DISPARITION

Après la disparition de cette pionnière de la publicité française, Mercedes Erra, fondatrice et présidente du Groupe BETC, rend hommage à «Marie-Cath» et à ce qu’on ne voyait pas d'elle.

Ce qu’on voyait, c’était une présence vive, lumineuse. On entendait ce diminutif, Marie-Cath, et il convoquait immédiatement son image : sûre d’elle, forte, incisive. Comme la femme de Rodier, elle assurait, Marie-Cath, une des premières filles de pub. Trois syllabes qui resteront sa marque, son empreinte, et qui diront, pour longtemps encore, créativité, élégance, esprit.

Et puis aussi ce look, cette fille qui avait la beauté du diable, magnifique. Les yeux tellement clairs, les cheveux tellement blonds, et ce style qu’elle n’a jamais désavoué, où se mélangeaient le vestiaire Saint Laurent, le cuir, les chemises blanches, les créoles en or. Ce n’était pas seulement l’époque, c’était son style.

Ce qu’on voyait, c’était aussi son sourire, ses franches rigolades, sa façon d’écarter les ennuis avec panache, et d’y aller, comme si rien n’était grave. Elle riait avec et comme les garçons. Sa beauté venait de ce mélange de masculin et de quelque chose de plus fragile, qui affleurait sous les vestes épaulées et le cuir.

On en arrive à ce qui ne se voyait pas. Ce qui ne se voyait pas c’était le combat.

Combat pour entrer en publicité, déjà, alors que son père Jean-Pierre Dupuy désapprouvait son arrivée à l’agence, redoutant le syndrôme de la fille à papa. Il a fallu qu’elle impose sa volonté de faire ce métier, qu’elle se l’autorise, elle-même, alors que deux générations d’hommes de sa famille s’y étaient amplement illustré. De fille à papa, elle est devenue fille de pub, à la force du poignet, s’imposant dans un univers qui, s’il ne collait pas en tous points à la caricature de mad men, était un monde d’hommes. Un rejeton masculin de la dynastie Dupuy ne se serait-il pas tout de suite senti chez lui, chez Dupuy Compton, puis chez Dupuy Saatchi ? Elle, rien ne lui a été donné d’avance, elle a gagné sa place chez elle.

La «maison» familiale avait une folle allure, bâtiment des années soixante-dix – fenêtres alvéolées et mélange de briques et d’aluminium. C’est là que je suis entrée en publicité, moi aussi, au 30 boulevard Vital-Bouhot sur l’île de la Jatte à Neuilly. Avec moi, elle a tout de suite été aidante, supportive, cherchant à me faciliter la tâche, comme si elle avait une conscience aigüe de ce que le parcours réservait à une fille.

Une haute idée de notre métier

Elle s’est toujours battue avec sa plume, acérée, fine, spirituelle, brillante, et ses idées. Je regarde cette photo où ils sont tous les 4, les fondateurs de BDDP, et elle est là, vaillante, à côté d’eux. Quelque chose dans son regard dit aussi : seule. Chacun peut imaginer que son initiale ne s’est pas posée en douceur au fronton de cette belle agence qui a bouleversé le marché au milieu des années 80, ouvrant une brèche française, neuve, fraîche, dans le paysage. Avec BDDP, elle fait mentir ceux qui la prennent pour une héritière. Elle signe des campagnes cultes. Elle se bat pour la création, et elle se battra toujours pour ça, jusqu’au bout, au club des AD où elle a été une formidable présidente. Elle avait une haute idée de notre métier, qu’elle défendait avec vigueur.

Chez BDDP, elle voulait que je la rejoigne, mais ç’aurait été pour moi abandonner l’agence de sa famille dans un moment critique, et j’ai dit non. Mais j’ai toujours senti qu’elle était là. Là à mes débuts. Là quand moi aussi j’ai mis le E de Erra entre les initiales de deux transfuges de BDDP, et qu’elle regardait notre aventure avec bienveillance, songeant sans doute que c’était à peu près la même que la sienne, une décennie plus tard. Il y avait toujours, venant d’elle, ce soutien incroyable, des mots, des signes d’extrême positivité. Elle avait inventé la sororité il y a des années. 

Tout en aimant les hommes. Ses hommes, elle les a rencontrés dans la publicité. Elle choisissait des pointures, des monstres sacrés. Elle aimait leur force, leur intelligence. Elle a dû être une grande amoureuse, et, dans cette quête, elle ne s’est pas épargnée, elle s’est exposée, brûlée parfois. Je ne suis pas sûre qu’elle y ait trouvé tout ce qui aurait pu la conforter, la consolider. En amour, elle était entière, jusqu’au-boutiste. Peut-être aurait-elle été la femme d’un seul, mais cela n’est pas arrivé.

Elle n’était pas née féministe mais quand une femme se bat, quand elle a un enjeu d’existence et de reconnaissance, elle le devient. Ce fut son cas. Celle qui avait été «homme de l’année» à une époque qui n’avait pas encore inventé l’écriture inclusive, celle qui s’est battue pour la création comme aucun homme, alors que le métier était et est encore si masculin, celle qui savait exiger et protéger, celle qui régnait sur une véritable pépinière créative, l’a-t-on vraiment reconnue à l’aune de son talent, l’a-t-on vraiment remerciée de tout ce qu’elle a transmis, l’a-t-on assez fêtée, admirée, le temps qu’elle était avec nous ? J’ai au fond de moi la certitude que non. À sa façon de se retrancher parfois derrière l’éclat de sa mèche blonde, on devinait ce puits d’insécurité que toutes ses victoires, son étonnant parcours, n’avaient pas réussi à combler.

Il y a quelques semaines, je l’avais invitée. Elle m’a écrit pour s’excuser un mail délicat, si discret sur ses maux que lorsque la mauvaise nouvelle est tombée, j’ai dû le relire plusieurs fois, avant de pouvoir croire qu’elle était partie, s’éclipsant sans faire de bruit, avec l’élégance qui était la sienne, minuscule brin de femme et immense talent. Ce qui me frappe dans ce dernier message, c’est que c’est encore un mot d’encouragement, une invitation à aller de l’avant, à faire mon chemin, comme si la vie était devant nous. 

Tu vas nous manquer Marie-Cath, à tous, mais à nous les filles de pub, bien plus encore.

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.