Création
Pour fêter ses 50 bougies, le Club des directeurs artistiques s’offre un lifting en renouvelant sa plateforme digitale tout comme l’architecture de ses catégories. Entretien à bâtons rompus avec son actuelle présidente, Marie-Catherine Dupuy, qui considère que la défense de la créativité passe par l’humain.

Pourquoi une nouvelle plateforme digitale ?

Le club représente avant tout un collectif créé en 1968 dans un foisonnement d’idées. Depuis, les métiers liés aux arts appliqués ont quelque peu changé et les modes aussi, la dernière identité du club datait d’il y a dix ans. Mais avec les 50 ans du club, nous avons souhaité rendre compte de la diversité de ces métiers en lançant une nouvelle plateforme digitale. Avec l’aide de 84.Paris pour le repositionnement du site et Sid Lee avec les studios Jumbo pour l’identité visuelle, cette nouvelle plateforme s’articule autour de trois piliers : préserver nos 20 000 archives en plus des livres retraçant les 50 ans du club, mettre à l’honneur tous les talents et inspirer les nouvelles générations. Notre plateforme digitale se veut comme une sorte de média avec énormément de matières exploitables. Nous avons de petits moyens mais de grandes ambitions. Plus tard, j’aimerais arriver à regrouper les informations fondamentales sur tous ces métiers qui sont aussi des métiers de crafteurs. C’est l’année 1 du futur club.



En quoi l’historique du club influe-t-il sur le présent ?

Le club a fait partie des pionniers en termes de nouvelles expressions artistiques, en témoigne l’intégration des clips dès 1999. Et lorsqu’on examine la liste des 18 présidents qui se sont succédé en cinquante ans, tous les grands ont été présidents : Philippe Michel, Benoît Devarrieux, Pierre Berville, Rémi Babinet, Olivier Altmann, Gabriel Gaultier… Ce qui prouve que ça attire du beau monde. Le revers de la médaille, c’est qu’il y a eu seulement deux présidentes : Anny-Claude Lemeunier il y a très longtemps et moi-même. Mais c’est une problématique plus large, inhérente au secteur. Le plafond de verre, il est là. C’est un métier machiste mais les femmes aussi se mettent des limites car la création est un grand sacrifice, notamment sur le plan de la vie privée. Cela rime avec beaucoup de travail, tirer un trait sur les week-ends… Ou alors il faut être très organisée et dormir peu. À notre échelle, nous essayons depuis longtemps d’équilibrer les jurys. L’idée était même d’avoir uniquement des présidentes de jurys femmes primées. Mais c’est quasiment impossible.

 

Quelles sont les tendances créatives qui se démarquent cette année ?

Si l'on parle de tendance comme on en parlait il y a trente ou quarante ans, cela n’existe plus. Tout est tellement protéiforme que trouver ce que l’on appelle des « Big Ideas » devient difficile. Elles sont de plus en plus remises en cause par la complexité du métier, la data… La place du craft se pose aussi car il commence à prendre une place prépondérante dans le monde de la création. Prenez « L’Ours », le film de Leo Burnett, le mec est prêt à tout pour aller chercher son poisson. C’est un vieux film mais l’exécution est géniale. C’est là où le craft peut rattraper une idée, alors qu’une idée peut être massacrée par une mauvaise exécution. Cela ne tient qu’à un fil : un mauvais comédien, une voix-off un peu ringarde, une bande-son pas forcément adéquate… On peut se demander s’il va continuer à s’imposer et si le jugement de valeur se fera uniquement sur le craft.



Quel regard portez-vous sur l’évolution du métier de directeur artistique, notamment avec l’arrivée du digital ?

Je reprends souvent cette phrase de Victor Hugo : « La forme, c’est le fond qui remonte à la surface ». Le Club a été l’initiateur de beaucoup d’avancées concernant les jeunes talents, notamment avec le concours étudiants ouvert depuis 2002, les juniors à Cannes… Il est vrai que les formats ont changé avec le digital, les directeurs artistiques expérimentés se sont adaptés tandis que les plus jeunes ont été formés. Quand on voit des opérations comme le « Soldat inconnu » (FF Paris) ou « Dagoma » (TBWA/Paris), sur le plan du craft, ils se sont vraiment améliorés. Mais le métier en tant que tel n’a pas changé.

 

Quelles sont les spécificités du Club des DA ?

C’est très clair, nous nous fondons sur trois grandes questions. L’idée est-elle innovante ? Est-elle bien exécutée ? Et apporte-t-elle quelque chose par rapport à son marché ? Mais nous ne sommes pas là pour regarder les résultats qu’elle génère.



Par rapport aux D&AD anglais ?

En plus de la catégorie « typographie » qui donne une visibilité à 360° des métiers, il y a toute la partie design au club qui est très récente contrairement aux D&AD. Leur ADN, c’était d’abord le design pour ensuite intégrer la publicité. Le Club des DA a choisi de faire le chemin inverse.



