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Avec le lancement des applications Periscope et Meerkat, diffuser de la vidéo en direct depuis un mobile devient extrêmement facile. Un nouveau territoire qu’entendent bien investir les marques et les médias afin de renforcer encore le lien avec leur public.

Grâce à Nikos Aliagas, les coupures publicitaires de TF1 n’ont jamais été aussi intéressantes. Chaque samedi, tout au long de l’émission The Voice, le présentateur vedette multiplie les photos en coulisses et, depuis peu, les vidéos qu’il retransmet en direct depuis son smartphone. Durant la prestation des candidats et la diffusion de reportages, mais surtout pendant la publicité, il filme et retransmet en temps réel, via l’application Periscope, ce qui se passe hors champ. Periscope? Un nouvel outil lancé par Twitter fin mars, qui renforce encore le lien entre le programme, son animateur et les millions de téléspectateurs regardant The Voice chaque semaine. «Il ne s’agit pas de filmer les coulisses pour les coulisses, dans une démarche narcissique, il faut raconter une histoire. C’est un peu comme une troisième mi-temps de The Voice», explique Nikos Aliagas.

Fervent adepte des réseaux sociaux, l’animateur aux 720 000 followers a fait partie des quelques privilégiés choisis par Twitter pour tester en exclusivité son nouveau service. Un bêta-testeur de luxe, au même titre que le chorégraphe Benjamin Millepied ou le DJ David Guetta, permettant à Twitter de créer le buzz avant le lancement officiel de Periscope le 26 mars, une start-up que le réseau social avait racheté en toute discrétion en décembre 2014 pour 100 millions de dollars. «J’aime partager l’instantanéité d’une situation, ça me permet de donner du relief à ma démarche professionnelle. Avec Periscope, chacun fait sa propre chaîne de télé. C’est aussi un outil qui offre un lien direct avec les gens, puisqu’ils peuvent me poser des questions», s’enthousiasme Nikos Aliagas.

Des tests pour les médias et les marques

Comme lui, ils sont des milliers, peut-être même des millions, à retransmettre chaque jour dans le monde des moments de vie en direct sur Periscope ou via l’appli concurrente Meerkat, lancée quelques semaines plus tôt par la société israélienne Life on Air, et qui a fait sensation lors du dernier festival SXSW d’Austin, aux Etats-Unis. Depuis, Periscope semble avoir clairement pris le dessus, portée par la force de frappe de Twitter. Selon l’agence Social bakers, les liens renvoyant vers Periscope sont aujourd’hui dix fois plus nombreux sur Twitter que ceux renvoyant vers Meerkat.

«On y trouve vraiment de tout. Cela va de l’adolescent qui se filme en train de manger des cookies au pianiste qui joue le morceau que lui demandent les internautes. Il y a une vraie utilité pour les artistes, qui peuvent filmer les coulisses de leurs performances, comme l’Opéra de Paris, qui retransmet en direct ses répétitions. Cela a un côté poétique», souligne Anne Kerloc'h, rédactrice en chef adjointe de 20 Minutes, chargée des réseaux sociaux et du participatif.

Si des plateformes de diffusion en direct, comme Livestream et Ustream, permettent depuis des années de retransmettre de la vidéo en temps réel sur internet, ce qui change aujourd’hui, c’est la facilité avec laquelle chacun peut le faire d’un simple clic sur son smartphone. Et gratuitement. «Periscope et Meerkat ne sont pas des innovations de rupture. Nous sommes à un moment de maturation des réseaux sociaux dans le temps réel, qui fait que les usages sont aujourd’hui en phase avec ce type de services», analyse Guilhem Fouetillou, cofondateur de Linkfluence, société spécialisée dans le web social. «Ces deux applications sont les enfants naturels de Twitter, You Tube et Instagram. Sur le plan journalistique, cela va donner un nouvel élan à l’immédiateté de l’information», renchérit Jérôme Colombain, journaliste high-tech à France Info.

Lorsqu’un violent incendie s’est déclaré à New York le 26 mars, provoquant l’effondrement de trois immeubles de l’East Village, des habitants ont dégainé leur smartphone pour retransmettre en temps réel les images du sinistre sur Periscope et Meerkat. «Chaque individu devient une chaîne de télévision en direct. Aucune rédaction ne peut concurrencer ça», assure Eric Scherer, directeur de la prospective à France Télévisions. «En croisant mobilité, instantanéité et vidéo, Periscope et Meerkat remettent le témoin au cœur de l’information», insiste Wale Gbadamosi Oyekanmi, directeur général de l’agence de social TV Darewin.

