Agences
Mathieu Morgensztern, CEO de GroupM France et country manager de WPP dans l’Hexagone, estime que le plus dur est passé pour le marché, qui doit se servir de cette crise pour solidifier les engagements contractuels avec les marques.

Le marché de la publicité pourrait perdre près d’un quart de sa valeur en 2020. Le pire est-il à venir pour les agences hexagonales ?

Mathieu Morgensztern. Notre métier est le reflet direct de l’économie car le marketing reste corrélé à la santé économique du pays. À ce titre, le deuxième trimestre a été très dur avec des baisses d’investissement drastiques de nombreux annonceurs et, par conséquent, de nombre de nos clients puisque GroupM et WPP sont présents dans l’ensemble des secteurs. En revanche, le pire n’est pas à venir. On sort actuellement du creux et l’économie, dans le sillage du volontarisme politique déployé pour relancer la consommation, commence à reprendre des couleurs. Les ventes vont repartir pour des secteurs comme l’automobile ou le luxe, même si ce sera un processus un peu plus long pour le travel. D’autre part, les agences ont travaillé à plein régime pendant le confinement pour préparer la reprise, en retravaillant notamment massivement des copys devenues obsolètes. À date, l’impact pour les agences devrait plutôt se traduire par une baisse moyenne du chiffre d’affaires comprise entre 15 et 20%. Et même si l’année sera évidemment médiocre et qu’il subsiste une forme de prudence, des motifs tangibles d’optimisme existent.



Comment WPP a-t-il fait face à la crise ces deux derniers mois et quelles sont les conséquences en termes d’activité et de désengagement des annonceurs ?

Si je prends le cas de WPP, l’une des clés pour passer ce cap difficile a été d’adopter très tôt une logique d’économies afin de préserver au maximum le modèle du groupe et les emplois. Au-delà du recours au chômage partiel ou des recrutements qui ont été gelés par exemple, cette politique réside aussi dans des prises de position courageuses comme le fait de stopper le versement de dividendes. En France, par exemple, il n’y a pas eu de suppressions de postes à date.

 

Sur le volet média plus spécifiquement, comment GroupM a-t-il composé avec les coupes effectuées massivement par les marques ?

GroupM est le numéro 1 du marché, avec un portefeuille représentatif des différents secteurs, dont certains ont beaucoup souffert. Les investissements média ont quant à eux chuté entre -40 et -60% au deuxième trimestre. Même les dépenses média dans le digital ont connu un coup de frein important. L’agence a forcément été durement affectée, dans des proportions quasiment similaires. Toutefois, cette crise s’inscrit dans un momentum très favorable avec deux premiers mois 2020 très performants. D’autre part, WPP est le groupe le plus excédentaire en trésorerie parmi les principaux réseaux, un phénomène en partie lié à la vente récente de 60% de Kantar. C’est une forme d’assurance.



Quels enseignements faut-il tirer de cette crise ?

 S’il fallait en retenir un, ce serait probablement la réactivité et l’agilité des annonceurs pour stopper leurs dépenses et les relancer aussi rapidement. Ce qui est rassurant, c’est qu’on a le sentiment que les budgets marketing et communication ne sont plus vus comme accessoires. Autre aspect déjà considérablement relevé, la digitalisation. En deux mois, on a vécu deux ans d’accélération digitale en termes de pratiques B to C mais aussi B to B. Il est clair que certains usages vont perdurer et nos clients sont très demandeurs actuellement pour ce qui est d’accélérer sur le volet digital.



Les annonceurs français se sont montrés très prudents en coupant plus largement leurs budgets que dans les pays limitrophes. Est-ce un motif d’espoir ?

La France est le pays de la surréaction, dans un sens comme dans l’autre. On a pu le constater avec les coupes bien plus brutales réalisées au niveau de leurs investissements média par les marques françaises vis-à-vis de leurs homologues européennes, que ce soit en Allemagne ou en Angleterre. Cela devrait mécaniquement se ressentir à la rentrée, où un encombrement des médias est déjà à prévoir en septembre. Les annonceurs vont devoir jouer des coudes pour être visibles.



Militez-vous en faveur d’un crédit publicité comme l’ont fait certains dirigeants d’agences, de médias ou d’organisations professionnelles ?

La question ne se pose plus puisque l’idée a été clairement rejetée par le gouvernement, et une aide financière ponctuelle n’est pas le réel sujet. Les annonceurs savent désormais que visibilité rime avec chiffre d’affaires. L’enjeu est plus de créer les conditions pour que les Français puissent consommer en ligne ou dans les magasins.



Faut-il craindre une baisse du pouvoir d’achat avec la crise économique qui se profile ?

Je ne crois pas. Ce n’est en tout cas pas ce qui ressort du baromètre hebdomadaire que WPP a mis en place durant la crise du Covid-19 auprès d’un panel de 900 Français. Si les résultats montrent effectivement que de l’argent a été épargné, plus de la moitié d’entre eux parlent ouvertement d’achats plaisir. Une forme de rattrapage qui devrait profiter aux secteurs voyages, restauration, high-tech, automobile ou encore prêt-à-porter.



Vous avez toujours été partisan des appels d’offres rémunérés. Cette crise est-elle l’occasion de redessiner le circuit classique au profit de compétitions plus directes, moins coûteuses et moins chronophages ?

S’il fallait conserver un seul sujet, ce serait celui de la durée des engagements contractuels pour la fixer à au moins quatre ans. C’est le délai qu’il faut pour construire et investir. Mais aussi pour réussir à mener à bien la transformation sur des volets essentiels comme la data, le digital ou le mediaplanning. En quelques mois, cela ne peut pas fonctionner. On le voit avec des clients du groupe comme LVMH, Colgate ou Unilever, avec qui cela s’est construit dans le temps.



Par ailleurs, anonymiser les appels d’offres est-il une solution ?

J’ai tendance à penser qu’on gagne forcément lorsqu’on est bon. C’est comme cela qu’on a remporté par exemple les budgets Axa et PSA. Depuis quelques années, les enjeux politiques sont moindres que par le passé et cela s’accompagne d’un changement d’état d’esprit, avec des appels d’offres peut-être moins biaisés lorsqu’il s’agit de grandes entreprises. D’autre part, les annonceurs achètent aussi l’enthousiasme et l’envie des équipes. L’humain ne s’anonymise pas !

Chiffres clés

5 000 Nombre d’employés de WPP en France (filiales incluses)

500 millions de dollars Chiffre d’affaires annuel de WPP en France (ce qui en fait le cinquième marché du groupe derrière les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne et la Chine)

-7,9% Recul du chiffre d’affaires mondial du groupe au mois de mars (-3,3% au premier trimestre)

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