Étude
C’est un véritable audit du secteur qu’ont mené l’AACC et Les Lionnes avec cette enquête à laquelle ont participé 3 000 personnes et dont Stratégies dévoile en exclusivité les résultats. Cette enquête, qui photographie du fonctionnement des agences, permet de comprendre le chemin qu’il reste à parcourir.

C’est trop, encore beaucoup trop ! 60% des salariés d’agence ont déjà été témoins d’un fait de harcèlement ou d’agression en agence de communication. Et 47% déclarent avoir été victimes de harcèlement moral, de harcèlement sexuel, ou de harcèlement sexuel d’ambiance [situation où, sans être directement visée, une personne est témoin de provocations et blagues vulgaires ou obscènes qui lui deviennent insupportables].

«Nous sommes malheureusement très peu surprises par les résultats, constate Julie Régis, présidente des Lionnes. On parle de continuum des violences : à l’origine d’un fait d’agression ou d’harcèlement sexuel, il y a souvent un harcèlement d’ambiance, en général mal identifié et parfois diminué (“ça va on blaguait !”)».

 

Harcèlements

 Deux ans après la déferlante du #MetooPub, les chiffres restent accablants, dans cette enquête OpinionWay pour Les Lionnes et l’AACC, baptisée « L’État des Lionnes : baromètre du harcèlement sexiste, sexuel et moral dans la communication ». Même si l’on perçoit des signes d’amélioration sur le sujet du harcèlement sexuel : ainsi, à la question avez-vous été témoin de pratiques de harcèlement sexuel, 20% des répondants répondent par l’affirmative mais seulement 8% dans leur actuelle ou dernière agence, contre 14% dans des précédentes agences.

Le harcèlement d’ambiance recule aussi un peu puisque 17% ont vécu de telles situations dans leur agence actuelle contre 24% dans de précédentes entreprises. « Le problème a évolué dans le bon sens, même s’il reste des progrès à faire », confirme David Leclabart, coprésident de l’AACC.

En revanche le harcèlement moral reste à un niveau élevé : 28% dans l’agence actuelle ou dernière agence contre 29% dans des expériences antérieures. Il faut dire que le contexte économique très tendu dans les agences ne contribue pas à pacifier les relations.

 

« La pub, un rôle d'éclaireur »

Si cette étude a rencontré un très fort succès avec plus de 10 000 personnes qui se sont connectées et plus de 3 000 qui ont totalement rempli le questionnaire, c’est aussi parce qu’elle est portée conjointement par l’association des agences conseils en communication et l’association de lutte contre les harcèlements dans la publicité.

« On connaît surtout Les Lionnes par ses actions, comme nos collages musclés, s’agace Julie Régis présidente des Lionnes, mais nous avons toujours beaucoup insisté sur notre volonté de transformer l’industrie. On adore nos métiers, on adore nos talents… Avec cette grande consultation destinée à objectiver le sujet, on retrouve le côté précurseur que doivent cultiver les agences, la pub rejoue son rôle d’éclaireur. »

David Leclabart, président d’Australie.GAD, ne dit pas autre chose : « Lorsque nous avons pris l’intérim de l’AACC [à la suite de la démission de Laurent Habib, visé par des accusations de harcèlement], deux sujets étaient, à nos yeux, prioritaires : les États Généraux de la Publicité, que nous ne voulions pas laisser en souffrance, et, évidemment, le harcèlement. Nous avons appelé les parties prenantes, Les Lionnes et Balance ton Agency, et sommes tombés d’accord sur le fait qu’il était essentiel de lancer un baromètre pour mesurer l’état de la situation, et avoir un outil pour jauger dans le futur si les actions fonctionnent ou pas. Notre industrie est fortement attaquée et nous souhaitons créer une solution durable qui pourrait être utilisée par d’autres. » D’ailleurs cette enquête très très complète ausculte aussi les sujets de l’égalité hommes/femmes, de la parentalité, de l’équilibre vie professionnelle/vie privée.

 

Fort besoin de formation

Ce que révèle l’enquête c’est aussi un très fort besoin d’information et de formation car les salariés n’ont toujours pas les bons réflexes. Ainsi quand il s’agit d’alerter par rapport à un fait de harcèlement, 50% préfèrent en parler à un collègue plutôt que de prévenir un supérieur (43%), la direction (35%) ou une personne au sein des ressources humaines (21%).

« Je suis troublée par le niveau d’information des répondants, qui paraît largement insuffisant, relève Bertille Toledano, la présidente de BETC. Même sur les questions de procédures anti-harcèlement, les gens ne savent pas comment s'y prendre. Nous avons un très gros travail à faire. »

Ainsi, ils ne sont que 31% à avoir entendu parler de la ligne d’écoute et d'accompagnement au harcèlement sexuel ou moral en agence proposée à l'AACC, 35% à connaître le guide de l'AACC « Agir ensemble contre le harcèlement sexuel ou moral en agence ». 58% des répondant.e.s, en revanche, disent être familiers du travail des Lionnes.

 

Inégalités salariales
Julie Régis relève également la différence de perception entre hommes et femmes sur tous ces sujets. Une différence de jugement – et très certainement, de vécu - particulièrement criante lorsqu’on aborde la question des inégalités salariales : ils sont 63% à estimer être « ni mieux ni moins bien payés que leurs collègues du sexe opposé » et 7% à déplorer « être moins payés que leurs collègues du sexe opposé ». Les femmes, elles, ne sont que 35% à juger que leur niveau de rémunération est égal à celui de leurs collègues masculins, et 29% à pointer une inégalité de salaire vis-à-vis de leurs homologues du sexe opposé…

« Je ne pensais pas que dans notre industrie il y avait un tel décalage de perception entre hommes et femmes, alors que j’ai l’impression que c’est un métier très mixte, où nous travaillons côte à côte au quotidien », dit Bertille Toledano.

 

Fuite des talents

Enfin, cette étude pointe aussi en toile de fond une fuite des talents importante, en particulier de femmes désillusionnées. « Jusqu’ici nous étions dans un métier darwinien : ou tu étais fort et tu progressais, ou tu sortais, note Bertille Toledano. Nous sommes en train de changer nos perceptions mais la pression incessante sur les honoraires n’aide pas ». Cette mue de la com est la condition indispensable pour rester un secteur attractif. « Car les top managers voient déjà arriver une génération qui a des nouveaux standards vis-à-vis du bureau : environnement “safe”, équilibre vie professionnelle/vie privée... », conclut Julie Régis.

 

 

Webconférence : jeudi 22 avril à 11H

Harcèlements en agences, l'état des lieux

Strategies x Les Lionnes x l'AACC

Inscriptions : http://ow.ly/wIWA50EpwyG

Méthodologie de l’enquête

L’enquête OpinionWay pour Les Lionnes et l’AACC, baptisée « L’Etat des Lionnes : Baromètre du harcèlement sexiste, sexuel et moral dans la communication », a été menée du 14 janvier au 22 février 2021 et concerne plusieurs populations. Toutes les professions d’agences sont représentées : commercial et conseil (36%), création (19%), média (9%), finance/RH/services supports (8%), production (6%)… La consultation se penche aussi sur ce que l’on appelle « les ex-agences » : à 85 % des femmes, ces répondant.e.s ont exercé dans la communication dans les trois dernières années, mais ont quitté l’industrie. Si 10 000 personnes se sont connectées, plus de 3 000 ont répondu totalement à l’enquête.

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