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Les sociétés de production sont disposées à faire mieux sur les questions de RSE, en atteste la multiplication des chartes d’éco-responsabilité. Leur bonne volonté se heurte néanmoins à des contraintes budgétaires et à des habitudes de travail bien ancrées.

L’idée d’une production verte germe doucement et nombre de sociétés de production font savoir leurs bonnes intentions dans l'écriture de chartes. Pour autant, la mise en œuvre concrète de solutions écologiques n'est pas systématique dans un secteur qui reste tributaire des budgets et des décisions des commanditaires des films publicitaires.

Selon plusieurs sources, la dimension RSE d’un tournage publicitaire n’est aujourd'hui toujours pas un critère lors des appels d’offres, comme le sont la création et le coût. À en croire l’Alliance des producteurs de films publicitaires (APFP), la tension autour du budget serait même à son comble, dans un secteur fragilisé par l’émergence de nouveaux acteurs dans la filière digitale et la création de productions intégrées aux agences. « Aujourd’hui, il y a beaucoup de projets qui se font dans la difficulté. Les juristes n’ont jamais été autant impliqués dans la relecture et la renégociation des contrats », relate Florence Jacob, présidente de l'APFP, le syndicat de la production publicitaire.

« La RSE, c’est d’abord respecter les gens et les faire travailler dans des conditions acceptables », insiste de son côté François Brun, cofondateur du groupe Quad. Pour ce dernier, la production a cela de particulier que c’est « l’acheteur qui fixe son prix », au producteur de trouver des solutions pour réaliser ce qui lui est demandé dans l’enveloppe allouée. En guise de mise au point, l’APFP doit annoncer prochainement la signature d’une charte tripartite, signée par l’Union des marques (UDM) et l’AACC, qui énoncera « dix principes qui ne peuvent pas être bafoués par mesure de sécurité, aussi bien sur un plan psycho-social que financier », selon Florence Jacob. « Il faut ramener une ligne de conduite dans la production, en France et au niveau européen. On fait un métier d’artisan et il y a des limites à respecter, en termes d’horaires et de tarifs », poursuit-elle.

Relocalisation des tournages

Le sujet de la RSE dans le domaine de la production ne saurait être dissocié de celui de la relocalisation des tournages. « La production a été amenée à se délocaliser en République tchèque, Roumanie, Ukraine, Lituanie ou Géorgie, toujours dans l’optique de baisser les prix », témoigne Jérôme Denis, CEO de La Pac. La relocalisation des tournages dans l’Hexagone est aujourd'hui l’un des sujets prioritaires de l’APFP, qui cherche à obtenir un crédit d’impôt de la part du ministère de la Culture, une mesure fiscale qui existe pour le cinéma depuis 2003. « Les deux seuls secteurs qui n’y ont pas droit, ce sont la publicité et le porno ! », s’insurge Caroline Darmon, vice-présidente de la commission RSE de l’Association des agences-conseil en communication (AACC) et directrice RSE de Publicis en France. Quant à la dimension RSE, pour Florence Jacob, il faut mettre fin « aux discours de façade » des marques. « J’ai vu une publicité pour du lait infantile être tournée dans un pays qui exploite les enfants », dénonce-t-elle.

Avant la crise du covid, en 2019, un tiers des films étaient tournés à l’étranger et ils représentaient deux tiers des dépenses publicitaires totales, selon les chiffres du cabinet Rubini & Associés. « En 2021, j’ai tourné la moitié de mes films en France, tandis qu’auparavant, ça représentait plutôt 10 % des tournages », se félicite pour sa part Jérôme Denis. Le crédit d’impôt pourrait permettre de pérenniser ce rapatriement des tournages qui s’est produit avec la crise sanitaire en raison des fermetures sporadiques des frontières.

