Affaires publiques
Depuis quatre ans, l'Ordre des avocats de Paris se met en… ordre de bataille pour passer à l'offensive, afin d'affirmer l'image de la profession mais surtout de se placer au cœur du débat public. Le projet de loi sur le renseignement lui a permis de passer aux travaux pratiques.

En gestation depuis début 2014, le projet de loi sur le renseignement, qui fait tant parler de lui depuis son examen au Parlement entamé en avril dernier, irrite les avocats qui dénoncent une grave atteinte aux libertés individuelles. Problème: pendant toute la période préparatoire à ce texte, la profession n'a guère eu l'oreille du gouvernement, le ministère de l'Intérieur, en première ligne sur le dossier, n'ayant même pas éprouvé le besoin de rencontrer ses représentants, à commencer par l'Ordre des avocats de Paris.

Face à ce tir de barrage, ce dernier a entrepris très en amont un travail de fond. À force de contacts avec les élus, des think tanks, des spécialistes de la sécurité, les syndicats de policiers mais aussi à gros renforts de prise de parole médiatique, l'Ordre a fini par s'imposer comme un interlocuteur incontournable sur ce dossier. 

Rajeunissement et féminisation

Ce cas de lobbying actif est le résultat d'une stratégie nouvelle adoptée par l'Ordre des avocats de Paris depuis 2011 et l'arrivée d'Olivier Corato, ancien patron de la communication du conseil général du Val-d'Oise, qui inaugure alors le poste de directeur de la communication au sein de l'institution. «Le Barreau de Paris regroupe 27 000 avocats sur les 56 000 que compte la France, les deux tiers sont conseils en droit des affaires. Sur les 3 000 nouveaux avocats, 2 000 s'inscrivent chaque année au Barreau de Paris, leur moyenne d'âge est de seulement 42 ans, et plus de la moitié (52%) sont des femmes. Autant dire que ses membres expriment des attentes et des demandes nouvelles, à commencer par une représentation plus adaptée aux enjeux d'aujourd'hui», déclare Nicolas Corato pour expliquer la création de son poste, doublée en 2014 d'une direction des affaires publiques dont il a également la charge. 

S'appuyant sur une équipe de huit personnes, dont cinq pour les seules relations médias, et disposant d'un budget d'un million d'euros (masse salariale comprise), Nicolas Corato souhaite certes, dès son entrée en fonction, s'impliquer dans la bataille sur l'image des avocats, mais son objectif sera d'abord d'engager celle des idées. «L'intention n'est plus de se placer en mode corporatiste et défensif, mais bien de remettre l'avocat au cœur du débat public afin d'influencer les décisions de demain.»

TBWA Corporate à la rescousse

En vue notamment du projet de loi sur le renseignement, sa première décision sera de s'adjoindre les services d'une agence de communication d'influence. Fin 2013, à l'issue d'un appel d'offres, il choisit TBWA Corporate en finale face à Havas Paris et Publicis Consultants. Mais son choix porte avant tout sur le président de l'agence, Pierre-Yves Frelaux, et sur son expert en lobbying Joshua Adel. Quand ces deux-là lui annoncent leur départ de TBWA pour créer leur propre agence, Proches, naturellement il les suit. L'agence est, depuis, la cheville ouvrière de cette sortie du bois.  

«Le bâtonnier de l'Ordre étant élu tous les deux ans, il était indispensable de poser une ligne et des jalons à notre action et à notre discours», note Nicolas Corato, qui a établi un corpus de grands thèmes à mettre en avant et à défendre (accès au droit pour tous, réforme des professions réglementées, pacte de responsabilité, protection des libertés numériques...). «Notre démarche dépasse le lobbying classique, celui du carnet d'adresses et du travail réglementaire, pour privilégier une approche plus "affaires publiques" visant à créer un rapport de force politique favorable», précise-t-il, ajoutant toutefois que l'Ordre a été l'un des premiers à s'inscrire sur le registre des représentants d'intérêt de l'Assemblée nationale. Mais son travail d'influence passe aussi par des relations médias, de la communication sur les réseaux sociaux et de l'événementiel.

Avec une boîte à outils complète à disposition: une newsletter bimensuelle éditée à 28 000 exemplaires et rendant compte par le détail à ses membres des actions de l'Ordre; un compte Twitter comptant aujourd'hui 1 600 followers (journalistes, assistants parlementaires, députés, avocats...); un rapport d'activité semestriel envoyé aux avocats et parlementaires; l'«Open Paris Bar», des rencontres lors de dîners ou d'afterworks avec des assistants parlementaires, des collaborateurs ministériels, de jeunes journalistes et avocats («la génération des décideurs de demain»); des voeux aux corps institutionnels et le «pot de la rentrée parlementaire» au Palais de justice. «Aujourd'hui, il est essentiel de considérer et d'agir sur l'environnement et l'écosystème autour du centre de décision, à savoir les médias, les think tanks, les syndicats, etc.», conclut Nicolas Corato. 

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