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Entendue à Bercy dans le cadre des séminaires du Pôle d’Expertise de la Régulation du Numérique, la chercheuse du CNRS Oana Goga planche sur l’impact des publicités politiques sur les plateformes afin de mieux les réguler.

La chercheuse du CNRS Oana Goga, hébergée par l’équipe Cedar de l’Inria et le laboratoire d’Informatique de l’École Polytechnique, présentait le 13 mars, au Ministère des Finances, à Bercy, un résumé du travail qu’elle et son équipe ont mené depuis 2018 dans le cadre de la régulation des publicités politiques sur les grandes plateformes.

Si depuis le scandale Cambridge Analytica, les plateformes, Meta, notamment, avec Facebook, ont tenté de mieux réglementer les publicités politiques afin de réduire les possibilités d’interventionnisme étranger dans les processus électoraux (notamment pour les élections présidentielles aux USA ou au Brésil) les publicités politiques restent largement décriées pour leur impact sur le choix des électeurs.

Mais Oana Goga a rappelé qu’à ce jour, « aucun argumentaire scientifique ne vient valider l’hypothèse de leur efficacité concrète et de leur impact direct sur le processus électoral » rappelle-t-elle, sans pour autant minimiser l’importance d’une régulation appropriée, et notamment en termes de microciblage. En ciblant convenablement les internautes les plus sensibles à certaines idées, les publicités politiques sont accusées de porter atteinte à la démocratie. Si l’hypothèse reste cohérente, la chercheuse souligne la difficulté pour les chercheurs de travailler sur le sujet, faisant face à un objet conceptuellement complexe, et à un manque de transparence des plateformes.

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Depuis 2018, ses équipes ont mené un travail de fond parfois bien compliqué.  « Ne serait-ce que sur la définition d’une publicité politique, il est très difficile de trouver un consensus », ajoute-t-elle. Si les plateformes ont pris le parti de demander à l’initiateur de la publicité de se « déclarer », en tant qu’annonceur politique, la chercheuse a ajouté à la définition un panel de 2000 internautes qui devaient labelliser les publicités, en les étiquetant de politiques ou non. Résultat, sur 55 000 publicités étudiées et dont au moins une personne avait décrété qu’elle pouvait être politique, plus de la moitié ne figurait pas dans la base de données déclarative de la plateforme…

Car la définition est complexe et, selon Oana Goga, ne peut être le seul critère de définition d’une publicité politique. À un sondage à main levée dans la salle des conférences de Bercy, sur trois exemples, seule la moitié du public présent était d’accord pour attester du caractère « politique » d’une publicité ambiguë… « Les publicités humanitaires, notamment, sont à la frontière de la définition et peuvent être entendues comme politique, ou non. Idem, lorsqu’on demande à des sympathisants Démocrates, ils trouveront qu’une publicité Républicaine est politique, mais pas une annonce indirecte pour leur parti et inversement… », détaille-t-elle. Elle entend ainsi dénoncer la faiblesse des bases de la régulation actuelles.

Dons de données

Autre point intéressant : le succès d’une campagne d’ingérence. Elle et ses équipes se sont aperçus, en analysant les résultats de l’Internet Research Agency, un organe de propagande russe, que ses posts avaient entre 10 et 20 fois plus de succès que pour les moyennes des publicités commerciales.

Si un post pour un service de finance a un Click-to-Rate (CTR) de 0,6 pour mille, pour la santé de 0,8, pour une salle de fitness de 1, ou pour le retail de 1,6, pour un post sponsorisé de l’Internet Research Agency, le chiffre montait jusqu’à 10,8. « Le CTR pourrait être un très bon outil de détection de publicité malveillante, car ils ont un succès phénoménal sur les plateformes », ajoute-t-elle.

Mais pour aller plus loin dans leurs études, les chercheurs se trouvent confrontés un problème de taille : le manque de données. « Le cadre légal est encore assez faible, déplore-t-elle, et souvent nous nous faisons couper nos comptes des plateformes. Car, pour les tests, nous publions beaucoup de publicités. C’est rassurant, d’un côté, de savoir que la plateforme réagit pour des comptes suspicieux, mais de l’autre, nous n’avons aucun contact en face, pour nous expliquer. Nos comptes sont supprimés d’un coup, sans que l’on ne puisse rien faire. »

Autre sujet, le manque de données accessibles. Pour mener son étude en 2018, Oana Goga et ses équipes ont mis en place un mécanisme de « dons de données ». « C’est comme un don d’organe, mais appliqué à l’informatique. Des personnes acceptent que nous suivions ce qu’ils voient lorsqu’ils se connectent sur les plateformes », raconte-t-elle. Les chercheurs n’interviennent sur rien, mais ils peuvent simplement avoir accès au feed et ainsi mesurer tout ce qui tourne autour des contenus pour un panel d’utilisateurs. « De la même manière que des personnes scannent leurs courses, pour établir des statistiques sur leurs achats, ici, elles nous permettent de scanner les contenus pour avoir des données de recherches. » Mais encore une fois, le cadre légal est bien vacillant pour ce type de procédé et aucun juriste n’est en mesure de confirmer la justesse du procédé. Même si le Digital Services Act qui devrait entrer en application au niveau européen dans les prochains mois doit élargir le principe de coopération des plateformes avec les chercheurs, il reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour connaître encore, d’un point de vue scientifique, les conséquences exactes des plateformes sur la politique. Les autorités ont ainsi été invitées à travailler dans ce sens.

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