Événement

L'ancienne conseillère en communication de Jean Castex a rejoint depuis septembre la coprésidence d’Havas Paris. Dans une interview exclusive, elle explique sa feuille de route et revient sur son expérience au service du Premier ministre.

Après deux ans à Matignon, vous rejoignez Havas Paris, en tant que coprésidente, à un moment où l’agence traverse une crise liée à #MeToo, qui a abouti au licenciement de l’ancien directeur de la création de l’agence, Christophe Coffre, début juillet 2022. Qu’est ce qui a vous a poussé à accepter de relever ce défi ?

Je n’avais pas envisagé de poursuivre mon parcours en cabinet ministériel au-delà des deux ans, et m’étais donc projetée dans un retour dans le privé après mai 2022. J’avais envisagé de monter une société de conseils aux dirigeants, aux personnalités et à ce moment-là, j’ai rencontré Yannick Bolloré et Stéphane Fouks qui m’ont proposé de revenir. C’est là que la magie opère et que l’on voit la force d’une maison comme Havas, qui a quelque chose de très familial. J’aimais cette maison, mais lorsqu’en plus ils m’ont proposé d’y conduire un projet de transformation avec Julien Carette, j’ai été immédiatement séduite. Vous parlez de défi : mais c’est précisément pour cela qu’ils viennent me chercher. Ils savent que je suis une femme de missions et non de gestion. Quant au contexte que vous évoquez, cela a ajouté à ma volonté de revenir. Pourquoi ? Pour une raison très simple : j’aime cette boîte et j’y ai été heureuse. Je veux transmettre cet enthousiasme aux clients comme aux talents qui y travaillent ! Est-ce que le fait que je sois une femme a joué ? Sans doute. Je vais même aller plus loin : le fait que je sois issue de la diversité, comme on dit, a sans doute joué un rôle aussi. Très bien, je l’assume, j’en suis fière, et je crois à la force des symboles, même si les symboles ne suffisent pas.  

Vous avez rejoint l’agence en septembre, comment avez-vous été accueillie dans ce contexte difficile ? 

En premier lieu, on ne peut pas parler de cette crise sans penser aux femmes qui ont témoigné. Et ce n’est pas faire montre de démagogie que de dire que le contexte #metoo a permis une libération salvatrice de la parole. On peut aussi s’interroger sur le fait qu’elles en viennent à témoigner anonymement sur des réseaux sociaux, alors que des dispositifs existent. Sans doute la société n’était-elle toujours pas assez à l’écoute. Mais je vais vous dire : la crise que l’agence a traversé, à un moment où elle était en pleine croissance et où les fondamentaux économiques étaient très bons, a surtout touché les collaborateurs, qui ont très résilients et qui se sont serré les coudes. De même, les clients ont été très présents et en soutien. J’arrive pour ma part début septembre, plusieurs mois plus tard, et le climat était apaisé et tourné vers le changement.  

Comment allez-vous agir ? 

Soyons honnêtes : ce qui me réconforte c’est que je ne connais pas une boîte, pas une, qui ait réagi aussi fort et aussi rapidement. Et qui se saisisse d’une telle crise pour en faire une opportunité de transformation. Mise en retrait, enquête par cabinet d’avocats indépendant, ASW, mise à disposition d’un numéro vert anonyme gratuit 24 h/ 24, et enfin, changement de gouvernance : Havas Paris a fait ce qu’il fallait faire.  

Mais nous voulons aller encore plus loin et devenir exemplaires en termes de qualité de vie au travail, d’égalité et de modernité. En somme, nous allons nous appliquer nous-mêmes ce que nous recommandons aux clients ! Un cabinet, Beyond Performance, nous accompagne dans ce projet collaboratif que nous avons appelé é-changeons, sur la qualité de vie au travail, mais aussi l’implémentation de la culture de l’idée et de l’innovation dans notre modèle d’organisation. Le travail est encore en cours et aboutira aux alentours de Noël. Nous sommes désormais tournés vers l’avenir. 

Lire aussi : Nouvelle organisation à Havas Paris

Vous avez aussi choisi de réorganiser la création de l’agence…  

Un des objectifs de la transformation, c’est de monter sur le podium en termes d’exigence créative. Nous avons accueilli Séverine Autret, jusqu’ici co-présidente de Fred & Farid, qui vient en tant que vice-présidente en charge des activités créatives et publicitaires. Elle a fait du retail, de l’automobile, de la distrib… Elle a un background international, une grande exigence et grande bienveillance hors du commun. Et accessoirement, c’est une femme, et c’est important pour moi. 

Nous avons également promu Stéphane Gaubert, désormais directeur de la création de l’agence. C’est quelqu’un de très moderne dans son approche, multi-primé, très bon manager, avec une exigence de la création et du craft inégalable sur le marché. Il a d’ailleurs participé au renouveau créatif d’Havas Paris.  

La création publicitaire c’était le supplément d’âme des agences, est-ce toujours le cas aujourd’hui ?   

