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Depuis le rachat officiel de Twitter, le 27 octobre, c’est un peu la Bérézina. Chaque jour voit son lot d’annonces, et chaque lendemain son lot de démentis. Stratégies fait le point en sept questions.

1. Pourquoi racheter Twitter ?
S’il voulait faire parler de lui, Elon Musk a réussi. Le milliardaire, patron de Tesla, a fait d’une « simple » acquisition financière la meilleure série de 2022. Selon Meltwater, sur les 90 derniers jours, le rachat de Twitter a généré 260 millions de mentions sur le web mondial, média et réseaux sociaux compris. « C’est colossal. Cela dépasse le décès de la reine Elizabeth II, qui a généré 15 millions de mentions ! », s’étonne Marie Seignol de Swarte, directrice marketing de la société de veille Meltwater. Vingt fois plus, rien que ça. Une visibilité qui aura coûté la bagatelle de 44 milliards de dollars. Certains dépeignent déjà le milliardaire en Citizen Kane. Quand certains industriels s’offrent des journaux, d’autres s’offrent des réseaux sociaux. Et le projet d’Elon Musk, au regard de sa personnalité, est forcément politique. « Comedy is now legal on Twitter », [L’humour est maintenant légal sur Twitter] a été son post le plus retweeté lors de la séquence du rachat, pour célébrer la liberté d’expression.
Mais Twitter devrait surtout se conjuguer au pluriel. « C’est au Japon que l’on a le plus parlé du rachat de la plateforme », indique Marie Seignol De Swarte. Car dans le pays, c’est le réseau social le plus utilisé. Qui le savait ? « L’usage de Twitter n’est pas du tout le même selon les zones géographiques, ajoute François Houste, directeur conseil à Plan.Net France. Il crée inévitablement des bulles. » On y trouve une surpondération de la classe dite « créative » (journaliste, consultants, politiques…) et une soupondération des classes populaires. La plateforme n’est donc pas représentative. Mais est indispensable pour être visible. Outre le coup RP, Elon Musk s’est donc offert après nombres tergiversations juridiques et hésitations – sur un coup de tête ? - une plateforme hybride qu’il va devoir amener vers un modèle rentable. Comme s’il avait créé de la dette pour pouvoir mieux la rembourser.

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2. À quoi sert Twitter pour les médias ?
Twitter est une caisse de résonance en B to B pour les médias. Avec près de 10,5 millions d’abonnés pour Le Monde ; 3,7 millions pour Le Figaro, 1,8 million pour France Inter ou 1,1 million pour RTL : les grands médias français sont tous très suivis sur Twitter. Ils déclinent leurs comptes en fonction des cibles et des communautés. Dans le groupe TF1, ce sont au final 12,6 millions de personnes qui sont abonnées avec 5,9 millions de personnes sur le compte de TF1, 540 000 sur celui de LCI, 98 281 abonnés sur TF1 Séries Films, 230 000 sur celui de TMC, 132 000 sur celui de TFX et 79 000 personnes sur le compte dit Pro dédié notamment aux journalistes. La chaîne a aussi 27 comptes « programme » suivis par une communauté de 5,6 millions de personnes. « Twitter nous permet de toucher deux typologies de cibles : les professionnels et le grand public. Twitter est avant tout un réseau qui permet de partager des informations factuelles, concernant les actus aux différentes communautés (pros et fans). Côté programme, Twitter permet de créer de l’interaction les jours de diffusion avec la communauté, de relayer les moments forts du programme, de faire du bruit social lors de nos Live Tweet », détaille Sophie Danis, directrice de la communication du groupe TF1. Le compte de Téléfoot (467 000 followers), grâce au live tweet du dimanche matin, remplit cette double fonction, car il sert aussi de source pour les médias français et étrangers. « Nous avons près de 2 millions d’abonnés et cela ne décroît pas depuis l’annonce du rachat du réseau par Elon Musk, nous détaille Benoist Fechner, chef adjoint du pôle réseaux sociaux et newsletters au Parisien. Facebook génère dix fois plus de trafic que Twitter, pour nous. Mais au-delà des clics et des lectures, Twitter nous apporte la possibilité de faire rayonner notre marque, car tous les leaders politiques, culturels et médiatiques le consultent. Pour un journal comme le nôtre qui sort a minima une info exclusive par jour, Twitter permet de la faire connaître aux médias concurrents en espérant qu’ils la reprendront en nous citant. » La radio Franceinfo offre via Twitter à ses 400 000 abonnés un fil d’info en continu. « C’est un compte que les gens consomment comme un fil AFP, nous confie Estelle Cognacq, directrice de la rédaction de la station. Nous y proposons environ 110 tweets par jour, presque comme en mode B to B. Notre fil est alimenté par deux journalistes, l’un issu de notre agence d’info interne et l’autre dédié aux réseaux sociaux ». Côté FranceTV Info, le fil Franceinfo du canal 27 « sert à promouvoir nos contenus éditoriaux. Il est une sorte de vitrine. Il nous apporte de la visibilité et de la notoriété et permet de créer de la discussion » reconnaît Carole Bélingard, la rédactrice en chef en charge des réseaux sociaux. Si chacun reconnaît que le rachat par Elon Musk va donner lieu à des réunions de réflexion, elles n’ont pas encore été calées. Mais Benoist Fechner se veut rassurant, comparant l’affaire au rachat par Facebook de Whatsapp qui avait dans un premier temps suscité une forme de boycott : « On ne peut pas faire n’importe quoi avec les réseaux sociaux, il y a des lois et chacun y est soumis ».

