L'actu vue par...
Gilles Deléris, fondateur et directeur de la création de W, nous fait part de son éclairage sur l'actualité de la semaine.

Benetton recrée la polémique. Le scandale dans la publicité, une bonne recette?

Non. Je ne crois plus. C’est une vieille idée. Les marques ne se construisent pas sur des coups et des feux de paille. Les consommateurs sont aussi des citoyens. S’ils souhaitent que les marques s’engagent dans des démarches vertueuses, qu’elles puissent, le cas échéant, prendre une part positive à des problématiques sociétales, ils détestent en revanche l’ambiguïté. Benetton, par exemple, est un cas complexe. Il y a dans son histoire des scandales qui témoignent d’une évolution sociétale et d’autres qui prennent en otage nos émotions et instrumentalisent le politique. D’une manière générale, la ligne de crête entre l’impératif d’impact et le dérapage obscène est étroite. Une bonne création respecte l’intelligence des publics sans flatter les instincts les plus vils. La provocation est souvent une paresse créative.

 

Le patron d’Audi envoyé en prison après le Diesel Gate

26 milliards de provisions pour faire face à la situation, c’est dire que c’est une affaire sérieuse. Je ne suis pas dans le secret des petits arrangements entre amis. S'il est avéré que Rupert Stadler était au courant, cela relève de l’escroquerie. On va en prison pour bien moins que ça… Ce qui est vrai au niveau industriel doit aussi l’être au niveau de la communication. On ne peut plus dire et faire n’importe quoi au nom du profit. Il en va de notre responsabilité, agences et annonceurs, de prendre la mesure de ces attentes. À nous d’écrire, avec nos clients, une belle histoire, utile, soutenue par des preuves tangibles. Plus que jamais, nous nous devons de concilier l’émotion et la raison.

 

La communication de Trump basée sur le scandale : dernier exemple en date, les enfants migrants séparés de leurs parents à la frontière mexicaine

Je retiens de cette histoire que les retours suscités par cette initiative ont fait plier Trump. C’est la communication contre ce scandale qui a mis un terme (relatif) au scandale lui-même. Mais il faut garder en tête que ce qui est scandaleux pour nous ne l’est pas pour les électeurs du président américain. Du reste, tout se passe comme si la moitié du pays avait décidé de se passer du filtre culturel de son surmoi et se satisfait de contre-vérités, d'essentialisation et de logiques de boucs émissaires. C’est terrifiant. Plus que jamais, dans la «Société du spectacle» [conceptualisée par Guy Debord], «le vrai est un moment du faux».

 

Les 20 ans de W

W, c’est l’histoire d’une rencontre qui commence mal avec Denis Gancel, mon associé. Une splendide engueulade sur l’un de nos premiers clients communs chez BDDP. Sept ans plus tard, je l’ai entendu me dire : « Saute dans le vide, je m’occupe du reste ». C’est la plus belle phrase qu’un créatif puisse entendre. J’ai plongé. On a décidé de croiser nos destins et de créer une agence autour d’une idée simple : pour accompagner la transformation des marques, il faut hybrider les compétences et supprimer les silos entre disciplines. Il faut réunir dans un même élan la stratégie et la création, et des métiers qui ne se parlent pas - le design et les contenus - avec un très haut niveau d’exigence. Dès l’origine, nous avons été récompensés dans chacun de nos métiers pour la qualité de nos réponses. Pour les vingt prochaines années, celles qui nous intéressent, 200 personnes partagent ces convictions à nos côtés. On a construit une belle équipe où cohabitent des designers, des publicitaires, des architectes, des stratèges et des équipes de production pointues. C’est un projet qui s’inscrit dans la durée. Nous sommes calibrés pour tenir le cap et nous développer, notamment à l’international avec La Maison W, présente à Montréal. D’autres implantations suivront.

 

La sortie de votre livre écrit avec Denis Gancel à la rentrée prochaine

Il s’intitule Dess[e]ins croisés et sortira en septembre prochain aux Éditions Loco, l’éditeur avec qui nous avions publié Ecce Logo en 2012. C’est un recueil de tribunes, de chroniques ou de coups de gueule que Denis et moi avons publiées. Il se trouve que nous enseignons, comme pas mal de gens de l’agence. Cela nous semble important de prendre le temps d’analyser et de comprendre ce pourquoi nous nous engageons chaque jour. Nos métiers se complexifient. Nous en donnons nos clés de lecture. C’est du reste l’esprit de l’École de la Marque que nous avons lancée début 2018. Mais nous avons souhaité, en plus, créer un objet. C’est une sorte de mariage improbable entre un essai et un fanzine sophistiqué, un exercice graphique et typographique qui joue sans cesse du rapport texte-image. J’espère qu’il dégage une belle énergie. C’est en tout cas celle qui nous anime.

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