Tribune
CLM, telle la salamandre, ne peut et ne doit forcément que renaître de ses cendres. C'est d'ailleurs l'idée lancée par Pascal Grégoire, ex-président de CLM et de La Chose : négocier avec Andrew J. Robertson, président et CEO de BBDO Worldwide (Omnicom Group), la renaissance de l'enseigne CLM en France.

Tout ou presque a été rappelé de la vision et du parti-pris de Philippe Michel sur la communication publicitaire : sa sollicitation de l'intelligence de la personne en tant qu'interlocuteur respecté de la marque et acteur du dialogue  publicitaire, sa conviction que le rôle du publicitaire est avant tout de définir «ce que les gens doivent se dire et retenir» plus que ce que la marque dit du haut de sa supposée souveraineté, son goût aussi pour l'émulation d'une relation de connivence avec le public, et enfin son talent pour le décalage, qui permet par l'humour à une publicité de mieux se faire accepter, voire d'en faire une friandise offerte au consommateur. Philippe Michel - et cela est moins connu, ou en tout cas oublié aujourd'hui - fut également un pionnier de la communication intégrée et d'un modèle stimulant d'agilité d'agence.

Si le décès en juillet 1993 de Philippe Michel occulta ses réflexions et recherches alors en cours, les fondements du modèle d'agence à venir était déjà bien là, et restent aujourd'hui plus pertinents que jamais : «l'agence de demain» - à l'époque, déjà ! - se devait pour lui, d'une part, de s'organiser en croix autour de quatre pôles (la communication à distance vs la communication de proximité, la communication personnalisée vs la communication de masse) et d'autre part, de s'engager dans trois dimensions (l'intégralité du message véhiculé, l'intégration des modes de communication et l'intégrité de la marque). Et enfin, accepter qu'un certain «chaos» puisse être un passage préalable obligé avant la révélation de l'évidence.

Le consommateur fait la marque

Si Philippe Michel fut fortement influencé par le situationnisme de Guy Debord (1031-1994), auquel il adhéra durant les années soixante, ambitionnant de «changer le monde», puis fut le compagnon de route de l'aventure improbable du mouvement post-lacanien et sémiotique Renaissance, du psychanalyste italien Armando Verdiglione (né en 1944), il fut aussi - et en fait, surtout - celui qui comprit et exploita le mieux les enseignements de l'artiste fondateur de l'art moderne, Marcel Duchamp (1887-1968) - le «pataphysicien» qui sut faire la synthèse du postimpressionnisme, du cubisme et du fauvisme, du dadaïsme et du surréalisme, prônant l'hétérogénéité des moyens d'expression, le détournement des évidences, et qui, de ce fait, fut l'annonciateur de l'art contemporain dans ses dimensions minimalistes, conceptuelles et physiques.

La clef du voûte du système en était que c'est le «regardeur» qui fait l'oeuvre d'art et non pas l'artiste. Pour Philippe Michel, c'est le consommateur qui «fait» la marque, et non pas le fabricant. Les réseaux sociaux en apportent aujourd'hui tous les jours la démonstration. Philippe Michel avait pressenti, d'une part, ce que l'on appelle aujourd'hui «l'engagement» du consommateur (à savoir, non pas seulement une réaction en termes d’attitude ou d'opinion, mais une action en termes de comportement) et, d'autre part, qu'en fait, c'est la marque - et pas seulement un moyen de communication directe - qui devient interactive, projetant ainsi une représentation hybride à double face et évolutive de la marque émulsionnant en temps réel et en continu le positionnement désiré par l'annonceur avec le positionnement perçu et reformulé par un effet miroir déformant renvoyé par le consommateur récepteur à l'annonceur émetteur.

L'autre clef de Philippe Michel de l'efficience créative de ses campagnes reposait sur la question toute simple qu'il aimait poser aux dirigeants des sociétés clientes ou prospectes : «quel est votre droit au profit ?», imposant ainsi son rôle de conseil en stratégie d'entreprise en charge de l'activation de l'effet de levier à fort impact généré par l'actif immatériel qu'est la marque, l'une des plus importantes richesses de l'entreprise.

Faire de CLM une re-start-up

On ne peut que constater que l'on n'a toujours pas trouvé mieux aujourd'hui pour définir la «raison d'être» d'une agence de communication dite créative, et donc stratégique.

S'il est plus qu'évident que les patrons d'agence - de publicité comme du digital - auraient plus qu'intérêt à (re)lire le livre C'est quoi l'idée d'Anne Thévenet-Abitbol, publié alors chez Michalon, on ne peut qu'espérer que Fanny Vielajus, qui inventa le planning stratégique «à la française» aux cotés de Philippe Michel au sein de CLM, s'attelle à recueillir les souvenirs des uns et des autres, raconte cette saga, et rende compte dans un ouvrage pédagogique des multiples cas et campagnes qui firent l'histoire non seulement de cette agence, mais aussi de l'histoire de la publicité en France. Ce que l'on qualifia alors lors des festivals de Cannes de «French touch».

Espérons que nombreux - anciens de chez CLM, annonceurs, journalistes... - seront ceux qui apporteront leurs témoignages et anecdotes afin de venir nourrir un tel ouvrage que l'AACC et le Club des DA gagneraient à parrainer et à promouvoir auprès des étudiants comme des professionnels.

Et de rêver que BBDO fasse de cette agence CLM nouvelle génération une re-start-up, un laboratoire d'idées nouvelles, impertinentes, iconoclastes, paradoxales, bref, un nouveau «volcan créatif», une pépinière de «changeurs», une gare de triage des nouveaux talents au service des enseignes du groupe Omnicom. «Les idées naissent d'une minuscule collision, d'un frottement entre des fragments de concepts qui n'avaient pas l'habitude de se fréquenter», disait Philippe Michel.

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