Saga
Créée en 1984 pour lutter contre le sida, Aides a d’abord communiqué avec les moyens du bord avant de se faire accompagner par BDDP, devenue ensuite TBWA Paris.

En créant l’association Aides en 1984, le sociologue Daniel Defert veut aider les personnes touchées par le VIH (virus de l'immunodéficience humaine), être leur porte-parole et développer des programmes de prévention. La priorité, c’est agir, mais aussi communiquer auprès des populations à risque, par le biais de flyers et d’affichage sauvage (dans le Marais, à Paris, par exemple) pour alerter sur la situation et donner des informations concrètes via des permanences téléphoniques.

Mais communiquer sur le sujet n’était pas chose aisée, entre le fait «qu’on ne savait rien sur la maladie et qu’il était alors interdit de faire de la publicité pour les préservatifs jusqu’en 1986», rappelle Christian Andreo, actuel directeur de la communication, du plaidoyer et de la collecte de fonds privés chez Aides. «D’autant plus que le sida [syndrome d’immunodéficience acquise, maladie générée par le VIH] touchait à des tabous, que sont la sexualité, l’homosexualité ou l’usage de drogues», ajoute Anne Vincent, vice-présidente de TBWA Paris, l’agence qui accompagne Aides depuis vingt ans.

Durant ces années noires où les malades meurent faute de soins adaptés et de prises en charge efficaces, Aides fait de la prévention son cheval de bataille. Dès 1986, deux spots informatifs réalisés avec les moyens du bord sont diffusés lors de séances de sensibilisation dans des hôpitaux et dans des cinémas… pornographiques. Si l’un montre une infirmière expliquant qu’«une seringue, ça ne s’emprunte pas, ça se ne prête pas», le deuxième met en scène un couple d’homosexuels allant acheter des préservatifs, car «mourir d’aimer, non merci».

«Déclaration universelle des droits des malades du sida et des séropositifs»

En 1987, Aides s’allie à Médecins du monde pour signer la «Déclaration universelle des droits des malades du sida et des séropositifs» afin d’inciter le gouvernement à mettre en place des directives pour aider les personnes touchées par la maladie, comme «arrêter d’isoler les malades du sida dans les hôpitaux en mettant une pastille rouge sur leur porte», continue Christian Andreo.

Les années suivantes, tandis que le sida s’impose comme une cause à part entière, Aides continue à déployer ses antennes sur le terrain, tout en poursuivant la communication. En 1993, l’association lance une campagne sauvage pour inciter les proches à accompagner les personnes malades. «L’affiche, signée “C’est si important d’être là”, qui montre un couple d’hommes, dont l’un est rattaché à une perfusion, est un appel à la solidarité, tout en abordant la question de l’homosexualité et en renvoyant à l’image de la personne touchée», décrypte Christian Andreo.

Des campagnes chocs

Alors âgée de dix ans, Aides met doucement en place son service de communication, qui lance en 1994 une «Marche pour faire reculer le sida». «Cette marche de soutien a été reconnue d’utilité publique», rappelle Christian Andreo. Pour autant, même si l’Etat commence à s’inquiéter de la maladie et développe des campagnes, «les tabous résistent».

Toujours en 1994, Aides développe des partenariats avec Fun Radio, le magasin de vêtements Morgan de toi, la boisson Gini et le magazine Elle pour faire de la pédagogie et marteler le message: «Le préservatif: pour nous protéger du sida.» Et tout en incitant à la prévention, elle continue à interpeller les pouvoirs publics. Ainsi, en 1995, une campagne de prints chocs et sobres interrogent, comme «2 milliards pour l’élaboration d’un antiride, combien pour la recherche de traitements contre le sida?», ou encore «10 minutes de télé chaque soir pour vous prévenir des risques d’averse, combien pour vous prévenir des risques du sida?». Cette saga, qui marque aussi le début de sa collaboration avec BDDP, «voulait mettre sur la table différents sujets tout en gardant un ton osé et dérangeant», explique Anne Vincent.

Lutter contre les discriminations

Peu de temps après cette campagne, en 1996, les laboratoires trouvent un traitement qui permet de prolonger l’espérance de vie des malades du sida. «Nous sommes alors entrés dans un contexte de post-crise», où les malades n’étaient plus automatiquement condamnés, continue Christian Andreo.

L'urgence est alors de lutter contre les discriminations à l’égard des malades qui reprennent une activité professionnelle. C’est chose faite dès 2001 avec une campagne humoristique, signée TBWA Paris (ex-BDDP), dont la thématique est le milieu du travail.

Inciter à la prévention, lutter contre les discriminations…, mais rappeler que la maladie reste mortelle avec des visuels (2002-2003) comparant des sexes masculins et féminins à un serpent mortel ou un cercueil. Pour contrebalancer cette campagne plutôt grave, l’association lance peu après une campagne plus légère, visant à dédramatiser le port du préservatif: «Dick dit: “Les préservatifs, c’est comme la crème solaire, c’est efficace que si on en met”.»

Cette alternance entre campagnes graves et légères sera d’ailleurs le canevas des années suivantes: un spot rappelle que l’épidémie fait toujours des ravages en Afrique (2004), puis un film d’animation montre le parcours amoureux d’une jeune femme, signé «Vivez assez longtemps pour trouver le bon» (2005). «Ce film abordait le sujet de manière positive en se plaçant du point de vue de la vie plutôt que de la mort», décrypte Anne Vincent. «Outre ce mouvement de balancier, nous avons aussi dû équilibrer campagnes osées et provoquantes, qui sont propres à Aides, et campagnes plus institutionnelles», continue Anne Vincent.

Exemple de ces prises de parole institutionnelles: en 2007, Aides dévoile une publicité mettant en scène des personnalités de la télévision, de la musique ou de la politique… avec quasiment tous les candidats à l’élection présidentielle.

 

Des interpellations de qualité

Pour remettre le sujet sous le feu des projecteurs au moment de l’élection présidentielle de 2012, Aides imagine une opération, qui fait beaucoup parler d’elle dans la presse et sur les plateaux télévisés, qui compare chaque candidat à un préservatif. Le message? Souligner qu’il y a deux moyens d’arrêter le sida: le préservatif et l’action des hommes politiques. «Cette campagne a prouvé que malgré notre taille et notre statut d’acteur incontournable dans la lutte contre le sida, on arrive encore à faire les sales gosses en s’invitant dans une campagne présidentielle», glisse Christian Andreo.

 

Légères ou graves, le point commun de toutes ces campagnes réside dans leur qualité. «Comme toute association, Aides doit donner envie aux magazines, aux stations de métro, aux chaînes de télévision d’offrir gracieusement des espaces médias», explique Anne Vincent.

Preuve de cette attention à la qualité, plusieurs campagnes ont été primées, comme ce film de 2010 mettant en scène le graffiti d’un pénis qui ne trouve à s’amuser que lorsqu’une jeune fille lui dessine un préservatif. «Il a remporté divers prix et a enregistré un million de vues sur internet en seulement 24 heures», conclut Christian Andreo.

Repères
1982 : dépénalisation de l’homosexualité en France
1984 : création d’Aides
1986 : légalisation de la publicité sur le préservatif en France
1987 : « Déclaration universelle des droits des malades du sida et des séropositifs » signée Aides et Médecins du Monde
1994 : première « Marche pour faire reculer le Sida »
1994 : début de la collaboration entre Aides et BDDP
1996 : le traitement pour prolonger l’espérance de vie des malades du Sida est trouvé

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