La création est challengée par d’autres secteurs. Je pense évidemment aux séries télé, aux Gafa, au spectacle vivant : les stand-uppers par exemple sont une vraie mine créative. Et puis regardez ce qu’il s’est passé sur le marché en 2022 : C’est qui le Patron, pack de lait le plus vendu sans aucun recours à la publicité ou aux PR. TikTok, site le plus consulté devant Google ou Facebook en 2022 alors qu’il n’existait pas il y a cinq ans… Nos métiers doivent se réinventer pour être encore plus créatifs. C’est d’autant plus important dans un monde où les gens considèrent la publicité comme une intrusion. Où les entreprises affrontent une crise de recrutement et les jeunes interrogent le métier. Où, enfin, l’opinion publique accuse les agences d’alimenter un modèle consumériste dont plus personne ne veut. Dans ce monde-là, nous devons montrer que nous sommes plus intéressants qu’intéressés.  Nous devons montrer, parfois, rappeler, souvent, que la com éveille les consciences aux grands enjeux sociétaux et qui guide les changements de comportements. Que c’est elle qui éclaire le citoyen consommateur, le consom’acteur, pour lui permettre de faire des choix en conscience. Que c’est elle enfin qui rassemble en tant de crise, par exemple en permettant de garder le lien entre les entreprises et les collaborateurs pendant le COVID. C’est cela la beauté de notre métier. 

Comment vous définiriez la personnalité d’Havas Paris aujourd’hui ?  

Je dirais qu’Havas Paris est une tribu composée d’avocats, d’architectes et de scénaristes ! Quand on a une entreprise de la taille de Havas Paris (NDLR : 450 salariés) cela nous donne la capacité de tenter des choses et d’être un laboratoire d’innovation y compris sociétale, business, ou encore organisationnelle. Et cette capacité d’innover est pour moi la plus grande des libertés.  Quelle liberté de pouvoir à la fois lancer d’aussi belles campagnes pub que celles de KFC, d’organiser les Journées particulières avec LVMH, de travailler sur le rapprochement de Veolia avec Suez, tout en gérant les relations presse d’Engie… ! C’est une agence libre, mais aussi puissante : parce que par sa culture de l’idée, elle aide les entreprises à transformer la société. 

Havas Paris, au fond, est un véritable observatoire des marques dans la cité. Est-ce que vous connaissez un autre endroit qui est à ce point un carrefour entre des patrons, des ONG, des journalistes, des DRH, des collaborateurs, des humanitaires… Ca nous donne une responsabilité : celle de transformer la polémique en débat. Celle de faire de la dispute une véritable conversation. Celle de contribuer à ressouder les liens dans une société très fracturée.  

Mais Havas Paris, si elle a une colonne vertébrale, n’a pas une personnalité figée. Je crois que le changement doit être permanent et  inscrit dans l’ADN d’une agence qui veut rester en pointe, aux avant-postes, pour capter les signaux faibles d’une société. Au fond, cette agence, c’est une force de frappe inégalable, une expertise puissante, reconnue, c’est une culture créative en mouvement. Mon objectif est d’y apporter une pointe de radicalité pour faire de son pouvoir un véritable pouvoir magique. Ce n’est pas simple, parce que se pose la question de comment être radical sans être manichéen ? Mais la radicalité a une grande vertu : elle dit quelque chose d’une époque et porte les germes des attitudes à venir.  

Voir aussi : Havas Paris pour KFC - "Origins" - Octobre 2022

Avant Havas Paris, vous avez été la conseillère en communication du Premier ministre, Jean Castex, pendant deux ans. Que retenez-vous de cette aventure qui s’est déroulée en pleine pandémie ? 

Jean Castex est quelqu’un qui ne venait pas forcément de ma famille politique et pourtant, j’ai tout de suite apprécié chez lui, et ça ne s’est pas démenti par la suite, un immense sens de l’intérêt général et un être humain d’une exigence mais aussi d’une bienveillance inégalable. Beaucoup parlent de l’enfer de Matignon, je ne l’ai pas vécu du tout comme cela J’ai vécu deux années extrêmement intenses, un vrai marathon physique : la notion de jour, de nuit, de jour férié ont déjà peu de sens en temps normal en cabinet ministériel, mais alors en temps de crise, ces notions n’existent plus du tout. Et c’est normal : on est là pour l’intérêt général, ce n’est pas une promenade de santé. 

Comment avez-vous fait évoluer l’image de Jean Castex ? 

Pour qu’une image de marque prenne, la communication doit nécessairement s’appuyer sur l’existant. Un communicant politique, un spin doctor, ne peut pas changer une personne ou une marque du tout au tout. C’est présomptueux et ça ne marche pas. Faire le récit du réel, oui, accompagner le réel, oui, tordre la réalité, jamais. Ça ne marche tout simplement pas. Au fond que Jean Castex véhicule une image vintage, bon esprit, chef d’équipe de rugby en gros, pourquoi ça fonctionne ? Pourquoi devient-il la deuxième personnalité préférée des Français aujourd’hui ? Parce que c’est lui. Je n’ai rien inventé ! Je ne lui ai pas dit : modernisons l’ensemble, trouvons une veste en cuir et un jean slim, et défilons pour Prada !

