TRIBUNE

La création du Metaverse Standard Forum, dominé par Google, Microsoft et Meta, pourrait à la fois être le poison et l'antidote à un juste partage de la valeur dans le métavers.

À première vue, le projet semble attirant, on ne peut qu’être séduit par le geste : se regrouper pour normaliser les techniques et les usages en vue d’accéder à un but commun. Depuis plus de cinq années, tous les acteurs du web 3.0 appellent à moins de barrières sur internet, à moins de territoires clos. Dans une annonce simple, par voie de presse, on nous apprend la création d’un forum destiné à résoudre l’un des enjeux techniques premiers qui conditionne l’avènement du métavers : l’interopérabilité. Comment ne pas valider le projet ?

Pourtant, quelque chose cloche, la magie n’opère pas entièrement. Pourquoi ? Peut-être est-ce la faute des membres du collectif, peut-être est-ce le caractère herculéen de la tâche à accomplir, peut-être est-ce la peur de créer un hydre totalement inarrêtable ? Sûrement un peu de tout cela en même temps.

La continuité logique pour des GAFAM

Pour bien comprendre qui se cache derrière Metaverse Standard Forum (MSF), nous pouvons commencer par en disséquer la tête. On nous annonce sur le site du forum que ce dernier sera piloté par Khronos Group. Si vous êtes étrangers au sujet de l’architecture logicielle et de la génération d’images, peu de chance que ce nom vous parle. Pourtant, Khronos est une organisation - sous une forme ouverte et à but non lucratif - qui regroupe plus de 150 entreprises qui conçoivent, utilisent et promeuvent l’usage de standards libres de droits. Ces solutions techniques sont utiles à de nombreux domaines qui tournent autour de la création et la gestion d’images (AR, VR, 3D, machine learning...).

Le choix de placer Khronos Group en position de leader de cette initiative n’est pas anodin. Leur expérience est complète en la matière et leur image est plutôt saine contrairement aux autres membres du forum que certains considèrent comme les véritables dangers d’internet. Dans ce forum sont bien présents les GAFAM, enfin trois d’entre eux, puisqu’Apple et Amazon sont absents de la liste des signataires. Nul doute qu’ils exerceront une force non négligeable sur la gouvernance de ce forum, une gravité d’échelle, une autorité par la taille.

Google, Microsoft et Meta ont tout à gagner dans une manœuvre comme celle-ci, en s’associant à des organismes de plus petit calibre, possédant un statut autre (collectifs, organisation à but non lucratif...), provenant d’autres écosystèmes ou ayant d’autres modèles de valeurs (logiciel libre par exemple). Ils redorent leur image en s’impliquant dans les bonnes œuvres des contributeurs d’un métavers plus interopérable. C’est pour cela que sont mis autant en avant sur la page d’accueil du MSF les logos de standards déjà existant et ayant des stratégies de développement souvent contraires aux GAFAM.

Logiques qui s'entremêlent

Pourtant, il faut voir la chose sous un autre angle. Depuis quelques années, la vapeur s’est renversée du côté du logiciel libre et des standards d’internet (ainsi que de ses infrastructures par ailleurs). Il ne faut pas être hypocrite sur ces sujets, les mastodontes d’internet et leurs employés sont devenus de gros contributeurs du libre, à tel point que certains standards apparaissent comme étant devenus des entités des GAFAM.

C’est toute la beauté et le problème du libre. Le Metaverse Standard Forum n’est pas un cas isolé, et ce qui peut apparaître comme une stratégie marketing de la part des GAFAM n’est rien de moins que le continuum d’une stratégie déjà entamée depuis plus d’une décennie. Internet est un objet complexe, où les logiques de privé et de libre s’entremêlent et composent nos usages. Il en sera de même avec le métavers.

Pour autant, le MSF ne peut pas être qu’une opération de marketing un peu grossière. Si l’objectif est d’arriver à une plus grande interopérabilité des données, alors peut-être que des entreprises de taille mineure (des agences de production, des designers par exemple, des entreprises de blockchain) devraient se saisir de cette opportunité pour essayer de travailler à un ensemble uniforme de standards qui leur conviennent à elles aussi.

Nouveau far west de formats

Rappelons que l’interopérabilité n’est pas une condition naturelle des systèmes complexes. Le JPEG a d’abord dû affronter plusieurs concurrents avant de devenir un format quotidien commun et d’être presque devenu un mot pour parler d’une image sur internet. Peu de gens connaissent plus de trois formats d’images. Le JPEG est facile, partageable et lu partout dans le monde et sur n’importe lequel des appareils et des systèmes d’exploitation.

On s’approche avec le métavers (qui changera sûrement de nom) d’un nouveau far west de formats. Alors que nous ne cessons d’expérimenter de nouvelles techniques pour afficher en temps réel des images d’une qualité toujours plus grande, et nécessitant une plus grande puissance de calcul, les formats pullulent.

Bien entendu, il y a un but commercial à tout cela. Une plus grande interopérabilité permet d’étendre les horizons d’exploitation des objets numériques produits au sein d’environnements eux aussi mieux compatibles entre eux. Meta voit là une véritable opportunité de rendre Horizon (ou plus simplement Facebook) encore plus intégré dans un internet où il prend déjà beaucoup de place. Malgré cela, une interopérabilité plus grande des formats est aussi annonciatrice d’une prise de lumière plus importante pour ces derniers.

La technologie pharmakon

Cette avancée sur le devant de la scène de certaines technologies ou de certains standards amène le grand public à s’y intéresser, à les détourner. Et s’il y a bien un espoir dans le MSF, c’est de voir que par l’uniformisation des moyens de production et de traitement de la donnée, nous allons pouvoir - nous, qui ne sommes pas Meta ou Google - nous saisir de ces technologies pour travailler à des propos neufs.

Le MSF souligne parfaitement le caractère de pharmakon que peut avoir la technologie (et plus particulièrement internet et ses formes les plus capitalistes). C’est à la fois le remède et le poison. Il faut savoir y trouver le bon comme se méfier du pire. Prêcher une interopérabilité saine, pour se protéger d’un accaparement de la valeur par les plus gros acteurs.

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.