Après quelques années d'angoisse face au développement des pure players, les retailers sont repartis à l'offensive. La transformation omnicanal est en cours et commence à payer.

L’histoire n’est jamais écrite d’avance. Quand, il y a quelques années, face à l’essor de l'e-commerce, on augurait une descente aux enfers des magasins physiques ou des commerces de quartier au profit des pure players, qui livraient à domicile les mêmes produits moins chers, on oubliait sans doute quelques données, comme la réactivité des enseignes et l’évolution des consommateurs.

«Il y a cinq ou six ans, on nous prévoyait un sombre avenir, se rappelle Olivier Godart, le directeur e-commerce de Darty. On disait que les retailers étaient voués à mourir.» C’était sans compter sur leur étonnante adaptation. Depuis trois ans, les projets se multiplient dans les magasins, se déploient à tout-va, et les enseignes prennent le virage à bras le corps. Et ça marche! De la Fnac à Monoprix en passant par Boulanger et Darty, que les enseignes soient françaises, anglaises ou américaines, la révolution en cours de l’omnicanal commence à porter ses fruits.

Cohérence des canaux et des prix

Au cœur de cette révolution: le consommateur. «Il faut rester humble, tempère Olivier Godart. Nous n’avons fait que nous adapter aux comportements des clients.» Les avantages qu’ils voyaient à l’achat sur internet? Le prix, la rapidité, l'étendue du catalogue et la livraison. C’est ce à quoi les distributeurs ont répondu. Mais ils ont fait mieux. 

A commencer par ne plus opposer le physique au digital. Etre omnicanal ou cross canal, ce n’est pas avoir un site internet, c’est avoir une même enseigne sur différents canaux. «L’objectif, c’est de retrouver une cohérence, de faire en sorte que le web ne soit pas vu comme l'ixième magasin, mais comme un média, une autre porte d’entrée afin de préparer sa visite, explique Christophe Corfa, le directeur de Boulanger.com. Bref, fusionner le web et le magasin.»

Pour que cela fonctionne, il faut ne plus voir l’un comme un concurrent de l’autre. Cela commence par une politique prix cohérente. «Le consommateur ne peut pas s’y retrouver s’il voit un produit à un prix “X” à un moment du parcours client et à prix “Y” à un autre», note Christophe Corfa.

Idem pour les promotions: tout doit être cohérent sans pour autant mettre de côté les initiatives locales des points de vente. Dans la récente refonte du site web d'E.Leclerc, l’agence Extrême Sensio a mis en place un système qui permet aux directeurs de magasins d'indiquer leurs promotions. L'internaute qui surfe avant d’entrer dans un magasin est ainsi au courant du prix localement, sans hiatus.

Le prix dans le point de vente était l’une des raisons de la fuite des clients vers le web. Pour améliorer leur image prix, certains, comme Dixons au Royaume-Uni ou Wal Mart aux Etats-Unis, n’ont pas hésité à afficher directement les prix d’Amazon dans leurs magasins, comme lors du dernier Black Friday (coup d’envoi de la période des achats de fin d’année avec d'importantes soldes). «Ils ne l’ont pas fait sur tous les produits, mais sur les meilleurs références de leur catalogue en s’alignant, précise Olivier Trouvé, vice-président de Capgemini Consulting France, chargé du retail. Cela leur permet d’améliorer sensiblement leur image prix et de dire à leur client “Je suis dans le coup!”.»

Maillage du territoire

La révolution omnicanal se joue également au cœur de la logistique. Peu importe où le client commande, il ne doit pas voir la différence entre les canaux en termes d’offres ou de disponibilités. Au départ, les enseignes ont ouvert un site marchand avec ses équipes et son stock rattachés, une aberration dans un parcours client unifié. En quelques années, les services logistiques ont fusionné les stocks, qui n’en sont plus qu’un, mais réparti en autant d’endroits que sont les magasins et les entrepôts. Une étape nécessaire pour exécuter le «click & collect» (commande en ligne suivi du retrait de l'article dans un magasin), une des armes premières des magasins et à l’origine de leur succès. «Il offre un contact avec le vendeur, réhumanise la relation», détaille Olivier Godart, de Darty. Et est gratuit, une aubaine quand on sait que 42% des clients choisissent ce mode de livraison pour sa gratuité. Et aussi que 60% des clients abandonnent leur panier sur internet à cause des frais de livraison, jugés trop élevés…

