Recrutement
Grands comptes, trading desks, entreprises de services du numérique… Tous s’arrachent les profils technos. Dans cette course à la data, les agences veulent se différencier par la qualité de leur politique de formation.

Trader média, développeur, data scientist, data engineer… Chez les annonceurs comme dans les régies et agences, on se dispute ces professionnels. Le fait n’est pas nouveau. « Les datas sont plus que jamais au cœur des innovations et process, souligne Yamina Moukah, fondatrice du cabinet de recrutement Cherche Susan Désespérément. Depuis trois à quatre ans, quel que soit le secteur, toutes les entreprises recherchent activement ces profils. »

La crise sanitaire n’a pas l’air d’avoir réfréné les ardeurs. « Certes, il y a un petit ralentissement des recrutements dans le marketing digital, mais sur la data et le développement, le marché reste en pénurie, avec toujours une pression forte, sinon exponentielle, sur les besoins, car les entreprises restent très en retard dans leurs recrutements », note Yamina Moukah. Pas de frein non plus à l’embauche détecté chez Golden Bees, site de recrutement via la publicité programmatique, loin de là. « Tous les métiers autour de la donnée sont en tension, avec des candidats en position de force, explique Jonathan Bordereau, son cofondateur. Nous-mêmes, en interne, avons recruté un trader média, un développeur full-stack et un business développeur pendant le confinement. Dans ces métiers, pour bien travailler, il suffit d’un ordinateur, d’une connexion internet et d’un VPN. En réalité, la Covid accélère le mouvement de digitalisation des entreprises. Les profils de l’adtech, très à l’aise avec le distanciel, tirent leur épingle du jeu. » Un mouvement qui concerne également les plus hauts postes, comme en témoigne la récente nomination du fondateur de Carat Interactive et Isobar, expert ès solutions programmatiques, Pierre Calmard, à la tête de Dentsu Aegis Network en France.

Des besoins importants

En attendant d’autres prises de pouvoir, les profils les plus recherchés en entreprise sont les spécialistes de la donnée, notamment des data analysts et data scientists, capables de traiter les informations pour anticiper les comportements des consommateurs et recommander ensuite les bonnes campagnes. « Un bon data scientist peut aujourd’hui encore être sollicité jusqu’à dix fois par jour », glisse Yamina Moukah. Moins demandés mais encore plus rares, les experts du deep learning et de l’IA font le bonheur des grands comptes. « Certaines grosses sociétés vont jusqu’à embaucher certains profils au cas où, pointe Jonathan ­Bordereau. Sans même avoir nécessairement de mission à leur confier. »

Plus généralement, le besoin de développeurs (front-end, back-end, full-stack…), d’UX designers, de bons commerciaux et de traders média reste constant. Ces derniers, qui recommandent et mettent en œuvre la stratégie programmatique par rapport au brief client (définition des KPI, budget, formats, supports, nature des différents ciblages…), doivent avoir bien des qualités. « Être experts tout en ayant une vision transverse, être très rigoureux et curieux, analytiques et créatifs, aimer les chiffres et sortir des sentiers battus, détaille Hélène Cestari, business partner RH chez Publicis Media. « Autonomes aussi et bien sûr plug and play », renchérit Souaade Agmir, directrice de la stratégie digitale de Publicis Media. Bref, de vrais moutons à cinq pattes !

Même problématique pour la partie engineering, où la technicité est nécessaire, mais loin d’être suffisante. « Elle n’est un atout que si l’on est capable de la partager et de faire en sorte que les équipes se l’approprient, considère Marie-Charlotte Brochard, responsable RH de Jellyfish France. Les soft skills sont tout aussi importantes : l’appréhension de l’environnement, la curiosité, l’autonomie, la capacité à s’autoformer, à faire de la veille… »

Trouver les perles rares… et les garder

Pour dénicher les talents, la concurrence est rude. « La majorité des recruteurs veulent les mêmes profils : des personnes ayant au minimum trois ans d’expérience, témoignant d’une certaine maturité professionnelle, souligne Jacques Froissant, CEO du cabinet Altaïde. Autant dire que ces perles sont en poste et que, avec le contexte actuel incertain, peu prennent le risque de partir. » Les chasseurs de têtes multiplient les approches pour ­attraper ces ­oiseaux rares du digital. Tous s’activent sur les réseaux sociaux professionnels tels LinkedIn ou Viadeo pour décrocher le précieux 06 du candidat. Beaucoup s’infiltrent sur les blogs spécialisés, comme GitHub ou Stack Overflow pour les développeurs. « Des cabinets s’en font régulièrement expulser. Il faut y aller sur la pointe des pieds et en étant le plus compétent et transparent possible », conseille Jacques Froissant. Les plus doués sont embauchés et débauchés par les grands comptes et les entreprises de la tech, notamment les « vendors » (data providers, DSP, DMP…). Les entreprises de services du numérique (ESN) raflent également souvent la mise.

