Chronique Exécutif 2022

A l'occasion de l'élection présidentielle de 2022, Ronan Le Goff, directeur associé de La Netscouade, décrypte pour Stratégies la campagne numérique des candidats. Pour ce 5e numéro, il s'intéresse aux salons de discussion audio sur Twitter.

Tous les soirs, sur Twitter, c’est le même rituel. A mesure que la nuit avance, des Spaces - des salons de discussion audio - s’improvisent entre militants politiques, pour débriefer l’actu du jour, sociabiliser, débattre, se chamailler, refaire le monde. C’est tout à la fois sérieux, passionnant, chaotique et trollesque, rempli d’une fraîcheur et d’une spontanéité qui semblent avoir déserté Twitter.

En 2022, on pensait que la campagne allait s’animer du côté de Twitch ou de TikTok. Finalement, c’est peut-être sur Spaces, invité surprise, que la présidentielle se vit le plus intensément. Inspirée par Clubhouse – aujourd’hui en état de mort cérébrale –, l’appli a été lancée par Twitter en novembre 2020 et monte doucement en puissance depuis.

Un Space est une conversation de groupe animée par un ou plusieurs «hosts» qui passent le micro à des personnes de l’assistance, le tout devant une foule d’auditeurs pouvant monter certains soirs à plusieurs milliers. Les Spaces sont la radio libre antenne des années 2020, une rafraîchissante manière de débattre entre passionnés d’un même sujet, réunissant aussi bien les fans de foot, les adeptes du bitcoin ou les geeks politiques. Et une nouvelle preuve que l’audio est un format à part sur internet.

Le salon militant par excellence

En ces temps de campagne, les Spaces nocturnes sont devenus le salon militant par excellence, le lieu où l'on débat entre pairs faute de pouvoir se rencontrer sur le terrain en ces temps pandémiques. Il n’existe peut-être pas de meilleur outil pour prendre la température auprès des militants. A coup de Spaces et de contre-Spaces, certaines des lignes de fracture de la campagne 2022 se sont cristallisées dans ces nouvelles agora numériques.

Au lendemain des déclarations de Fabien Roussel sur le bon vin, la bonne viande et le bon fromage, des militants du Parti communiste lancent un salon de discussion sur le sujet pour défendre les propos de leur candidat. Dans la foulée, en plein milieu de la nuit, un autre salon s’improvise pour critiquer vertement le premier : #DebriefPCF. La discussion va durer plus de trois heures, devant des milliers d’auditeurs, avec la présence notamment d’un responsable de la France Insoumise. Un moment important où s’est matérialisé, intervention après intervention, la rupture irrémédiable entre la ligne laïque de Roussel et la génération intersectionnelle. Le lendemain, des extraits  – réducteurs – de ce Space vont circuler et alimenter la polémique médiatique, une intervenante ayant taxé le candidat communiste de «suprémaciste blanc».

Par leur exceptionnelle viralité – ils apparaissent en haut de la timeline et chaque participant peut les poster à ses abonnés –, les Spaces sortent souvent du cercle restreint des premiers intervenants pour devenir des véritables moments de campagne, scrutés par les journalistes politiques. Un Space constitue la version web d’un verre entre militants après le boulot. A la différence près que n’importe qui peut surgir et s’inviter à la table – y compris des militants d’autres bords. Les discussions sont souvent sanguines, les clashs parfois homériques.

Liberté de ton

Les Spaces auraient-ils hérités de l’ADN de leur réseau support ? Sihame Assbague, host de la matinale Space Bah bonjour d’abord !, estime qu’on y retrouve «la même liberté de ton, cette parole décomplexée typique de Twitter». Comme sur le réseau à l’oiseau bleu, «ce sont les sujets d’actualité brûlante qui font le plus d’audience», constate-t-elle. Matthieu Gariel, militant LREM et host nocturne, note toutefois une vraie différence : «sur Spaces, les gens peuvent s’exprimer en longueur, de manière plus construite que des tweets où on se répond impulsivement, sans vraiment se comprendre.»

Hanieh Hadizadeh anime tous les mardis soir un Space avec son association Démocratie Ouverte, «un très bon format pour parler politique», estime-t-elle. «J’aime ce côté radio libre, où chacun peut prendre la parole et s'exprimer. C’est toujours une surprise, on ne sait jamais ce que vont dire les gens. Ça peut être très pointu, ça peut être très vindicatif, ça peut aussi s'enliser dans d’interminables  "je pense que". Dans les interstices, il est important que les hosts nourrissent la discussion et apportent du fond.» Sihame Assbague, host de la matinale Space Bah bonjour d’abord !, abonde : «il est nécessaire de fixer une ligne éditoriale avant la discussion, sinon cela risque de partir dans tous les sens et de tourner au pugilat.»

Parité difficile à faire respecter

La liberté de ton et de participation a ses revers. «Lors de notre dernier Space, on a eu un raid de trolls zemmouristes», déplore Hanieh Hadizadeh. «Ils repèrent les Spaces, ils se passent le mot et ils viennent te "pourrir" ton live, en balançant des sons, en prenant la parole intempestivement. Ça a mis par terre notre Space, la moitié des gens ont fui. C'est la grande limite de l'exercice.» Elle regrette également une parité difficile à faire respecter : «C’est souvent une majorité d'hommes qui prend la parole. Donc on a fixé nos propres règles et on essaye d'imposer la parité, mais on a beaucoup de mal à trouver des femmes qui veulent prendre le micro.»

Alors qu’on retrouve parfois des responsables politiques au détour d’un Space militant (Sandrine Rousseau d’EELV, David Guiraud de la France Insoumise ou Anasse Kazib, candidat à la présidentielle), Jean-Luc Mélenchon a lancé sa propre franchise Space, #AlloMelenchon, diffusée simultanément sur Twitter et Twitch. Sans toutefois retrouver l’authenticité des salons militants.

Lire les épisodes précédents :

- Episode 1 : Sur le web, la campagne pour 2022 est déjà bien lancée

- Episode 2 : Les initiatives citoyennes aux avant-postes pour réparer la démocratie

- Episode 3 : La data au coeur de la bataille présidentielle

- Episode 4 : La campagne ne se jouera pas sur TikTok ou Twitch

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