Création publicitaire
Au terme d’une édition digitale couvrant deux années, crise sanitaire oblige, les Cannes Lions 2021 ont servi de révélateur tant pour les agences françaises que pour les marques, qui introduisent massivement les causes sociétales dans leur communication.

Forcément, sans la brise marine et la liesse nocturne caractérisant habituellement la Croisette fin juin, les Cannes Lions 2021 ont paru bien fades. D’autant plus après une édition 2020 purement et simplement annulée. S’il faudra donc attendre au moins un an pour retrouver la grand-messe de la création publicitaire sous une forme plus festive, le bilan de l’édition 2021 est remarquable à plusieurs égards. À commencer par la performance majuscule des agences françaises, qui décrochent quatre Grands Prix dans un contexte de sélection drastique des dossiers par les annonceurs.

Autre tendance notable pressentie en 2019 et confirmée cette année : les marques préemptent désormais largement les sujets de société et les récompenses qui vont avec, comme l’illustre le palmarès. Focus sur cinq enseignements clés relevés à l’occasion d’une semaine pas si circonstancielle qu’il n’y paraît.

  • Grands Prix : cocoricos en série

Le chant du coq a retenti quatre fois. Outre BETC et Lacoste dans la catégorie Film avec « Crocodile inside », les Français ont brillé. Ce sont ainsi trois autres agences qui décrochent le graal, à commencer par McCann Paris et Spinneys&The libanese breast cancer dans la catégorie PR pour l’opération « The bread exam », qui rafle un Grand Prix et réalise plus largement un carton plein avec 3 Gold, 3 Silver et 4 Bronze. Un plébiscite qui s’explique selon Cédric Astrella, executive creative director au sein de l’agence. « Cette campagne a permis de trouver une réponse à une question de santé publique non-solutionnée jusqu’alors au Moyen-Orient », développe-t-il quant à opération dont la mécanique a permis de « contourner la barrière du tabou ». Autre agence récompensée, Marcel Paris, avec « Act for food », développé pour Carrefour. Il s’agit même de la deuxième récompense suprême en trois ans pour l’enseigne de grande distribution et l’agence du groupe Publicis, après « Black Supermarket » en 2019. Une fierté pour son président Pascal Nessim, qui plus est « dans une catégorie Creative Business Transformation qui rejoint le “motto’’ de l’agence consistant à développer des objets publicitaires qui cassent les standards et les idées reçues ». L’ultime Grand Prix tricolore revient quant à lui dans la catégorie Outdoor à Publicis Conseil et Renault pour « Le village électrique ». Un résultat qui vient valider la stratégie de l’agence ayant recruté à dessein Marco Venturelli il y a un peu plus de deux ans. « On peut parler d’objectif atteint, d’autant qu’il ne s’agit pas d’un coup monté spécialement pour les Cannes Lions mais d’une opération de grande envergure aux airs de test-drive ultime, qui a nécessité beaucoup de courage et de moyens côté Renault », commente le président en charge de la création.

  • Loin des yeux, loin du cœur

En tant que juré dans la catégorie Direct Lions, Gilles Fichteberg, cofondateur et chief creative officer de Rosa Paris, peut en témoigner. « Une édition 100 % digitale comme cela a été le cas ne peut être qu’un substitut. L’aspect le plus enrichissant, c’est de pouvoir partager avec les autres membres des jurys et les meilleurs professionnels de notre secteur, échanger des clins d’œil et des regards, se comprendre à mi-mots… De ce côté-là, l’édition 2021 s’est avérée infiniment moins humaine que par le passé. Espérons donc que cela ne soit que temporaire », rembobine le dirigeant, pointant également une édition très particulière en raison des conséquences de la pandémie. « En réalité, on peut plutôt parler de deux éditions en une », considère-t-il, alors que les agences ont présenté au total 29 074 campagnes, soit un bond de +15 % par rapport à l’an passé. Ce total reste toutefois inférieur à celui de 2019 (30 953) et illustre la réduction constante du nombre de campagnes inscrites puisque le total dépassait encore les 40 000 entrées en 2016 (43 101) et 2017 (41 170).

  • Une édition particulièrement sélective

Même si la crise a affecté frontalement le secteur publicitaire à travers le monde, en particulier à l’occasion d’un premier confinement de grande ampleur, les marques n’ont jamais vraiment cessé de communiquer. D’où un volume de dossiers particulièrement élevé cette année. Conséquence : « les agences et les annonceurs ont adopté une procédure très sélective, en tout cas plus qu’au cours d’une année traditionnelle », relève Gilles Fichteberg, bien placé pour le savoir. Résultat de cette sélection à l’entrée, « le niveau global des travaux présentés a été plus élevé que jamais », avance Marco Venturelli, évoquant « des opérations plus incroyables les unes que les autres ». « Même si Cannes est devenu un peu plus sérieux ces dernières années sous l’influence anglo-saxonne, la qualité et la densité créatives que l’on y trouve restent inégalées », complète-t-il.

  • Les grandes causes, un casse-tête récurrent

C’est un serpent de mer qui devrait rapidement refaire surface. Confronté à une dérive historique consistant à récompenser les opérations en faveur de grandes causes au détriment des opérations commerciales, les Cannes Lions avaient dû revoir leur copie à la fin des années 2010, créant une catégorie spécifique. Quelques éditions plus tard, force est de constater que tel le sparadrap du capitaine Haddock, la problématique demeure scotchée à l’événement. Une rapide estimation fait ainsi état de près de 75 % de campagnes récompensées cette année reliées à une cause, au sens large du terme. « La question qui se pose finalement, c’est de savoir si l’on récompense la cause ou l’exécution créative », interroge Gilles Fichteberg, cofondateur de Rosa Paris, surlignant une forme de « flou artistique » à date. « Honnêtement, aujourd’hui, il faut les deux aspects pour être en mesure de remporter des prix. A fortiori un Grand Prix », tempère Marco Venturelli, concédant faire face à « des jurés peut-être plus cyniques qu’autrefois face à la sincérité des prises de parole » des marques.

  • Un engagement sociétal préempté par les marques

Si la tendance cannoise ayant bénéficié aux opérations de charity est censée être de l’histoire ancienne, une bascule est en train de s’opérer. Les grandes causes sociales ayant permis aux ONG et autres associations d’occuper les premiers rôles dans un passé encore récent, sont désormais investies massivement par les annonceurs. En témoigne le palmarès des Cannes Lions 2021 qui, avec « True name » de Mastercard ou « Wombstories » signé de l’agence AMV BBDO, a consacré des communications de marques engagées. « Les campagnes sociétales ne sont pas un phénomène de mode. C’est une nouvelle façon de communiquer et, in fine, de vendre », rappelle à toutes fins utiles Marco Venturelli, quand Pascal Nessim applaudit des deux mains les avancées récentes. « Les marques se montrent beaucoup plus courageuses que par le passé. Le cas de la campagne “Moldy Whopper” de Burger King en est la parfaite illustration. Un consommateur comprend aujourd’hui qu’un produit qui pourrit est une bonne chose car cela signifie moins de conservateurs et donc moins de risques pour la santé. Ce type de campagnes était encore inimaginable il y a quelques années », éclaire le président de Marcel Paris, pour qui « la publicité doit continuer à faire évoluer les mentalités ». Un filon que les marques devraient encore plus largement exploiter en 2022.

 

Lire aussi : Cannes Lions 2021 : le bilan des agences françaises en infographie

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