Ce service click & collect peut représenter aujourd’hui 50% des commandes finalisées sur le web, que ce soit chez Darty ou dans d'autres enseignes. Mieux: «Un tiers des clients utilisant ce mode de retrait achète un autre produit dans le magasin lors du retrait de la commande», indique Marie Renouard, directrice de la stratégie omnicanal de Monoprix. Un chiffre qui semble faire l’unanimité chez les distributeurs. «Ce qu’on observe également, c’est le fait qu’un client utilisant ce canal revient beaucoup plus souvent», complète David Schwarz, directeur e-commerce de Carrefour.

Après soixante magasins qui ont mis en place le click & collect pour le textile chez Monoprix fin 2014, tout le réseau – 200 points de vente – y passera en 2015. «Nous avons déployé le Drive Piéton pour l’alimentaire l'année dernière également», précise Marie Renouard.

Le click & collect est aussi un moyen de réduire considérablement les délais de livraison pour un client qui veut son achat le plus rapidement possible. Avec leur maillage du territoire, les enseignes bénéficient d'un avantage de poids. «Rendez-vous compte, la stratégie d’Amazon à dix ans est de pouvoir livrer en moins de 2 heures, observe Olivier Trouvé, de Capgemini Consulting. Des enseignes comme Aurora Fashion livrent déjà dans toute l’Angleterre en 90 minutes.» En France, Boulanger livre une commande faite à 22 heures à partir de 7 heures le lendemain. La Fnac a lancé un service express en 3 heures. Tous ces modes s’appuient sur les magasins physiques que les pure players n’ont pas.

Nouveau paradigme

Pour autant, passer à l'omnicanal ne relève pas toujours du parcours de santé. «La principale difficulté se situe souvent en interne», précise Lucas Denjean, directeur général de l'agence Extrême Sensio. Face à la crainte de «l'effet showrooming» (visite en magasin pour un achat sur internet concurrent), les équipes de terrain peuvent vite se démobiliser. Avant d’être un chantier logistique, technique ou informatique, c’est bien un projet d’entreprise et de communication interne. «Chez Darty, nous avions déjà cette culture omnicanal, car depuis nos débuts nous effectuons des ventes par téléphone», souligne Olivier Godart. Une culture qui explique peut-être l’adaptation rapide de l’enseigne, qui a réalisé 400 millions d’euros de son chiffre d’affaires sur internet en 2014, dont une moyenne de 20% par le clic & collect.

Mais il a fallu convaincre d'autres enseignes. «Ce sont les équipes des magasins qui gèrent les commandes. C’est très important de les impliquer dans le projet, qu’elles travaillent avec l’équipe responsable du web», détaille Christophe Corfa, de Boulanger.com. Notre projet de livraison du soir pour le lendemain est une idée venue d’un directeur de magasin.»

Mais la raison du porte-monnaie est toujours la meilleure… Quand une vente a lieu sur internet, à qui revient l’argent? «La réponse est dans la bouche du directeur de Macy’s, Terry Lundgren, répond Olivier Trouvé: “Tout a changé quand j’ai dit à mes directeurs de magasin qu’ils n’étaient plus responsables du chiffre d'affaires de leur magasin, mais de leur zone de chalandise, quel que soit le canal utilisé”.» Un nouveau paradigme, au final. Ainsi, il faut un compte de résultat commun ou, à tout le moins, faire remonter le chiffre d’affaires de la zone dans chaque magasin.

Les méthodes de travail aussi ont changé. «Trop souvent, on a vu des gadgets placés en magasins, sans impact sur l'activité, note le vice-président de Capgemini Consulting. Désormais, les enseignes mettent en place des pratiques de “test & learn” [tester une idée ou un processus à petite échelle, en tirer des enseignements, donc l'améliorer, avant de généraliser], en mode “agile”, avec des systèmes de mesures d’efficacité appropriés dès le départ.» Fini l'Ipad au vendeur juste pour faire digital…

Les technologies, en outre, sont plus abordables. Une puce RFID, pour la géolocalisation des produits et la connaissance des stocks, par exemple, ne coûte plus que quelques centimes. Bref, les pure players n'ont qu'à bien se tenir!

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.