[Tribune] Nos métiers de la création ont changé mais pas autant qu’on se plait à le dire. À nous, agences, de montrer aux jeunes ce qu'on a à leur offrir, sans les lâcher dans un grand fourre-tout de la création.
J’ai toujours vu BETC comme un campus. Un endroit où l'on apprend, on grandit, où l'on croise des gens talentueux, cultivés, inspirants, décalés, courageux, astucieux, mais toujours différents de ce qu’on pourrait trouver ailleurs que dans une agence de communication. Une entreprise humaine, qui croit en la culture et en sa culture, un endroit d’expérience dans lequel le boulot n’est qu’une partie du travail. Mais discutez avec des créatifs français et vous verrez, ce n’est pas la fête. Trop dur. Trop courts les délais. Trop de réunions. Trop d’allers-retours. Trop de mépris pour le travail. Trop de discussions stériles, trop de compromis.
Fondamentalement, le métier a changé pour les créatifs à plein d’égards, mais pas autant qu’on se plait à le dire. Les assets à produire se sont multipliés, mais il y a toujours eu dans nos métiers une partie de conception/réflexion pure et une partie plus exécutionnelle. Ce ne sont pas les mêmes talents, les mêmes expertises. Là où l'on dit « les créatifs », c’est en fait un terme générique qui englobe un très grand nombre de profils très différents, en termes de sensibilité, de compétences et de formation. La frustration globale provient du fait qu’on demande beaucoup de choses aux créatifs, trop en effet, parce qu’on a un peu tout mélangé. Tout confondu. Le fond et la forme, les prototypes et la réplication d’un format, les vrais big ideas et les ficelles.
Nos clients, ce sont nos audiences
Tout un pan de l’intérêt de nos métiers de création a été zappé par une sorte de mise en équation un peu bébête de ce qu’il convient de dire, comment le dire et comment le faire. La nonchalance, l’humour, le droit à dire des conneries, l’insolence et même, je vais vous dire, la simplicité sont devenus rares. C’est bien dommage dans le sens où ce sont certainement les ingrédients qui aboutissent très souvent à des idées neuves, surprenantes, qui arrêtent un moment le flot des milliers de messages qui nous bombardent. Des idées, des exécutions qui touchent leur cible, impactent, font changer des comportements. Le ROI, les créatifs ça leur parle, c’est leur métier, c’est la raison même de leur fonction. C’est la raison pour laquelle nos métiers de création vivent une forme de schizophrénie : ce qu’on like sur les réseaux, ce qui nous fait rire quand on regarde Le Flambeau, ce qui nous émeut lorsqu’on va voir une expo, tout cela, il faudrait qu’on l’oublie, voire qu’on fasse l’inverse une fois franchie la porte de l’agence ? C’est pire que contre-intuitif, c’est contre-productif.
Nos clients, ce ne sont pas les annonceurs, ce sont nos audiences. Ce sont eux qui achètent nos idées. Ou pas. Passons plus de temps à comprendre ce que les audiences sont prêtes à entendre des marques plutôt qu’écouter uniquement ce que les marques ont à dire. C’est là qu’interviennent les créatifs : notre raison d’exister est de traduire le langage des marques dans une forme ramassée, percutante, sincère et ce sans jamais oublier le fond de ce qu’elles veulent dire. C’est un art mineur qui s’apparente aux chansons d’amour si vous voulez. C’est un bien joli métier.
Les métiers de création ont beaucoup à offrir aux jeunes. Par la diversité de ces métiers, plus ou moins techniques, plus ou moins conceptuels. Les questionnements globaux de sens, d’éthique, de sincérité sont clé, pour eux, pour nos clients, pour nos audiences et pour notre société en général. Les jeunes ont beaucoup de choses à nous offrir, à nous, agences, à nous apprendre. À condition de bien comprendre comment fonctionnent ces métiers aujourd’hui, et de ne pas lâcher les jeunes dans un grand fourre-tout appelé la création. C’est un métier, qui sous-entend une formation, souvent longue et précise, et un encadrement qui doit être consistant et inspirant. Donner du sens à ces métiers, c’est redonner du sens à toute notre industrie.
