Cinéma
La comédie vient de dépasser les deux millions d'entrées en moins de deux semaines d'exploitation. Un carton annoncé depuis des mois dans la presse, bien avant la sortie du film. Son producteur, Mars Films, a privilégié une minutieuse stratégie de terrain. Décryptage.

Cocasse: c’est l’histoire d’un film sur les sourds-muets... qui bénéficie d’un bouche-à-oreille exceptionnel. En deux semaines, La Famille Bélier vient de franchir allègrement les deux millions d’entrées, et s’annonce comme l’un des plus gros cartons français de l’année. Doit-on vraiment s’en étonner? Depuis des semaines, le film d’Eric Lartigau, sorti en salles le 17 décembre, était présenté, dans la presse et ailleurs, comme un rouleau compresseur, la nouvelle comédie qui allait exploser le box-office. Une sorte Bienvenue chez les Ch’tis chez les malentendants.

 

Certes, le casting réunit deux pointures du rire français, Karin Viard et François Damiens. Certes, le réalisateur est un faiseur reconnu qui a déjà rencontré le succès en salles grâce à Prête-moi ta main, avec Charlotte Gainsbourg et Alain Chabat, notamment. Mais qu’a donc valu à ce film ce buzz si louangeur, à tel point que l’on avait, bien avant sa sortie, le sentiment que le film ne pouvait pas ne pas cartonner?

 

«Tournée gargantuesque»

 

Loin des classiques teasers sur internet ou de la création de buzz sur les réseaux sociaux, La Famille Bélier a fait l’objet, depuis juin 2014, d’un patient et important travail de terrain. A la manoeuvre: Stéphane Célérier, de Mars Film, producteur délégué du film aux côtés de Jericho. Dès que Victoria Bedos, fille de Guy, lui pitche l’idée du film dans son bureau, le producteur dit banco.

 

«J’ai été très inspiré par le travail de la maison de production Working Title qui, en Grande-Bretagne, a produit Quatre Mariages et un enterrement, Bridget Jones ou encore Love, actually , raconte Stéphane Célérier. Cela faisait longtemps que j’avais envie de produire un "feel-good movie" français, même si les Français tendent à prendre de haut ce genre de cinéma, un héritage de la Nouvelle Vague qui a tendance à rejeter les films fondés sur l’affect, considérant que les bons sentiments sont synonymes de mièvrerie.»

 

Avec La Famille Bélier - l'histoire d’une famille d’agriculteurs sourds-muets dont la fille, la seule non malentendante et chanteuse, doit quitter les siens pour entrer à la maîtrise de Radio France -, Stéphane Célérier sent très vite qu’il «tient un truc». Dès le 26 juin, il organise des projections pour les exploitants. «Nous organisons traditionnellement des conventions pour eux, qui sont l’occasion de montrer un ou deux films. Les exploitants voient les films sans arrière-pensée critique: il s’agit pour eux d’évaluer s’ils vont remplir leurs salles ou pas. Et là, ils ont eu un réflexe d’enthousiasme incroyable: c’est à ce moment que le buzz est né», raconte le producteur.

 

S’ensuit une tournée en province «gargantuesque», de l’aveu même de Stéphane Célérier: 80 villes, contre un peu plus d’une dizaine pour une sortie classique. «Un travail de terrain, dans des villes moyennes voire petites, où nous n’avons négligé aucun média. Nous avons tout fait, de la PQR aux radios locales en passant par le moindre fanzine, le moindre site internet. Nous voulions que le succès du film naisse de la base.»

 

Les premiers médias nationaux sont sélectionnés avec soin. «Nous avons donné la priorité à des titres populaires comme Le Parisien, des radios comme RTL, la presse télé…», raconte Stéphane Célérier. La critique «traditionnelle», Les Inrocks, Télérama et consorts, assistera aux projections en bout de chaîne. «Si on s’attendait à se faire massacrer par des titres comme Les Inrocks, il y a eu une quasi-unanimité sur le fait que ça allait marcher», reconnaît le producteur, qui se défend néanmoins d’«avoir confectionné un film formaté pour plaire au plus grand nombre».

 

Polémique outre-Manche

 

Et si le public avait été agacé par cette chronique d’un succès annoncé? Et si, contre toute attente, le film avait été un four? Stéphane Célérier reconnaît avoir redouté que la rumeur positive soit contre-productive. D’autant que la polémique a accompagné La Famille Bélier: une journaliste du Guardian, Rebecca Atkinson, malentendante de naissance, a vitupéré «une nouvelle insulte cinématographique à la communauté sourde»«moins "feel-good" que "feel-bad"». «Colin Firth n’avait pas besoin d’être bègue pour jouer dans Le Discours d’un roi, Vittorio Gassman n’avait pas besoin d’être aveugle pour jouer dans Parfum de femme», balaie d’un revers de la main le producteur.

 

Mais foin des remous médiatiques: «le film va sortir dans le monde entier». Il a été vendu dans 85 pays, une performance à la Intouchables. Et Stéphane Célérier, porté par la cote d’amour du film, entend bien continuer à creuser le sillon du «feel-good movie» français, avec «la volonté de produire un cinéma frais et bouleversant». Et généreux en résultats sonnants et trébuchants.

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