Quid des agences média ? Pas simple d’attirer et de garder les meilleurs. « Il y a globalement une grosse pression sur les salaires et on ne peut pas toujours s’aligner », reconnaît Jean-Baptiste Rouet, président de la commission digitale de l’Udecam et CPO de Publicis Media. Il y a ensuite des attentes fortes de jeunes qui veulent évoluer très vite. « On arrive à garder nos seniors entre quatre et dix ans maximum, poursuit-il. Ils quittent ensuite généralement l’univers des agences. Sans qu’il y ait de surenchère de ce côté. Beaucoup d’agences ont revu leur politique de rémunération depuis deux ans en réalignant souvent les salaires pour mieux gommer les aspérités et éventuelles jalousies. »

Une politique de formation solide

En somme, fini les coups de folie pour se payer et faire rester les meilleurs. Comme si les agences étaient devenues de nouvelles écoles de formation in vivo, avant de rejoindre d’autres entreprises et/ou secteurs. « En agence, nous sommes à la fois très généralistes et très spécialisés, souligne Jean-Baptiste Rouet. Nous avons toutes les verticales métiers et toutes les technos. On y apprend vite et beaucoup. » Et l’on forme. « Au-delà de la qualité des projets que l’on peut leur apporter, les candidats recrutés disposent d’une politique d’accompagnement et de formation solide », explique Charlotte Desvernay, DRH du groupe Havas en charge d’Ekino, MFG Labs et Fullsix France. Ainsi, chez Ekino, une université d’apprentissage continu pour les métiers de l’adtech, Ekino.U, a été montée il y a un an. Des learnings à distance, des demi-journées de partage de connaissances, des formations certifiantes, des événements… « Plus de 300 ateliers d’échanges et séminaires ont été mis en place », indique Zou Chhim, responsable formation.

Même politique volontariste chez Publicis Media, qui dispose depuis 2018 de sa Programmatic Academy, un parcours complet de six mois pour développer et mettre à jour les compétences des collaborateurs en conseil et programmatique. En 2020, 290 certifications ont été obtenues avec des partenaires technos tels que DV360 (Google), Xandr, Teads, The Trade Desk, Verizon, Amazon… « Le digital évolue tellement vite que les formations ne peuvent pas toujours répondre aux besoins, note Souaade Agmir. Alors si les compétences ne sont pas disponibles à l’extérieur, à nous de les créer à l’intérieur. »

Et plutôt que de renvoyer comme il y a quelques années les collaborateurs sur les bancs de l’école, ceux-ci sont dorénavant incités à enseigner. Chez Publicis Media, quinze collaborateurs du digital interviennent au sein d’écoles telles que Sciences Po, l’Edhec, Audencia, l’Essec, l’EBG, Oreegami ou Digital Campus. « On les y encourage, confie Hélène Cestari. C’est l’occasion pour eux de mieux faire connaître leur métier et d’identifier des talents. » Et côté profil d’étudiants, les alternants reviennent en force. Publicis compte 72 contrats de ce type en cours. « De plus en plus d’agences font appel à des alternants, observe Vincent Pelillo, patron de Captify, qui vient d’en embaucher quatre. Ils sont opérationnels et compétents, et de notre côté, en finançant une partie de leurs études, nous faisons face à notre responsabilité sociale. C’est à se demander comment on n’y a pas pensé plus tôt. » Il n’est jamais trop tard pour bien faire…

Oreegami a tout compris !

D’un côté, des entreprises en mal de profils technos, de l’autre, des jeunes motivés qui ne demandent qu’à travailler. La synthèse se nomme Oreegami, une école gratuite qui forme aux métiers du marketing digital (trader média, business developer, data analyst…). Créée en 2018 en partenariat avec des agences, notamment Dentsu Aegis, Publicis Media et WPP, Oreegami a déjà formé plus de 200 personnes lors de sessions intensives et accélérées de trois mois. Moyenne d’âge des élèves : 29 ans, issus de tous horizons. Taux de retour à l’emploi : 95 % (85 % en période Covid), principalement en agences média et dans les start-up de la tech.

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