Entretien
Corinne Moreau, directrice générale de Promosalons, association de promotion des salons français à l’international, revient sur le rôle de ces manifestations dans le développement économique et sur les différentes stratégies d’extension des organisateurs.

Que représente l’international pour les organisateurs de salons ?

Corinne Moreau. L’évolution de Promosalons illustre bien la situation. À sa création en 1967 par la CCI de Paris, Business France (à l’époque le Centre français du commerce extérieur), Unimev (ex-Fédération française des salons spécialisés) et des acteurs privés de l’organisation de salons à vocation internationale, l’association avait pour but d’aider les organisateurs à faire connaître leur salon à l’étranger pour recruter de nouveaux publics – visiteurs, exposants et relais (médias, influenceurs…). Aujourd’hui, son réseau de 55 bureaux rayonnant sur 120 pays leur permet également de développer leur activité d’organisateurs hors de France, ce qui est devenu un axe stratégique. L’idée est de mutualiser nos forces, de chasser en meute comme le font très bien les Allemands.

Tous les pays font-ils le même usage du salon que la France ? 

Le média salon n’est pas perçu de la même manière d’un pays à l’autre. Les Allemands, de loin nos principaux concurrents, l’ont placé depuis cinquante ans au cœur du développement économique, en mettant en place une organisation qui part du haut, où les Länder et les villes sont gestionnaires des parcs et organisateurs de salons, contrairement à la France où ces deux volets sont séparés et aux mains d’acteurs privés. Ils ont fait du média salon un moyen de

développement pour les entreprises et les territoires : un vrai outil de commerce extérieur. Pour preuve, Angela Merkel ne reçoit jamais ses homologues au Bundestag, mais sur les salons de référence où elle parle business avec eux. Ainsi, il y a un an, c’est en ouverture de la Foire de Hanovre qu’elle a annoncé sa politique en matière d’intelligence artificielle. 

Notre autre concurrent, l’Italie, considère aussi le salon comme très utile. Depuis 2015, son ministère de l’Économie a mis en place un plan de relance du made in Italy en s’appuyant sur ses salons nationaux stratégiques. Il les aide à se construire une stature internationale en les soutenant dans leur effort de promotion à hauteur de 24 millions d’euros par an. Les organisateurs ont utilisé ces moyens pour monter des programmes d’invitation de top acheteurs dans les différents pays ciblés (Malaisie, Japon, etc.), en les faisant venir tous frais payés.

La vraie internationalisation n’est-elle pas plutôt de sortir de France pour vendre à l’étranger son savoir-faire d’organisateur ?

C’est un levier important qui peut être abordé de deux façons : la géoduplication et la croissance externe. Lorsqu’un salon est arrivé à maturité, qu’il est leader et/ou qu’il ne peut plus se développer davantage dans son pays, l’organisateur cherche à le décliner dans d’autres régions du globe, suffisamment éloignées pour ne pas venir concurrencer le salon initial. L’idée est d’embarquer avec lui ses exposants sur un nouveau marché en leur proposant un cadre sécurisé : son salon. C’est ce que fait Comexposium, à travers des manifestations comme le SIAL [Salon international de l’alimentation], dont une édition s’est tenue à Shanghai en mai dernier. Cette géoduplication s’adapte à la culture et aux spécificités du marché local, elle n’est pas une simple copie du salon original. Elle est déjà très pratiquée en Allemagne, qui en compte 350, et dans une moindre mesure en France où l’on recense pour l’heure 50 géoduplications de salons. Loin de cannibaliser la notoriété de la marque originale, cette pratique la fait connaître à des publics qui n’étaient jamais venus, voire n’avaient jamais entendu parler du salon. L’autre approche, plus classique, est l’acquisition d’entreprises organisatrices de salons spécialisés dans des secteurs stratégiques pour se renforcer sur une verticale ou en développer une autre. 

Le salon de référence d’un secteur ou d’une filière est-il forcément organisé et abrité dans le pays leader ?

En général, c’est le cas. Chaque secteur d’activité important pour la France a un salon leader ou coleader mondial qui lui sert de vitrine de son savoir-faire. Mais il existe des exceptions. Le plus grand salon mondial des matériaux composites, le JEC World, se déroule en France, alors que les plus gros producteurs de ce secteur sont japonais et coréens. Le JEC World est ce qu’on peut appeler un salon offshore. Les Japonais ayant un salon auquel ils n’ont pas souhaité donner d’envergure mondiale, le JEC s’est géodupliqué à Séoul, en Corée. Pour éviter la concurrence frontale, mais aussi parce que la demande y est forte et que le Japon n’est qu’à une heure de vol. Après trois éditions, les organisateurs réfléchissent à un concept hybride de « ConfEx » – conférence exposition – qui donnerait aux Japonais une bonne raison de venir à Séoul pour découvrir l’univers du JEC et pourquoi pas, à plus long terme, faire le déplacement à Paris.

Ces changements de pratiques ont-ils une incidence sur la physionomie des salons ?

Là encore, tous les pays n’ont pas la même approche. En France, nous sommes passés de stands statiques de présentation à un regroupement dynamique par univers. Nous développons un marketing de la demande, à l’écoute du visiteur, faisant la part belle à la mise en avant de l’innovation et à l’apport de contenus informatifs. C’est une pratique très française. J’ai été frappée par un élément lors du dernier Agritechnica, salon allemand des équipements agricoles, concurrent du SIMA, le salon des innovations agricoles français. Ils ont 17 halls et mettent un tractoriste au milieu de chacun, imposant aux visiteurs de parcourir tout le salon pour voir tout ce qui les intéresse !

Mais le changement le plus important, en France comme ailleurs, est le volet networking et matchmaking. L’objectif d’un organisateur n’est plus le nombre de visiteurs ou d’exposants, mais l’optimisation de leur séjour sur le salon. Les visiteurs viennent moins nombreux et moins longtemps (un jour et demi en moyenne) : il faut organiser leurs rencontres pour qu’elles produisent un maximum de richesses.

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