Expertise
En dépit de maux chroniques et de la conjoncture, le marché de l’événement se porte bien. Mais les agences souffrent toujours d’un problème de lisibilité qui pourrait les conduire à se positionner sur la constitution et la gestion de communautés.

L’année 2019, tout comme les dix précédentes, aura été une bonne année pour la filière événementielle. Quel que soit l’angle choisi, et à l’exception de l’année 2008, les acteurs traversent les turbulences avec une étonnante constance, « une belle résilience » pour reprendre les mots d’Olivier Roux, président d’Unimev. Mieux, la filière, dont on pouvait craindre qu’elle paie cher les manifestations des Gilets jaunes, semble même profiter des crises successives. « Il s’est passé quelque chose de puissant, estime François Bitouzet, directeur général de PublicisLive Paris. Les journées de mobilisation (indépendamment des épisodes violents) et les grands débats organisés au printemps ont redonné du sens à la notion de collectif et de proximité. Ils ont redonné envie aux entreprises et aux marques de rencontrer leurs publics, de rétablir un contact direct et plus seulement par écrans interposés. » Et de prédire l’entrée dans un nouvel âge d’or de l’événement à la lueur d’autres signaux : « Nous arrivons à la fin d’un cycle autour du digital, qui avait fait le hold-up sur l’expérience. J’ai pu le voir chez Voyages-sncf.com [dont François Bitouzet était précédemment directeur de la communication et des marques] : si ses vertus sont indéniables, les marques ont compris que ce n’était pas la panacée. »

Un développement qui perdure

Après avoir profité ces dernières années de la digitalisation de la communication, faisant de la rencontre physique un contrepoids indispensable, l’événement a bénéficié récemment d’un nouveau coup de pouce inattendu : « L’émergence du deepfake, en faisant planer le doute sur la véracité d’une image, d’une vidéo ou d’un discours, a fait de l’event le seul média capable de proposer une expérience de marque garantissant l’authenticité d’un message », résume Cyril Giorgini, président d’Auditoire. 

Ainsi donc, malgré les crises sociales, malgré les menaces terroristes toujours existantes et les contraintes organisationnelles de plus en plus fortes qui vont avec, l’événementiel poursuit son développement. Y compris des structures plus exposées comme Ubi Bene, agence référente sur les événements 100 % grand public. En observation depuis le départ de son patron fondateur Thierry Reboul pour le comité d’organisation de Paris 2024, rachetée en juin par l’agence OBO (acquéreur des parts de Thierry Reboul), l’agence semble avoir survécu à l’épreuve : « OBO détient 90 % de l’agence, mais les deux structures restent bien séparées, précise Michaël Courcoux, directeur général d’Ubi Bene. Nous avons consolidé nos clients (Ikea, Adidas, Perrier…) et en avons accueilli de nouveaux, comme Grimbergen pour lequel nous avons créé en juin dernier à Lille, en partenariat avec My Little Paris, le Burning Bar, premier bar qui brûle tous les soirs et renaît de ses cendres, inspiré de l’histoire de la marque. » Il est encore possible de mettre le feu en ville avec la bénédiction de la préfecture !

Pour autant, tout n’est pas rose dans le monde merveilleux de l’événement, où la concurrence reste rude : « Même si tout le monde ne maîtrise pas l’expertise, la capacité à mettre en œuvre une idée en live n’est plus une compétence différenciante. Des entités capables de produire un événement, comme les gestionnaires de lieux du type Paris Society, Châteauform’ ou certaines agences de communication, ne manquent pas, rappelle Lionel Malard, fondateur d’Arthémuse, cabinet conseil spécialisé sur le marché events & meetings. En plus d’être attaquées sur leur métier historique de production, les agences doivent aussi faire face aux pressions et exigences des annonceurs qui voient en elles des producteurs délégués assumant tous les risques. Celles qui ne sortiront pas de ce schéma en développant d’autres expertises ou en misant sur les événements propriétaires sont vouées à disparaître ! » Bertrand Biard, président de Lévénement, confirme la préoccupation des agences à l’égard des comportements à risque des annonceurs : « Beaucoup de clients ne paient pas, ou très mal, les 30 à 40 % d’acompte indispensables au lancement du projet. Lorsqu’elles gèrent plusieurs opérations dans le même mois, certaines agences se retrouvent dans l’obligation de prendre un crédit pour avancer parfois plus d’un million d’euros (qu’elles n’ont pas) afin de payer les prestataires. De telles pratiques les mettent en danger et bloquent leur croissance. Il n’est pas normal que nous ayons à avancer le moindre euro pour nos clients. » 