Pour l’heure, ces applications restent encore l’apanage d’un petit cercle d’«early-adopters», mais pour combien de temps? Lancée sur Iphone, l'appli Meerkat vient de mettre en ligne une version Android, et Periscope devrait suivre. Avantage pour les médias et les marques, chacun peut y tester des choses sans prendre trop de risques. Parmi les marques ayant tenté l’aventure, Adidas, qui a diffusé sur Periscope la signature de l’extension de contrat du footballeur colombien James Rodriguez, ou Burberry, qui a retransmis en direct un défilé de mode depuis Los Angeles.

En France, LCL a été parmi les premières marques à tester Periscope. Le 29 mars, la banque a diffusé en direct l’arrivée de la course cycliste Critérium international et le podium, une opération renouvelée deux semaines plus tard lors du Paris-Roubaix. «Notre parti pris est de capitaliser sur les grands événements sportifs dont LCL est partenaire pour partager avec notre audience un moment d’émotion. Les gens demandent de l’authenticité et sur Periscope, on ne peut pas tricher, c’est une diffusion en direct, sans montage», insiste Guillaume Vendé, responsable internet et réseaux sociaux de LCL. Pour le lancement de son pop-up store consacré au peintre Marion Lesage, Monoprix a également expérimenté le live stream vidéo sur Periscope. «Cela permet de donner accès à l’actualité chaude de la marque pour des consommateurs qui sont loin, et d’échanger avec eux. Ce type d’opération augmente la spontanéité de la marque», explique Stéphanie Jallet, responsable e-marketing social et mobile de l'enseigner.

Même chose pour le constructeur Skoda, qui a diffusé, toujours sur Periscope, la visite d’un concessionnaire ainsi que le test de son nouveau modèle Fabia, ou de la radio Europe 1, qui organise le 23 avril une journée spéciale Periscope. «C’est pour nous un outil de communication parmi d’autres pour renforcer le lien avec nos auditeurs en leur permettant de découvrir les coulisses de la station», estime Thomas Pawlowski, directeur de la communication radios-TV du groupe Lagardère Active.

Apprécier un moment plus qu'un contenu

«Periscope et Meerkat sont des outils particulièrement pertinents pour les marques qui ont des actifs forts autour des thématiques d’instantanéité, comme dans les domaines du sport et de la mode, souligne Séverin Cassan, directeur de la communication digitale d’Orange. Pour une marque comme la nôtre, nous pourrions imaginer de diffuser les hangouts [messageries instantannées] que nous organisons sur Google autour de nos nouveaux produits ou les rencontres que nous tenons chaque trimestre avec les Top contributeurs de la communauté Sosh.»

Quoi de plus efficace en effet que de profiter d’une opération sur le terrain pour en diffuser les coulisses sur Periscope ou Meerkat? Les consommateurs en sont friands, à condition de ne pas les berner. «Madonna a lancé son dernier clip sur Meerkat, mais il s’agit là d’un détournement de la plateforme avec un événement qui avait les attributs du live sans l’être vraiment. Si une marque fait du faux live, ça devient du brand content, et les consommateurs ne vont pas être dupes longtemps», insiste Olivier Vigneaux, président de BETC Digital.

Le risque de bad buzz est d’autant plus grand que, sur Periscope, «la dimension communautaire est très importante puisque les internautes peuvent interagir avec le diffuseur en temps réel, contrairement aux outils de streaming qui existaient jusque-là», note Jacquelin Guillaume-Duverne, directeur de la création social media chez Marcel, qui pilote la première opération Periscope qu’Orange lancera d’ici la mi-mai. A mesure qu’ils sont envoyés, les commentaires des internautes apparaissent sur l’écran du live vidéo, sans filtre. Une transparence qui pourrait écorner l’image de la marque, d’où l’idée d’utiliser des intermédiaires.

«Il est intéressant pour une marque d’utiliser des influenceurs pour relayer leurs événements, comme nous invitions jusque-là des blogueurs. Cela permet à la marque de toucher d’un coup une audience importante et de soumettre aux commentaires non pas la proposition de la marque en direct, mais le regarde d’un influenceur», analyse Olivier Vigneaux, de BETC Digital.

Autre changement pour les marques et les médias, la façon dont les internautes entrent en interaction avec elles. Sur Periscope, pas de «like», mais des petits cœurs que les utilisateurs peuvent envoyer durant la diffusion et qui apparaissent sur le flux vidéo. «Les internautes n’aiment plus un contenu, mais un moment, analyse Brice Vinocour, directeur général adjoint de la Digital University de DDB. Cela va obliger les marques à intégrer une nouvelle mesure de la performance sociale.» De quoi susciter aussi une nouvelle forme de dopage social.

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