Alimentation
Industriels, distributeurs, scientifiques et associations s'écharpent à propos du nouveau système d'information nutritionnelle prévu par la loi de santé publique en cours de débat au Parlement.

Le projet de loi de santé publique de Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes, examiné en première lecture au Parlement le 17 mars, fait beaucoup parler de lui. Mais derrière la fronde très médiatisée des professionnels de santé, un autre débat agite le monde de la grande consommation autour de l’article 5 de ce texte qui prévoit, sur la base du volontariat, un système d’information nutritionnel simplifié et unifié qui permettrait de mieux lutter contre les excès de sucre, de sel et de matières grasses, et ainsi endiguer l’obésité et les maladies chroniques. Si l’article proprement dit n'inquiète guère les industriels, ravis que rien ne leur soit imposé, ses modalités d’application font, elles, en revanche, l’objet de tirs nourris entre les différentes parties prenantes.

La dernière à dégainer a été la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD). Le 16 mars, elle a présenté son propre système d’information, mis au point avec un comité d’experts (dont les noms n'ont pas été révélés), bientôt testé en magasin. Quatre triangles, assortis de fréquences de consommation: vert (tous les jours), bleu (plusieurs fois par semaine), orange (une ou deux fois par semaine) et violet (occasionnellement), constituent l’étiquetage préconisé par de nombreux distributeurs, comme Système U, Monoprix, Auchan, etc.

«Nous avons travaillé collectivement sur la base du système Carrefour [présenté en octobre 2014 et vivement critiqué par les scientifiques à l'époque] pour obtenir un étiquetage cohérent et plus lisible, explique Fabienne Prouvost, directrice de la communication et des affaires publiques de la FCD. Ce qui est important, c’est de parler de fréquences de consommation et de portions.»

Deux systèmes

Ces deux informations, précisément, manquent au modèle inspiré des «traffic lights» britanniques, présenté en janvier 2014 par le président du Programme national nutrition santé (PNNS), le professeur Serge Hercberg, dans un rapport remis à la ministre de la Santé dans le cadre de la Stratégie nationale de santé. Reposant sur une échelle de cinq couleurs - du vert pour les produits plus équilibrés au rouge pour ceux qui le sont moins, en passant par le jaune, l’orange et le rose -, cet étiquetage s’appuient sur les données nutritionnelles obligatoires pour déterminer les seuils de chaque couleur.

Aujourd’hui, ces deux systèmes sont au cœur d’une bataille de lobbying, les industriels étant vent debout contre le système du professeur Hercberg, dont ils considèrent la couleur rouge comme particulièrement stigmatisante pour certains produits. Le système proposé par la grande distribution ne faisant pas plus l’unanimité parmi les scientifiques et les associations de consommateurs. Si celles-ci saluent l’initiative des distributeurs, qui «montre que les professionnels de la distribution ont conscience de la nécessité de proposer un nouvel étiquetage nutritionnel», estime Alain Bazot, président de l’UFC-Que choisir, elles regrettent «le rôle prescriptif de l’indication de fréquence, qui fait fi de la volonté que l'on a de redonner au consommateur son libre arbitre».

Du côté de l’Association nationale des industries alimentaires (Ania), qui critique catégoriquement le système des cinq couleurs, l’argumentaire est le même: «Dans ce débat, nous devons faire preuve de plus d’humilité vis-à-vis des consommateurs. En aucun cas, ils ne demandent à ce qu’on leur impose ce qu’ils doivent manger ou non», juge Jean-Philippe Girard, président de l’Ania.

Un code couleur indiquant une fréquence de consommation s’apparente pourtant bien à une volonté de préconiser des modalités de consommation. Mais dans ce débat, si la FCD se dit «ouverte à la discussion» et que les promoteurs de l’étiquetage à cinq couleurs affirment leur volonté d’être consultés par les industriels, c’est pourtant bien une partie d'influence qui se joue.

Retoqué au Parlement européen en 2010, le système des cinq couleurs est depuis quelques années déjà dans le viseur des industriels, qui auraient dépensé un milliard d’euros entre 2006 et 2010 «pour empêcher l’apposition d’un étiquetage par feux tricolores sur les emballages en Europe, rappelle Ingrid Kragl, directrice de la communication de l’association de défense des consommateurs Foodwatch. Afin de favoriser l’entrée en vigueur en décembre dernier du règlement INCO, plus avantageux pour eux car fondé sur les GDA [Guideline Daily Amounts, ou apports journaliers recommandés]. Les valeurs sont exprimées en pourcentages complexes, pas toujours transparents.»

Tous les moyens de communication

«Le sujet de l’étiquetage nutritionnel est particulièrement intéressant du point de vue lobbying, estime Florence Maisel, directrice du cabinet de lobbying Interel France. Il y a beaucoup de parties prenantes, et ceux qui font le lobbying le plus visible et le plus intense ne sont pas forcément ceux auxquels on s’attend: dans cette affaire, il s’agit plutôt des promoteurs de l'étiquetage Hercberg.» Soit les professionnels de santé et les associations de consommateurs.

Pierre Lombrail, président de la Société française de santé publique (SFSP), à l’origine d’une pétition en ligne qui a récolté plus de 25 000 signatures, explique sa démarche. «Nous avons voulu rendre le sujet plus accessible. Connaissant les résistances des industriels, nous nous sommes dit qu'il n’était pas possible qu’une politique de santé publique reste prisonnière d’enjeux économiques à très courte vue. Il y a donc eu une mobilisation concertée, plus importante.»

Le professeur Serge Hercberg renchérit: «Le système des cinq couleurs a rapidement été porté par de nombreux scientifiques, et beaucoup d’associations de consommateurs se sont mobilisées. Mais je n'en suis pas à l'origine.» Florence Maisel confirme, en tout cas, une stratégie particulièrement bien menée: «Les promoteurs de ce rapport ont su utiliser les moyens de lobbying mis à leur disposition, comme les réseaux sociaux, et ce de façon inédite. Nous avons assisté à une montée en puissance du sujet pendant plus d’un an à travers les relais que sont les sociétés savantes, les associations de consommateurs, qui ont conçu une vidéo, créé une pétition en ligne, etc. On note une utilisation très pertinente et très moderne de tous les moyens de communication qui ne demandent pas de gros moyens. C’est un peu déstabilisant pour le camp adverse.» 

Pierre Lombrail évoque aussi «des rapports plus étroits avec les associations de consommateurs et les médias». Quand les deux peuvent ne faire qu’un, c’est encore plus efficace. L’UFC-Que choisir a ainsi prouvé la pertinence du système, il y a quelques semaines, en menant une étude sur trois cents produits de grande consommation soumis au nouvel étiquetage nutritionnel. L’association Consommation, logement, cadre de vie (CLCV), pour sa part, prend part au débat en relayant «un certain nombre de propositions auprès du public, explique Célia Potdevin, en charge de l’alimentation à la CLCV. Nous discutons avec nos différents bureaux sur les orientations à suivre. Ensuite, nous travaillons pour être auditionnés à l'Assemblée nationale et au Sénat. Nous sommes intransigeants sur le fait que les scientifiques doivent avoir la main, et non les industriels.» La partie est loin d'être finie, tous ont déjà en ligne de mire le futur décret d'application. 

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