3. Le nouveau Twitter c’est pour quand ?
Sur l’image de profil d’Elon Musk, un chérubin blond empoigne le téléphone de sa menotte potelée. Si mignon ! Pourtant, l’homme n’a gardé de l’enfance que ses pires défauts. Tyrannique, colérique, capricieux, il s’est illustré par une gestion de la future gouvernance de Twitter et de son management qui présage de retournements croquignolets. Le vendredi 4 novembre, il annonçait dans un mail le licenciement de la moitié des 7500 employés de l’entreprise. « L’un des pires licenciements de l’histoire en termes de procédé », commente un expert du management. Avant de se raviser et de demander à certains élus de revenir, le 7 novembre… Pour les autres, le « paycheck » s’arrêtera dans trois mois, le double de ce qu’impose l’usage outre-atlantique, note le milliardaire pour jouer les bons princes.
Brutalité, cyclothymie… Musk n’en est pas à son coup d’essai. Et son management, où chacun doit être dévoué corps et âme rayonne auprès des équipes. Le 8 septembre 2022, la Cour d’Appel de Versailles a confirmé le licenciement d’un supérieur hiérarchique de Tesla tyrannique qui demandait aux équipes de travailler « 24 heures sur 24 et 7 jours sur sept », se justifiant par le fait que c’était « le souhait d’Elon Musk », comme le rapporte le compte Twitter Curiosités Juridiques. Alors le nouveau Twitter verra-t-il le jour dans la souffrance ? « Ce qui est sûr, estime Arthur Kannasprésident et cofondateur de Heaven, c’est que le calendrier semble hyperrapide. D’un autre côté, il vaut mieux que le nouveau Twitter se fasse vite, sinon, l’opération va patiner. » Mais, dans le bruit et la fureur, cela ne risque-t-il pas d’abîmer encore un peu plus la marque ?

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4. Faudra-t-il censurer le nouveau Twitter ?
La reprise en mains par Elon Musk est également regardée avec inquiétude par les journalistes. Et pas seulement parce que les plus suivis d’entre eux bénéficiant d’un compte certifié hésitent à déserter après quinze ans de soigneuse construction de leur audience (dilemne : payer 8 euros à Musk ou aller sur Mastodon où se trouve Jack Dorsey en attendant Bluesky… !). « L’arrivée d’Elon Musk nous inquiète », confiait la semaine dernière Valdez Onanina, rédacteur en chef d’Africa Check, qui tente de contrer les fausses informations qui pullulent sur Twitter en Afrique. Déjà très peu modérée selon lui, la plateforme pourrait devenir une redoutable machine à désinformer si son propriétaire laisse libre cours à la liberté d’expression sans aucun frein, et où il faut payer pour être crédible. En Europe, Thierry Breton a tancé le patron, lui rappelant qu’il devrait se conformer au Digital Service Act, rassurant l’Europe entière. Twitter travaillait d’ailleurs sur un projet visant à intervenir sur l’algorithme en cas de viralisation de rumeurs malveillantes… Qu’en est-il de ce projet baptisé « Meta » en interne ? À Reporters sans frontière, Vincent Berthier, responsable du bureau tech, appelle Elon Musk à « la plus grande prudence dans sa restructuration de l’entreprise ». Avec le PDG Parag Agrawal, c’est en effet la « Legal Policy and Trust Lead » Vijaya Gadde qui a été débarquée. Or, elle avait en charge de la lutte contre la désinformation. La suppression d’effectifs risque de toucher fortement les modérateurs et de rendre le filtre à fake news encore moins opérant. « La restructuration de l’entreprise à laquelle va nécessairement se livrer Elon Musk ne doit pas mettre le journalisme en danger », avertit dans un communiqué le responsable qui souhaite que les équipes de modération, les ingénieurs travaillant sur la fiabilité ou les experts des règles de diffusion sur Twitter (« policies managers ») soient épargnés. D’autant que les journalistes sont souvent victimes de cyber-harcèlement sur Twitter. Ces attaques sont déjà difficiles à contenir en raison de la viralité communautaire du réseau. RSF invite donc le magnat à « essayer d’aider l’humanité », comme il s’y est engagé, en favorisant la production des journalistes sur son réseau social.

