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À l'occasion de son numéro 2000, Stratégies a demandé au jury du Grand Prix de la Publicité 2019 de voter pour la meilleure campagne parmi les gagnants des 42 éditions. Leur choix s'est porté sur le film « La lionne » de Perrier réalisé par Jean-Paul Goude. Explications.

C’est l’histoire d’une eau gazeuse dans une petite bouteille ronde qui s’est distinguée par des publicités délirantes, signées «Perrier c’est fou !». Mais en 1990, la crise du benzène qui provoque le retrait de millions de bouteilles aux États-Unis oblige à remiser ce slogan explosif. Ogilvy & Mather, qui hérite du budget, sort alors un ovni créatif, fruit de l’inspiration débridée du réalisateur Jean-Paul Goude.

Comme dans Tintin au Congo, une jeune femme se retrouve nez à museau avec un lion rugissant, mais lui répond avec une gueule encore plus grande par la magie des trucages du directeur artistique, habitué à démultiplier les expressions de sa muse Grace Jones. L’alliance du montage tout en suspense, de la chanson de Screamin’ Jay Hawkins I put a spell on you, du cri primal et de la signature finale «L’eau, l’air, la vie» en fait un bijou de création publicitaire condensée en 30 secondes.

Irrésistibilité

C’est ce film, «La lionne» de Perrier, qui obtient le Grand Prix des Grands Prix, décerné par le jury du Grand Prix Stratégies de la publicité. Un sacre pas si facile à établir. «On nous a demandé de choisir parmi 40 années de récompenses mais elles ne sont pas comparables entre elles car chacune est liée à un contexte, à une époque, à une maturité de marché, souligne Matthieu Elkaïm, directeur de la création d’Ogilvy Paris. Finalement, ce film est apparu imbattable car c’est un objet qui dépasse la publicité, un véritable geste artistique, et qui répond au bon vieux brief traditionnel de l’irrésistibilité. C’est aussi le seul film français à avoir reçu un Grand Prix à Cannes, donc ça s’imposait.» Un spot Apple montrant un capitaine d’industrie cynique et son héritier a tenu la corde, «mais il est assez anxiogène, poursuit Matthieu Elkaïm, alors que Perrier est plus jouissif, plus proche du moment de divertissement que doit être la publicité aujourd’hui. Il est populaire, Apple est plus intello.»

«Je m'arrêtais devant la télé quand elle passait»

Preuve en est, les membres du jury qui avaient une dizaine d’années au moment de la diffusion, en 1991, s’en souviennent parfaitement. «Cette campagne m’a marquée, je m’arrêtais devant la télé quand elle passait», témoigne Céline Mornet-Landa, directrice de création de Sid Lee Paris. «Mes parents trouvaient cette pub géniale», se souvient Matthieu Elkaïm, signe qu’elle dépassait le strict cadre de la réclame. «C’est un film iconique, qui défiait tout ce qui se faisait à l’époque», assure Benjamin Dessagne, directeur de création de CLM BBDO, qui tient à saluer la saga Brandt de Fred & Farid, à l’époque chez CLM. Pierrette Diaz, directrice de création indépendante, débutait dans le métier en 1991. Elle rend hommage à Jean-Paul Goude, «un monsieur, un artiste complet, qui faisait une publicité joyeuse, pop et disco. Au-delà de Perrier c’est lui aussi que l’on récompense.»

Christian Reuilly, directeur de création chez Ogilvy, a raconté à Influencia avoir parlé du projet à Jean-Paul Goude alors que celui-ci était l’un des acteurs d’une campagne American Express. Selon lui, l’idée du lion aurait germé au zoo de Vincennes, tandis que le réalisateur relate dans son livre Tout Goude (La Martinière, 2005) en avoir discuté avec le publicitaire dans sa propriété des Hamptons. Il se souvient aussi qu’«il nous a fallu attendre une journée entière que l’animal veuille bien bâiller pour pouvoir filmer la scène.» Il faut le savoir, quand il rugit, le lion ouvre à peine la gueule.

À l’époque, Jean-Paul Goude était auréolé de la gloire du défilé du bicentenaire de la Révolution française. Par la suite, il a marqué de son style unique les campagnes d’affichage des Galeries Lafayette, et vient de signer un film pour le parfum Chance de Chanel. De son côté, Perrier a continué sa saga fructueuse avec Ogilvy, avec de mémorables films comme «Les planètes» ou «John McEnroe». Dernièrement, la marque de Nestlé Waters a fait une infidélité à son agence avec un film mettant en scène une Mona Lisa hip hop dans un film confié à Rosapark.

Remake

Quant à «La lionne», jugée par un Français sur deux comme une des publicités les plus marquantes de sa génération selon Kantar TNS, elle a fait l’objet d’un remake en 2018, «Le lionceau», dont les protagonistes retombent en enfance. Une cure de jouvence justifiée par le lancement d’une nouvelle référence, Perrier Fines Bulles. «Finalement, la seule chose qui a vieilli dans cette campagne c’est le format carré, souligne Céline Mornet-Landa. Sinon elle reste incroyablement moderne, simple, parfaitement attribuable à Perrier. On retrouve toute la folie de la marque en 30 secondes, à l’heure où les publicités durent plusieurs minutes. J’avais un faible pour la campagne Lucky Strike, “Unlucky”, mais on ne pouvait pas récompenser une marque de cigarettes. Et puis cette femme qui ouvre sa gueule au sens propre et obtient ce qu’elle veut sans l’aide de personne est terriblement actuelle. » Une campagne #metoo d’avant les hashtags.

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