Création publicitaire
Créativité. En dépit d’une fréquentation moindre que les années précédentes, l’édition 2019 des Cannes Lions a permis de confirmer certaines tendances durables, au premier rang desquelles la concurrence exacerbée qu’affrontent les agences, la toute-puissance de la bien-pensance, l’uniformité créative ou la montée en puissance de la cause féminine. La 66eme édition, plus que jamais marquée par l’hégémonie américaine, a néanmoins permis de mettre en lumière certains penchants plus neufs de l’industrie, à l’instar de la place grandissante occupée par l’entertainment ou encore des rapports renouvelés entre médias et publicité. Tour d’horizon.

Girl power !

En 2016, elles représentaient 40 % des jurés cannois. En 2019, on atteint presque la parité, avec 48 % de femmes dans les jurys. Plus encore que 2018, la 66e édition des Cannes Lions a montré que l’avenir de la publicité sera féminin ou ne sera pas. Les Lionnes ont investi la Croisette, avec le « Off » du festival, qui remettait ses prix des campagnes non-sexistes, avec un bilan encore accablant : « sur 30 953 campagnes inscrites au festival mondial des Cannes Lions où 89 pays sont représentés, seulement 11,23 % de prix “Lionnes” remis respectent l’égalité homme-femme et un travail paritaire de la production aux boards des agences inscrites pour cette 66e édition », explique l’association dans un communiqué.

Le chemin est encore long, mais sur la Croisette, on a vu fleurir les initiatives : See It Be It (SIBI), pilotée par les Cannes Lions, milite pour une égale représentation des hommes et des femmes dans les directions de création. Parallèlement, dans la lignée du #MeToo pub, « TimeTo » (cofondé par Women in Advertising and Communications, Advertising Association et la NABS) déployait une campagne spécifiquement conçue pour Cannes, avec des phrases sexistes imprimées sur des tubes de crème solaire du genre « Je peux te passer de la crème solaire/Devant et derrière ? ». Parallèlement, à Cannes, le jeudi 20 juin, Stratégies remettait son Grand Prix des Grands Prix [trophée visant à récompenser la campagne la plus appréciée des professionnels en 41 ans de Grand Prix Stratégies] à… la campagne « La Lionne » d’Ogilvy. Tout un symbole !

Grandes causes, encore et toujours !

Comme un air de déjà-vu… et revu ! Dans le sillage des précédentes éditions, les cinq jours de l’édition 2019 ont à nouveau été placés sous le signe du « Good ». Un mot décliné à toutes les sauces, en dépit de la création récente d’une catégorie spécifique siglée « Charity » par les organisateurs. « Le sujet majeur, cette année encore, c’est la responsabilité sociétale des marques », confirme Sandrine Plasseraud, fondatrice et présidente de We Are Social. Même son de cloche du côté d’Olivier Altmann, président du jury Print & Publishing. « Tout le monde se positionne sur les grandes causes, avec une teinte globale du festival liée au prisme américain et aux bons sentiments qui en découlent », constate le cofondateur d’Altmann + Pacreau. Mais attention aux marques dont l’engagement serait purement commercial. « Paradoxalement, la valeur qui manque le plus à l’heure actuelle est le courage. À ce titre, le cas de Nike et Colin Kaepernick est parlant. Ce n’est pas un engagement consensuel et sans conséquences. La marque a pris le risque de perdre une partie de son public et a fait le pari de disposer d’une fanbase plus forte quitte à ne pas plaire à tout le monde », souligne Olivier Altmann. Après les paroles, place aux actes, donc !

Publicité et médias, réhabilitation réciproque

Au rayon des mondes qui se toisent tout en devant cohabiter au quotidien, la publicité et les médias font figure d’exemple. Mais cette année, les deux protagonistes ont su – une fois n’est pas coutume – unir leurs forces, en témoignent le Grand Prix raflé par Droga5 et le New York Times dans la catégorie Film ou encore le Grand Prix décerné à Impact BBDO et le quotidien libanais An Nahar pour l’opération « The Blank Edition » dans la catégorie Print & Publishing. « La publicité a longtemps été vue comme un mal nécessaire pour les médias. Les récompenses décernées cette année montrent que les deux peuvent s’apporter mutuellement. La publicité permet de mettre en exergue la liberté et la diversité de l’information tandis que les médias permettent dans le même temps à la pub de se réhabiliter », pointe Olivier Altmann, président du jury Print & Publishing.