C'est une bonne nouvelle pour la planète quand on sait que les transports, en particulier l’aérien, est le premier poste d’émission de CO2 des tournages, juste devant l’énergie. C'est en particulier vrai lorsque ces tournages sont délocalisés en Afrique du Sud, en Thaïlande ou aux États-Unis, trois destinations régulièrement citées par les producteurs et dont un aller-retour depuis Paris émet près de 4 tonnes de CO2. « Si on doit prendre l’avion, il faut qu’un minimum de personnes se déplace », énonce William Blanc, CEO de Cream Paris. « J’ai déjà vu 12 personnes d’agence se déplacer pour un tournage, ajoute François Brun, exaspéré. Il faudrait aussi arrêter d’envoyer les stagiaires sur un tournage pour les remercier. »

Des engagements concrets

Au-delà de la relocalisation des tournages, les lignes sont en train de bouger en faveur d'une production verte grâce à des acteurs comme Écoprod, l’association référente dans le secteur de la production sur la question environnementale, qui existe en tant que mouvement depuis 2009 et en tant qu’association depuis 2021. En 2015, Écoprod avait lancé une charte, qui avait obtenu un grand succès avec 500 signataires. « Ça a permis de poser le sujet de l’éco-production sur la table mais il n’y avait pas de contrôle, admet Alissa Aubenque, directrice des opérations. Aujourd’hui, on a dépassé ce stade du déclaratif. Il faut des engagements concrets. » L’association, qui emploie seulement deux salariés, compte 90 entreprises membres. Elle se charge de la formation des équipes de production sur les actions contre la pollution et le gaspillage, et envisage de sensibiliser les créatifs à la RSE dès le script. L’association est également en train de revoir sa calculette carbone des tournages, le « Carbon’clap », un outil qu’elle met à disposition gratuitement. L’étape d’après pourrait être la création d’un label.

« En tant que régisseur, j’ai été confronté à la réalité des tournages. Je me suis retrouvé à commander un hélicoptère pour tourner en haut d’un glacier. Je devais faire face à une dissonance cognitive entre mon travail et le dérèglement climatique », se souvient Mathieu Delahousse. Lui a cofondé Secoya Éco-tournage en 2018, une structure privée qui emploie huit salariés. Cette société propose un outil en ligne baptisé « Secoset » pour un tarif d’entrée à 2 900 euros. Il s’agit d’un plan d’action à appliquer en autonomie avec, à la clé, « une attestation de la démarche RSE du tournage ». Secoya Éco-tournage propose également un accompagnement sur mesure, en s’appuyant sur un réseau de prestataires issus de l’économie sociale et solidaire. Elle a été mandatée par Publicis en 2019 sur le tournage d’une campagne pour Garnier Bio. « On a divisé par huit le bilan carbone versus un tournage à l’étranger », clame la voix off du case study.

Un simulateur carbone, le « Seco2 », complète le dispositif. Fondé sur les données de l’Ademe, l’agence publique pour la transition écologique, ce simulateur a la particularité d’établir une estimation en amont des productions, sur simple analyse des devis financiers, sans que ne soient intégrés les salaires des techniciens dans les calculs. Comptez 0,2 gramme de CO2 par euro dépensé. Quant au prix des billets de train, parfois plus chers que les vols des compagnies low cost, Mathieu Delahousse assure que le simulateur prend en considération le moyen de transport. « Cette calculette n’a pas vocation à être extrêmement précise. Elle doit servir à montrer les points de vigilance avant les tournages », clarifie l’entrepreneur.

Ouverture de postes

L’effort RSE sur les tournages doit aussi être porté en interne, comme le montre Marion Tanguy, directrice du pôle production de M6 Unlimited, qui a décidé de rationaliser les pratiques éco-responsables en faisant de la pédagogie auprès des clients, après avoir été elle-même formée sur le sujet par La Fresque du Climat. M6 Unlimited privilégie les tournages en Île-de-France, les transports en communs, le catering avec des produits locaux et de saison, les repas végétariens, le tri des déchets et le recyclage, la réutilisation des décors, les achats de seconde main… Du bon sens qui nécessite pourtant une réflexion et une logistique au sein des entreprises. La RSE peut être laissée à la responsabilité des professionnels sur leur périmètre d’action ou être confiée à des employés via l’ouverture de postes dédiés, comme c’est le cas à Prodigious, la société de production intégrée de Publicis. « Nos "éco leads" font en sorte que le cahier des charges défini avec le client soit bien appliqué sur le tournage et ils réalisent les bilans carbone des campagnes », détaille Caroline Darmon.

S’il reste encore du pain sur la planche du côté des tournages, la question de la diffusion des films publicitaires sur les supports numériques n’est pas en reste, selon Pierre Harand, partner de Fifty-Five. Le cabinet de conseil vient de publier une étude qui estime qu’ « une seule campagne digitale peut générer plus de 70 tonnes de CO2, soit l’équivalent d’environ sept Français pendant un an ». C’est donc toute la chaîne de production publicitaire qu’il faut repenser. 

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