Si on ajoute à cette pratique la remise en compétition régulière, pour ne pas dire systématique, des agences à chaque nouveau projet, avec à chaque fois un coup de rabot des services achats, nous nous trouvons donc face à une situation paradoxale où l’événement, bien qu’unanimement reconnu comme stratégique, semble faire l’objet d’un traitement de défaveur ! 

Des appels d’offres trop fréquents

Il faut dire que l’événement est un média particulièrement anxiogène pour celui qui l’organise et/ou le commande. Chez l’annonceur, le donneur d’ordre joue sa place (ou en a l’impression) et préfère donc systématiquement tout remettre à plat, quand bien même les précédentes collaborations avec l’agence ont été réussies. Autre explication : « 60 à 80 % du budget d’un événement étant constitués d’achats de prestations externes (salle, traiteur, technique, structures…), les services achats considèrent qu’ils doivent pratiquer un appel d’offres. Lequel, lorsqu’il est trop fréquent et systématique, est destructeur de valeur », déplore Mikaël Lavollé, directeur du pôle expérience chez OConnection. Mais sur ce point, la situation serait en train de changer, lentement mais sûrement, observe Frédéric Bedin, président du directoire d’Hopscotch : « Les entreprises engagées dans une dynamique d’innovation ne font aujourd’hui pas ou alors peu d’appels d’offres. Elles ont compris qu’elles avaient plus à perdre en temps, en fluidité, en efficacité et en argent à tout remettre en question à chaque nouveau projet. » 

Une autre explication vient d’une erreur de positionnement et/ou de discours que les agences peinent à faire oublier. « Nos agences ne se sont pas bien vendues, tant en interne (au sein de leur groupe) qu’auprès de leurs clients, estime Olivier Harnichard, directeur général de Live ! by GL Events. Nous ne devons pas nous vendre comme organisateurs d’événements, mais comme apporteurs de solutions à une problématique de marque. » Mais là encore, les choses semblent évoluer : « Après avoir un temps revendiqué une capacité de conseil qu’elles n’avaient pas, les agences ont acquis une maturité qui leur permet dorénavant de se positionner sur ce terrain, à l’image d’Havas Events avec Orange, Win-Win avec Mercedes, Double 2 avec Audi, etc. », observe Lionel Malard. Et d’ajouter : « Il ne manque que deux choses aux professionnels du secteur. D’abord, une présence dans les instances représentatives de la communication. Unimev n’est qu’une des deux jambes sur lesquelles ils doivent marcher. Ils devraient aussi être à l’AACC. Le second manque est un outil de mesure reconnu et indispensable pour prouver de manière irréfutable, chiffres à l’appui, l’efficacité de l’événement. » Sur ce dernier point, les agences semblent dans une impasse. En dix ans, la profession a lancé trois outils de mesure, dont le dernier, développé avec Nielsen depuis la fin de l’année 2018, était présenté comme la solution. Dix mois de commercialisation plus tard, l’outil n’a toujours pas rencontré son public.