L’époque est à la parole vraie, à l’exigence de transparence, et si vous ne la racontez pas, elle vous sera imposée. Cela oblige à une authenticité dans le récit …et quelque part, tant mieux ! 

Comment êtes-vous arrivée dans la com ? 

Je rêvais d’être journaliste, sans doute par mimétisme familial : mon père était écrivain journaliste. Je suis tombée dans la com un peu par hasard, à l’issue de mes études où d’ailleurs, pour la petite histoire, j’ai suivi un cours qui se passait chez Euro RSCG à l’époque et mon rêve était d’intégrer l’agence comme stagiaire. J’ai envoyé un CV, je n’ai jamais eu de réponse (rires). J’ai enchaîné les stages dans le secteur public et institutionnel et c’est comme ça que je suis tombée dans la com. J’ai toujours eu le virus de la politique, là encore sans doute par mimétisme familial : mon père était un militant communiste dans l’Egypte des années 50. Ce virus était un intérêt, une envie de servir mais jamais une envie d’être élue. J’ai fait des notes pour la campagne en 2007 puis en 2012, j’ai intégré la campagne de François Hollande. J’ai à l’époque écrit un message sur Facebook à Marisol Touraine. Pourquoi elle ?  Je crois que cette figure féminine, qui semblait habitée par ses convictions, m’avait bluffée. A ma grande surprise, elle m’a répondu. Pour la petite histoire, le jour où je suis allée la rencontrer dans son bureau à l’Assemblée, dans un coin de son bureau, il y avait un stagiaire qui s’appelait Gabriel Attal. C’est comme ça que s’est noué une grande amitié, d’ailleurs. Marisol Touraine m’a proposé de rejoindre sa campagne, et j’ai intégré l’équipe de com alors dirigée par Manuel Valls. 

Et ensuite vous avez rejoint Havas pour la première fois… 

Des années après, fin 2016, oui. Quelques mois avant la fin du quinquennat, mon projet était plutôt d’intégrer une entreprise. J’avais alors fait le constat que le pouvoir avait beaucoup basculé du côté des entreprises : parce qu’elles ont le pouvoir du temps (sans être tenues en permanence par l’échéance d’un mandat), le pouvoir de l’argent, le pouvoir de dépasser les frontières... Et au fond là où les grandes idéologies, les grandes religions, les grands syndicats représentatifs de la population ont disparu, on peut se demander quel lieu qui rassemble les gens et créé de la cohésion ? Sans doute l’entreprise. Je suis entrée chez Havas Paris comme partner et je suis devenue DGA au bout de quelques mois. Je suis restée quatre ans, à cheval sur des sujets nationaux et internationaux : compagnies aériennes chinoises, le tourisme d’Arabie Saoudite (Al Ula), Novartis, des entreprises françaises internationales comme L’Oréal, Engie ou Sodexo, par exemple, ou même européennes comme Doctolib. J’ai beaucoup apprécié cette période. 

Lire aussi : Le groupe Havas souscrit un contrat climat en France

Quel peut être le rôle de la com dans ce monde post-covid ? 

Montrer l’utilité. Mais la notion d’utilité a changé de sens. Toute marque communique sur son utilité. Mais nous sommes passée de l’utilité pour soi, individuelle (pour son bien-être, sa beauté, son alimentation) à l’utilité collective, pour les autres (pour la planète, pour les producteurs, pour lutter contre les discriminations, etc.). Je crois en la force du métier : celui d’aider à montrer cette utilité et accompagner la transformation de la société, que ce soit dans le public ou dans le privé. Est-ce que le quotidien dans ces deux secteurs est le même ? Non. Est-ce que la finalité est la même ? Dans une certaine mesure, oui. Je ne suis pas naïve sur la finalité business et d’ailleurs, notre rôle d’accompagner la transformation du business de nos clients… Mais les temps ont changé, et les dirigeants comme les marques ont compris que pour attirer des collaborateurs, pour fidéliser des clients, pour créer de la valeur, tout simplement, ils devaient miser et communiquer sur leur utilité sociétale en coalition avec le secteur public. Je crois que la com a un superpouvoir. Je crois en son pouvoir d'entraînement, de mobilisation, d’action. Je crois en sa capacité à faire bouger les lignes, à redonner des marges de manœuvre, à changer la donne.  

Parcours

1982. Naissance de Mayada Boulos.

2002. Elle démarre sa carrière en agence de communication (Adocom puis Stratis).

2004 2005. Chargée de mission du Ministère des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes.

2005. Chargée de communication CNFPT – Centre National de la Fonction Publique Territoriale. Elle rejoint la HALDE en qualité de directrice de la communication adjointe auprès de Louis Schweitzer.

2010. Responsable de la Communication de la Cité des Sciences et du Palais de la découverte auprès de sa Présidente, Claudie Haigneré.

2012. Conseillère communication et presse de Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales, de la santé et des Droits des Femmes.

2016. Elle rejoint l'agence Havas Paris en tant que Senior partner et directrice générale adjointe. 

2020. Conseillère et cheffe du pôle communication auprès du Premier ministre Jean Castex.

2022. Elle revient chez Havas Paris en tant que co-présidente exécutive.

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