Les 15 spin doctors

S’est-on assez demandé pourquoi le spin doctor était un docteur ? On comprend bien la notion de « spin », qui « retourne » l’opinion et « déroule » le fil du récit. Mais qu’en est-il du « docteur » et de sa relation singulière avec son « patient » politique ?

Le spin doctor, qui agit sur les esprits du grand public et se nourrit de la personnalité de son candidat ne serait-il finalement rien d’autre qu’un psychanalyste véritable, imposteur ou charlatan ? La suite de cette réflexion résulte d’une conversation avec une lacanienne, un freudien et - perle rare - un « spin et psy »… mais bien sûr là, sans divan, les erreurs d’interprétations n’appartiennent qu’à moi !

Nouveau « moi », nouveau « surmoi » : les deux corps du roi [1]

Tout le talent du spin doctor tient dans sa capacité à trouver – voire mieux, à partager – le plus largement possible le bon discours et montrer la bonne facette de la personnalité de son patient. Ainsi, là où le psy est en quête de la vérité du désir, le spin doctor est, lui, en quête du désir plus que de la vérité. « En réalité, le spin doctor compose avec un peu de vrai, mais surtout beaucoup de vraisemblable », selon la lacanienne que j’ai consultée. Pour le freudien, chez le spin doctor, « le rapport à la vérité est plutôt du registre de l’effet, et finalement plus proche de l’illusionniste que du psy ».

En analyse, bien que le psy soit « supposé savoir », selon Lacan, la vérité est toujours du côté du sujet ; le psy aide son patient à découvrir qui il est. Dans le cas du spin doctor, c’est plutôt l’inverse : si lui aussi plonge dans la psyché de son patient, c’est pour lui forger une personnalité autre que la sienne, qui soit compatible avec la fonction qu’il brigue. En somme, il lui sculpte « un corps de roi ».

Le spin doctor devient lui-même un « surmoi » pour la personnalité politique, en ce qu’il lui permet d’intérioriser les exigences et les interdits. Ce « surmoi » supplémentaire n’empêche toutefois pas certains candidats de se laisser aller parfois à des lapsus, qui doivent être interprétés comme des manifestations de l’inconscient selon Freud. On se souvient ainsi du patient François F., en 2017, qui, souhaitant se défendre des accusations à son encontre, avait déclaré au micro de RTL : « Personne n'a réussi à démontrer la vérité. »

Le voyage du héros

Le « moi » augmenté (de son deuxième corps et de son spin évidemment) devient ainsi pour le candidat une forme d’identité singulière qui le conduira à se « séparer du reste du groupe » et, avant tout dans une élection, de ses adversaires. Se séparer – président normal ou homme providentiel – est de fait un enjeu essentiel pour la femme ou l’homme politique, même s’ils clament leur proximité, leur empathie et leurs liens avec le groupe. Au départ est la séparation, « l’intendance suivra ! ». C’est le début du « processus d’individuation » défini par Jung, ou, en d’autres termes jungiens, le début du « voyage du héros » de Joseph Campbell.

Le spin doctor est dès lors le mentor du « voyage », celui qui aide le héros à passer le cap et se lancer dans l’aventure. Le voyage du héros suppose d’ailleurs une condition inscrite sur le temple de Delphes : « Connais-toi toi-même et tu connaitras l’univers et les dieux… » ; nos héros à nous sont persuadés que leur « moi » (leur ego) leur permettra, avec l’aide de leur spin doctor, de se distinguer du reste des candidats ET des humains. Le spin doctor doit alors comprendre et apprendre à comprendre les ressorts intimes chez l’homme politique, pour mieux les donner à voir ou au contraire, pour les cacher. C’est lui qui interprète les rêves (de grandeur) de son « patient-héros ».

Cela suppose évidemment une confiance totale entre le « docteur » et son patient, similaire au lâcher-prise de l’analysant sur le divan du psychanalyste. Écoute, confidentialité, liberté de parole, absence de jugement moral sur l’autre, capacité à éclairer ou à clarifier une situation : autant de points communs entre le psy et le spin doctor dans leurs activités respectives.

Dans les deux métiers, indépendance d’esprit, intelligence des situations, liberté des points de vue et expérience sont clés. Mais ces qualités doivent être d’une grande agilité culturelle pour relier les questions, les faire apparaître sous un jour différent, de préférence vraies ou a minima vraisemblables, Révélation ou illusion ?

Illusion sans doute… si le psy soigne avec « ça », le spin joue avec « ça ». Car ce dernier n’est évidemment pas « neutre » : là où le psy traque les oublis du quotidien et les actes manqués chez l’individu, le spin doctor nourrit son candidat de symboles et d’images subliminales qui résonneront dans l’opinion. Chez le spin doctor, le transfert s’opère en sens inverse. Derrière une apparente neutralité, ne seraient-ce pas finalement les propres désirs du spin qui s’expriment aussi à travers la voix de son (im)patient candidat ?

Un nouvel imaginaire pour construire une réalité partagée

Dès lors, le mentor est-il un menteur ? Le spin doctor ne construit pas qu’une personnalité, pas plus qu’il ne vise la vérité absolue. Son rôle est de produire un imaginaire qui devient ensuite la composante d’une réalité partagée. Cela ne passe pas par l’introspection, comme dans le cadre d’une psychanalyse classique, mais plutôt par une extrospection d’une partie de la psyché de la femme ou de l’homme politique.

« La réalité est elle aussi une production imaginaire, alors il s’agit bien de permettre au candidat, une fois son intranquillité contenue, de proposer un imaginaire qui lui paraisse juste par rapport à lui. C’est dans cette tranquillité-là que, sans doute, l’imaginaire peut avoir des effets “spin” de la vérité… », poursuit notre freudien.

Je ne peux m’empêcher de conclure cette réflexion sur la psychanalyse sans une blague juive célèbre mais adaptée, tout à la fois à la psychanalyse et à l’inconscient des politiques, et aux défaites fameuses de candidats, sources malheurs de leurs spin doctors. Pour le coup, c’est sans doute mon inconscient de spin doctor qui parle, à travers ces conceptions du monde. Alors dans cet univers,

« Pour Jésus, tout est religion, proteste Lionel.

Pour Marx, tout est argent, cache François F.

Pour Freud, tout est sexe, susurre Dominique.

… et, pour Einstein, tout est relatif, espère Emmanuel. »

[1] Ernst Kantorowicz théorise dans une fiction théologico-politique que ce qui fonde le consentement à l’État (Royaume, Nation, République par extension) ne tient que par la métaphore des « Deux corps du Roi » : l’un mortel et faillible, l’autre habité par le corps immortel du Royaume ; incarné par le Roi. Plus tard, la psychanalyse s’inspirant de Kantorowicz, analysera les « Deux corps du Moi ».

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