Il y a autant de définitions du métier que de gens qui le font », reconnaît cependant Renaud Berthe. Chez les annonceurs, où le métier a essaimé, il se focalise davantage sur la partie études que sur l’aspect opérationnel et créatif. La donne se complique encore avec l’émergence du social listening ou de la data et l’apparition de disciplines comme « l’engagement planning » qui, selon Guillaume Martin, « cherche à connecter la marque à ses utilisateurs tout au long du parcours, en identifiant les bons points de contact ».

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