Le divertissement roi

En plus des Gafa, les sociétés d’Entertainment comme Hulu, Activision Blizzard ou Unity se sont, elles aussi, affichées au bord de la Croisette. Sans oublier l’armada de stars venue donner de la voix à diverses conférences sur leurs métiers d’artistes et leurs évolutions. À croire qu’il faut divertir coûte que coûte un public de plus en plus vite lassé par ce qui l’entoure. À l’origine, les prix Entertainment doivent récompenser la créativité qui transforme la publicité en contenu culturel. Mais la surreprésentation du divertissement dans toutes les catégories peut poser des questions de légitimité. En plus des habituels Entertainment Lions, Entertainment for Music et for Sport, des catégories comme le Digital Craft et Film Craft ont récompensé des clips, qui ont fait leur grand retour cette année. Ces productions se transforment en mini-films dans lesquels certains dénoncent comme Childish Gambino avec sa prise de parole sur les armes, récompensé pour This Is America. D’autres y retracent des romances comme The Blaze avec Queens, gagnant d’un or. « Le clip permet une vraie liberté de ton, estime Titem Mouici, fondatrice de Kind Paris, bureau de conseil en exécution image spécialisé dans le luxe. Ce monde-là et le monde des marques ont des choses à se dire. Le clip crée 30 000 émotions à la seconde, là où certaines marques, comme celle du luxe, peinent à en engendrer… »

Uniformisation galopante

Le niveau cannois monte, c’est un fait. Mais la sélection ne perdrait-elle pas ses aspérités au passage ? Comme beaucoup de ses confrères, Alexis Benbehe, directeur de création chez DDB, déplore sans langue de bois le temps où les Cannes Lions étaient une fenêtre sur le monde et ses diversités publicitaires. « On sent l’influence des Américains sur le festival, et on a presque l’impression que le festival des Cannes Lions devient un deuxième “One Show”. Où sont les grandes campagnes asiatiques, les Japonais, les Thaïlandais ? Ou sont les Espagnols, les Allemands ? Où sont les Anglais, les Mother, les BBH qui avaient une patte, les AMV BBDO qui étaient des tueurs ? C’est un peu gênant de voir que la communauté mondiale s’aligne sur la même imagerie. On a le sentiment que, désormais, nos idées doivent entrer dans ce moule : quelle est ma cause sociétale ? Comment la mettre en adéquation avec le client ? Est-ce que ma cause est assez importante pour que les jurés cannois l’entendent ? Je ne comprends plus où est le produit, en fait. La créa, c’est Starbucks ! On ne voit plus que les grandes marques, les “petits” produits ne sont plus mis en avant. Au D & AD, on a pourtant pu voir des choses inattendues, drôles, lâchées, qui ont eu des prix… À Cannes, la sélection est plus dure qu’auparavant, avec moins de catégories. Mais du coup, c’est l’hégémonie américaine ! Dès que le festival règle un problème, on a l’impression qu’il s’en crée un autre. » Attention à ne pas faire bâiller les Lions…

Les agences se cherchent

L’agence new yorkaise Terri & Sandy s’est offert un joli coup de pub. Avec sa campagne #FreeDroga, installée juste en face du Palais des Festivals, l’agence indépendante invitait non sans humour les donateurs à contribuer au rachat de Droga5, dont l’acquisition récente par Accenture Interactive pour une somme estimée à 475 millions de dollars fait jaser et en dit long sur l’évolution de l’industrie. Car sous couvert de rassembler les différents apôtres de la créativité à la même table, c’est une lutte intestine qui se joue en coulisses. D’un côté, les agences et réseaux historiques, longtemps en pleine lumière et dont l’hégémonie est sévèrement bousculée depuis plusieurs années. De l’autre, une concurrence protéiforme composée d’acteurs devenus également des habitués des lieux – Gafam, médias, sociétés de production, acteurs majeurs du conseil et de l’adtech et même prestataires techniques (Adobe en tête) – auxquels viennent désormais s’ajouter les acteurs de l’entertainement au sens large (lire plus haut). D’où la question de la place des agences dans les différentes catégories. « On remarque que les agences de design ne sont pas vraiment représentées dans la catégorie design », relève Kheireddine Sidhoum, global creative officer du groupe Dragon Rouge et membre du jury, quand Sandrine Plasseraud, présidente de We Are Social et membre du jury Social & Influencer, note que « le social peut prendre des formes très diverses tandis que la catégorie Influence est en perpétuelle évolution ». Signe que la concurrence fait désormais rage sur tous les fronts…

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