De nombreux prix existent dans le domaine de la création, qu’est-ce qui permet au Club des DA de garder sa légitimité ?

Le club est composé d’une communauté de créateurs et donne à voir un panorama de la création française au sein de tous les métiers. Le collectif s’engage pour une défense des métiers artistiques et culturels plus que pour les prix en eux-mêmes. Heureusement, les créateurs français n’ont aucun complexe à avoir par rapport aux Américains et aux Anglais. Cette affirmation est également valable pour l’animation, le son, les effets spéciaux, les clips… Nous sommes un club en constante évolution. D’ailleurs, cette année, par l’intermédiaire d’Elsa Rakotoson (CEO de Frenzy Paris), membre depuis trois ans au club, nous avons intégré une nouveauté : les clips de mode. Il y a une vraie explosion de la demande chez les marques car cela reste de la création de contenu. Pour la production française, le clip est l’équivalent de la branche recherche et développement, cela ne leur rapporte pas un rond mais c’est là où ils expérimentent les nouveaux talents.

 

Combien de catégories compte désormais le palmarès annuel du club ?

Vingt, en plus du prix annonceurs et du créatif de l’année. En tout, cette année, on a enregistré 1883 inscriptions, soit 25 % de plus par rapport à l’année dernière. C’est un record. En particulier dans la catégorie Film où nous avons enregistré le double d’inscriptions. C’est simple, rien ne nous a échappé cette année, on a tous les grands films, ce qui n’était pas forcément le cas les années précédentes. C’est très important pour permettre à nos prix de garder une crédibilité certaine.

 

Quel regard portez-vous sur la tendance actuelle des films publicitaires long format, dans le sillage de ce que peut notamment faire Intermarché ?

Il me semble un peu abusif de généraliser cette orientation car la majorité des annonceurs n’y ont pas recours. Mais il est vrai que c’est une façon de se démarquer, qui s’inspire entre autres de ce qui se fait chaque année lors du Superbowl.



Quid de la mode actuelle des grandes causes ?

Les grandes causes étaient représentées dans chaque catégorie mais nous avons fait le choix d’en faire une catégorie à part entière pour la première fois cette année avec trois sous-catégories spécifiques (RSE, associations et organismes d’État). Et ce, pour deux raisons. D’une part, la suspicion qui peut entourer ce qui s’apparente de plus en plus à une course aux prix. D’autre part, c’est devenu une demande récurrente et une tendance lourde du côté des annonceurs, qui cherchent tous à s’appuyer sur des valeurs sociétales ou environnementales. À Cannes, le palmarès, ce n’est pratiquement plus que des grandes causes. Regardez Lacoste et son opération « Save our species », cela prouve qu’on peut conjuguer prix et image.



Comment faire pour conserver son rang dans un contexte de multiplication des palmarès créatifs et donc de concurrence exacerbée ?

Cette crédibilité repose sur la qualité des jurys, la qualité de la sélection et la représentativité de tous les métiers. Il n’y a pas d’annonceurs et de journalistes dans les jurys. Ce sont des professionnels des arts appliqués qui jugent des professionnels. Par ailleurs, cela coûte cher aux agences. C’est la raison pour laquelle certains awards sont plus prestigieux que d’autres. Après, cela dépend aussi du profil des agences, il existe aussi des prix qui intéressent plus les commerciaux que les créatifs. Bien sûr qu’il y a trop de prix. Il y a en réalité plusieurs logiques qui se côtoient. Les réseaux internationaux ont besoin de reconnaissance pays par pays. On note également une montée en puissance de l’Asie et notamment du Japon dans ce domaine.



Protéger ces métiers, n’est-ce pas aussi lutter vis-à-vis de l’intelligence artificielle et de la facilité à confier la création à la machine ?

Plus la data prendra d’importance - et ce sera le cas -, plus il faudra défendre le bastion créatif. Le talent a une âme et c’est extrêmement fragile. L’inspiration tient parfois - et même souvent - à rien. Certes, les algorithmes permettront toujours de faire quelque chose de correct, mais le grand talent reste résolument humain ! La direction de la création, c’est un état d’esprit.

Le Club des DA en 10 dates-clés

1968. Création du Club.

1970. Parution du premier Livre du Club.

1976. Édition de l’annuaire des photographes et des illustrateurs, prémices de ce que sera le Book.

1989. Création à l’initiative du Club de l’ADCE, club européen.

1990. Le Club organise les journées au Festival de Cannes pour les juniors.

1999. Création des catégories Sites Internet et Clips.

2002. Création du Prix Étudiants.

2005. Opération « Les 105 annonces qui ont marqué la presse quotidienne ».

2010. Création du Prix de l’Annonceur de l’Année.

2014. Le Club s’installe aux Rencontres photographiques d’Arles.

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