TRIBUNE

[Tribune] Alors que chez nombre d'influenceurs, le sanctuaire familial est devenu un centre commercial où tout est monétisé, un nombre croissant de parents exhibent leurs enfants sur les réseaux sans en percevoir les répercussions. Il est temps d'encadrer ça.

Tandis que j’écrivais mon dernier roman, je me suis intéressé d’assez près aux influenceurs, source d’inspiration foisonnante pour un écrivain, tant la fenêtre de leur intimité est toujours grande ouverte aux regards indiscrèts.

Ceux dont j’ai suivi les stories avec assiduité pendant des mois documentent leur vie de jeunes adultes sans tabou. Je pense au post-partum, à l’allaitement, aux problèmes de fertilité, et aux 1 000 difficultés d’être parents. Autour de ces publications, le public réagit, contribue, se crée l’espace d’une parole libre, presque soulagée, preuve que ces initiatives trouvent leur audience. Sur les sujets de maternité, ce phénomène est particulièrement prononcé et, à n’en pas douter, est utile. 

Les réseaux sociaux vouent un culte à cette banalité d’exception et perpétuent le mythe d’un destin hors norme auquel nous avons tous le droit de prétendre. Influencer est cependant une tâche prométhéenne qui, en dépit de quelques réussites indiscutables, peine à trouver son modèle. 

Étalement hasardeux

Toutefois, le manque de discernement quand il s’agit des autres - je pense à la famille - mérite quelques remarques, eut égard à l’impact sur la vie d’un enfant de voir son intimité étalée publiquement le plus naturellement du monde. Influencer a un prix : la marchandisation de mon intimité contre quelques mentions J’aime, puis vient celle de mes proches, et sans tout à fait m’en rendre compte, celle de mes enfants.

Les conséquences à plus ou moins long terme ne peuvent qu’être désastreuses. Chez les influenceurs que j’observe, le sanctuaire familial est devenu un centre commercial où tout est monétisé : la chambre, les vacances, les soirées, les week-end, les dîners et j’en passe. Chacun se met en scène pour des partenariats rémunérés, ou dans l’espoir cruel d’en signer un jour. 

Au-delà de quelques pseudo-célébrités écervelées, un nombre croissant de parents exhibent leurs enfants sur les réseaux sociaux sans percevoir les répercussions de cet étalement hasardeux pour une personne qui n’a encore rien construit de sa vie ni de son identité. Du jour de sa naissance parfois, jusque dans la foisonnante insignifiance des petits moments de sa vie, les vacances, les anniversaires, le sport…, chaque post le prive un peu plus de sa construction personnelle, du droit de n’être personne, d’avoir une vie évanescente plutôt que gravée dans une timeline, de vivre loin des regards d’inconnus et de programmes de fidélité qui savent déjà tout de lui alors que lui ne sait rien d’eux, et d’enfin faire librement le choix de ne pas donner à des plateformes marchandes le grain dont elles ont besoin pour moudre leur cours de Bourse. 

Un cadre légal

Facebook aura bientôt 20 ans. C’est le temps qu’il aura fallu à une génération pour devenir adulte. Nous savons désormais le potentiel des réseaux sociaux. Nous avons su nous réjouir de leur pouvoir, vu naître des révolutions, et nous inquiéter de leurs dérives. Nous savons aussi que leur puissance est encore naissante, et que leur usage devrait être un choix libre et éclairé pour chacun d’entre nous, y compris pour nos enfants. 

Bruno Le Maire vient de lancer une consultation publique pour encadrer le métier d’influenceurs, qui passe à côté du sujet de l’enfance. Il est temps de définir un cadre légal sur ce que les parents sont en droit de faire avec l’image de leurs enfants, et de forcer les plateformes à mieux protéger les mineurs. 

Il n’y a pas de partenariat rémunéré, juste de la publicité. Il n’y a pas d’influenceurs rémunérés, juste de la publicité. Il n’y a pas de post sponsorisé, juste de la publicité. La publicité est régie par la loi. La famille aussi. 

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.