Animer des communautés

Mais ce qui manque peut-être le plus aux agences, c’est un positionnement clair et différenciant des autres acteurs du secteur de la communication. Un positionnement sur lequel leur expertise ne fait pas débat. « Nous sommes en train de devenir des experts de la réunion d’intégration et d’engagement des communautés, avance Cyril Giorgini. Chaque agence, à travers les événements qu’elle organise, est amenée à constituer et animer des communautés (lifestyle, gaming, sport, etc.). À travers l’organisation World Innovation Summit for Education (WISE) à Doha, nous gérons la plus grande communauté du monde de l’éducation avec 70 000 personnes. L’organisation de journées portes ouvertes pour la SNCF nous a aussi permis de constituer une communauté de 80 000 personnes ayant une opinion positive du train… » 

Un constat qui fait écho. Ubi Bene maîtrise aujourd’hui la plus grande communauté mondiale de runners (70 000 membres) pour le compte d’Adidas. Et organiser la Semaine du goût a permis à Hopscotch de se constituer une communauté de 3000 enseignants à travers lesquels elle touche chaque année quelque 90 000 élèves. « Nous avons également activé cette communauté dans le cadre de l’Usine extraordinaire pour promouvoir les métiers de l’industrie auprès des jeunes générations, explique Frédéric Bedin. Pour le Mondial de l’automobile, nous sommes en train de constituer plusieurs communautés qui dépasseront celle des simples fans de voitures en identifiant des usages, des attentes qui nous permettront d’adresser ici les citadins intéressés par la multi-modalité, ailleurs des foodies amateurs de food-trucks…. » Et de conclure : « Au-delà de la constitution et de la gestion de ces communautés non virtuelles, notre expertise réside dans notre capacité à les assembler les unes aux autres pour permettre à une marque de couvrir et d’engager le plus largement son audience. » Un graal pour l’annonceur.

L’épineuse question de la mesure

Il y a un an, Lévénement annonçait la création de l’Event Impact Score (EIS), un outil de mesure d’impact des événements qui semblait cocher toutes les cases : indépendant, développé par un grand institut (Nielsen), permettant la comparaison avec les autres médias… Et pourtant ! « L’outil a été standardisé, il est intégré à toutes les propositions de Nielsen, nous avons fait de la pédagogie autour, mais il semble que les annonceurs ne soient toujours pas prêts à payer pour ça. C’est un problème marketing de politique tarifaire », explique Thomas Deloubrière, directeur associé de Double 2. Le prix d’entrée de 10 000 à 15 000 euros n’a pourtant rien de scandaleux. « Ce montant vient s’ajouter aux budgets d’organisation dont les sommes ne sont pas celles de la publicité, explique cependant Édouard Auger, directeur général d’Havas Events. Annoncer à son client qu’il lui faudra ajouter 25 000 euros (minimum pour avoir suffisamment de matière) à un budget de 400 000 euros est injouable. La qualité de l’outil n’est pas à remettre en question. » 

 

 

Trois questions à… 

 

Laurent Habib, président de l’AACC et président de Babel 

« L’événement est un moment transformatif »

 

Quelle place doit occuper l’événement dans la communication ?

Dans mon histoire de patron d’agence, je n’ai jamais cessé de vouloir faire de l’event un élément clé de la proposition, d’abord en créant Havas Events, puis chez Babel par les rachats de Human Live (ex-DDB Live) et dernièrement Chaïkana. À l’heure où l’offre publicitaire traditionnelle perd de sa substance et où l’offre digitale est soumise à la fugacité de l’audience, l’événement, parce qu’il mixe confrontation et émotion, est extraordinaire et plus que jamais irremplaçable.

 

Pour quelles raisons ?

Il ne réunit pas seulement les gens, il les amène à réfléchir, à participer, à anticiper, à se mettre en ordre… C’est un accélérateur de l’engagement, un moment transformatif pour tous les participants. L’annonceur qui a 2 millions d’euros à mettre sur une campagne doit aujourd’hui se demander s’il ne ferait pas mieux de les mettre sur de l’event.

 

Pourtant, les agences d’événement ne semblent pas considérées.

Elles se sont senties méprisées, car elles l’ont parfois été et parce qu’elles sont entre deux mondes. Leur approche est aussi différente : là où la communication dit qu’il faut d’abord être pour comprendre et agir, l’event nous propose l’inverse ! Mais elles restent des acteurs de notre secteur et ont toute leur place à l’AACC et plus largement dans le projet d’agences unies.

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