5. Musk va-t-il faire fuir les annonceurs ?
Mondelez international, Pfizer, Audi (Volkswagen), General Mills… Chaque jour apporte son lot de noms à la litanie des marques qui ont annoncé vouloir prendre du recul vis-à-vis de l’oiseau bleu. Les annonceurs, qui représentent 90 % des revenus de la plateforme, sont circonspects quant au modèle économique qui se dessine, et craignent pour leur « brand safety ». Préoccupant, d’autant que, selon les experts, les recettes de Twitter ne suivaient pas une courbe ascendante. « Twitter, à sa création, a incarné quelque chose de nouveau sur Internet, a incarné le “pulse” du web, se souvient Arthur Kannas. Mais cela ne veut pas dire qu’il a bien trouvé sa fonction publicitaire. Depuis deux ou trois ans, on a senti que les investissements bougeaient vers Instagram, Tiktok… ». L’époque est à la vidéo… Raison pour laquelle Elon Musk voudrait faire renaître le service Vine. C’est d’ailleurs tout l’enjeu pour le milliardaire : arrivera-t-il à faire de Twitter un écosystème marchand ? « Twitter ne s’est jamais vraiment inséré dans un parcours d’achat, estime François Houste. Il ne fait que maigrement partie des recommandations stratégiques. C’est un réseau d’influence, de com corporate. » Vincent Reynaud-Lacroze, directeur général de We Are Social, nuance : « On fait encore beaucoup d’activations et de production de contenus sur Twitter. Ce qui nous a toujours intéressés sur Twitter, c’est sa dimension conversationnelle, avec ses communautés vivaces et loquaces, très réceptives aux innovations des marques. » Pourtant, l’heure est à la marche arrière chez les marques américaines, et plutôt, chez les françaises, « à l’attentisme, parce que le droit français et européen donne un cadre plus protecteur sur les contenus », précise Vincent Reynaud-Lacroze, et rassure davantage. Autre explication : ces pudeurs vis-à-vis de Twitter cacheraient, en réalité, une stratégie business, estime Arthur Kannas. « Ça me rappelle l’époque de Cambridge Analytica/Facebook : ces crises donnent l’occasion à des annonceurs mondiaux de renégocier des deals publicitaires, en se donnant une bonne image par la même occasion… » Notons au passage que bon nombre sont des marques de voitures, concurrentes directes de Tesla…

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6. Quelles alternatives au réseau ?
Qui paiera 8 dollars pour être vue sur Twitter ? Le modèle à 8 dollars par mois pour ne pas tomber dans les méandres du feed fait douter les plus férus du digital. « Si l’on écoute le web et mes médias, l’alternative qui semble la plus proche pour remplacer Twitter est Mastodon », indique Marie Seignol de Swarte : une plateforme open source à l’interface quasi copiée collée, mais dont le fonctionnement est totalement différent. Elle a été créée en 2016 en Allemagne, par Eugen Rochko. Elle se rémunère par le don, sans publicité, et consiste en un réseau décentralisé de serveurs. C’est-à-dire qu’il n’y a pas « un » Mastodon, mais plusieurs, hébergés sur différents serveurs qui communiquent entre eux. On peut ainsi voir dans son feed les « Pouet » - équivalent du tweet – des personnes hébergées sur d’autres serveurs. Mais cette décentralisation permet différents niveaux de modération. Ainsi, si un des serveurs héberge trop de messages haineux, il peut être coupé, et ne plus apparaître sur les autres serveurs, coupant la chique aux trolls. « Si Mastodon émerge sur le web et dans les médias comme la principale alternative, c’est en grande partie pour vanter la qualité de son équipe dirigeante », a mesuré Marie Seignol de Swarte. Même si les abus du fonctionnement égotique du monde de l’open source commencent à sortir. Mais Mastodon peut-il être la seule alternative ? « Peut-être que chacun trouvera ailleurs une partie de ce qu’apportait Twitter », augure François Houste, qui comme d’autres créateurs, est en pleine réflexion pour la possible migration de ses Mikrodystopies - des nouvelles sous formats tweets. On mettrait ainsi Mastodon pour échanger, Discord pour animer la communauté, les égragateurs pour l’information… Et le nouveau Twitter payant - en gratuit - pour le reste ?

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7. Twitter, ça représente quoi ?
- 237,8 millions d’utilisateurs actifs monétisables dans le monde (hors faux comptes)
- 12,8 millions : le nombre d’utilisateurs actifs mensuels en France
- 5e réseau social français
- 5 milliards de dollars : le chiffre d’affaires en 2021
- 221,4 millions de dollars : la perte nette au 2e trimestre 2022
- 90 % du CA est effectué par la publicité.
- 7100 employés (avant licenciements par Elon Musk)

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