Relations publics
Durant quinze jours, c'est l’endroit où il faut être pour les entreprises. Déjeuner sous les gradins et après-midi de matchs sont censés développer les liens commerciaux et le chiffre d’affaires. Est-ce réellement le cas?

Ils sont nichés partout sous les gradins des courts. Baptisés New-York, Légendes, Club des Loges ou Grand Chelem, les espaces de relations publics à Roland-Garros occupent le moindre espace disponible. Il y en a une trentaine éparpillée sur les 8,6 hectares du stade de la porte d’Auteuil. L’hospitalité est dans l’ADN des Internationaux de France de tennis. Le tournoi est à l’origine de la notion de «village» des partenaires, il y a plus de trente ans. Lacoste, Perrier, BNP et JC Decaux y étaient déjà. En 2015, sur les 460 000 billets vendus pour la quinzaine, près de 85 000 sont réservées aux opérations de relations publics, soit plus de 15%. «C’est le taux le plus élevé des quatre tournois de Grand Chelem», confie Nathalie Sergent, directrice des opérations grand public et hospitalité de la Fédération française de tennis (FFT). Les recettes hospitalité de Roland-Garros s’élèvent à 28,3 millions d’euros, et quelque 900 entreprises achètent des packages commercialisés entre 250 et 1 800 euros.

«A Roland-Garros, on ne relit pas la 17e mouture du contrat, mais on discute et on fait des rencontres pour le bien des affaires, explique Gilles Bertoni, codirecteur du tournoi entre 1986 et 2001. Les contacts se prennent et des cartes de visite s’échangent.» L’ambiance, forcément décontractée, et les premiers rayons de soleil printaniers facilitent les relations d'affaires. «Plus que pour tout autre événement sportif, on passe beaucoup de temps avec ses invités, plus de sept heures, assure Nathalie Sergent. C’est un levier très important pour fidéliser un client ou séduire un prospect.» Le cadre du lieu, sympathique, et la possibilité d’assister à un match, ne font pas tout. Une opération de relation publics, ici ou ailleurs, est un levier de développement commercial pour les entreprises. «Avant, on venait pour le plaisir, et c’était la direction financière qui avait la main sur ce budget, relève Denis Naegelen, président de Quarterback, agence d’hospitalité. Aujourd’hui, c’est la direction commerciale qui opère.»

Nombre d'invités internationaux

IBM est clairement là pour le business, et ce depuis trente ans. Installée au cœur du Village, la tente du groupe américain accueille durant la quinzaine un millier de clients dont les noms sont directement discutés lors de comités de direction. «Ce moment permet aux commerciaux de mieux comprendre les besoins de leurs clients, grâce notamment aux questions qu’ils posent quand nous leur faisons visiter notre dispositif», confie Claire Herrenschmidt, responsable des partenariats chez IBM France. Chez JC Decaux, les convives sont également choyés: sur les tables, en guise de décoration, les maquettes de mobiliers urbains reprennent les visuels des campagnes des clients invités. «Nos invités sont essentiellement des annonceurs et des patrons d’agences médias, détaille Isabelle Schlumberger, directrice générale commerce et développement France. Il y a un quart d’étrangers conviés par nos filiales.» Le rendez-vous est préparé dès le mois de janvier. A table, on parle business. «On prend le pouls économique et commercial de nos clients, poursuit Isabelle Schlumberger. Cela nous permet de mieux appréhender les deux derniers trimestres.»

A l’autre bout du Village, du côté d'Accor, nouveau partenaire de Roland-Garros, le décor est plus feutré, pour des invités internationaux, promoteurs immobiliers et hommes d’affaires russes, brésiliens ou chinois. «Ce type d’événement nous manquait, confie Grégoire Champetier, directeur général marketing du groupe français. Roland-Garros est une excuse pour faire venir à Paris, chez nous, à notre siège, ces gros clients. Le retour sur business est primordial.» Toutefois, le délai du retour sur investissement, concrétisé par la signature d’un complexe de plusieurs dizaines de millions d’euros, peut prendre quelques mois. Chez Perrier, on parle plutôt français, même si 30% des invités sont étrangers. «Ce sont essentiellement des clients, responsables d’enseignes de distribution et des grandes brasseries, que nous souhaitons fidéliser, rapporte Françoise Bresson, ‎directrice sponsoring et partenariats chez Nestlé Waters. Les Internationaux de tennis sont idéalement placés dans la saison pour nous, juste avant l’été.» Des opérations de promotion en magasin peuvent se conclure au moment du café, avant de rejoindre la loge et suivre un match.

A contrario, Engie (nouvelle appellation de GDF Suez), également présent au Village, ne signe pas de contrats ici. Le fournisseur d’énergie active son partenariat avant tout pour la visibilité de la marque autour des courts. L’espace hospitalité a toutefois un rôle corporate. «Nous y recevons nos partenaires et les associations que nous soutenons, comme Fête le mur de Yannick Noah», indique Philippe Peyrat, directeur du mécénat et du sponsoring sportif. Malgré tout, les dirigeants d’Engie profitent quand même du Village pour rencontrer les autres partenaires du tournoi et… faire des affaires.

Développeur de réseau

Mais le business porte d’Auteuil ne se résume pas au Village. Pas la peine d’être partenaire ou d'appartenir au CAC 40 pour recevoir dans les lieux. «Nous invitons tous les ans une dizaine de personnes, des clients, révèle Eric Paulin, directeur des marchés résidentiels d’Atlantic, entreprise de génie climatique. Notre but est d’inscrire nos relations dans la durée. Mais nous regardons tout de même si cet investissement relationnel débouche sur quelque chose de concret.» Leader dans la distribution de matériel électrique pour les professionnels, Rexel a fait depuis quinze ans de cet événement l’une de ses principales opérations de relations publics. Une vingtaine de patrons d’entreprise ou de gros clients y sont conviés. «Jamais de prospects, car cela peut perturber les négociations commerciales, explique Fernand Dias, responsable des grands comptes. Mais, nous ne sommes pas philanthrope. Nous invitons des clients dont on a la certitude qu’ils se développeront et qu’ils pourront le faire avec nous.»

A Roland-Garros, les affaires ne se limitent pas aux frontières du salon ou de la loge. Les sites d’hospitalités et le Village se révèlent comme de véritables plateformes de rencontres commerciales. «C’est un outil de networking incroyable, affirme Igor Juzon, PDG d’Eventeam, agence d’hospitalité. Le tournoi permet de développer son réseau.» La Fédération française de tennis a conscience de cet atout. Elle n’hésite pas à proposer de nouveaux champs d’action à ses clients. «Au-delà des affaires, Roland-Garros peut être un levier de communication dans d’autres domaines, estime ainsi Nathalie Sergent. Par exemple dans le management, pour séduire un cadre dirigeant, ou vers des étudiants.» IBM profite d’ailleurs de sa tente dans le Village pour proposer des petits déjeuners avec des étudiants ou des blogueurs.

L’extension de Roland-Garros et le futur stade, prévus en 2019 [si les travaux débutent avant l'été], augurent aussi de nouvelles perspectives pour les programmes d’hospitalité. La couverture du court central, le Philippe Chatrier, permettrait l’organisation de matchs en soirée. «Nous pourrions doubler nos invitations grâce à une session de jour, pour le déjeuner, et une autre de soirée, avec d’autres invités, se réjouit Sébastien Guyader, responsable de la marque et du sponsoring de BNP Paribas. Mais il faudrait que les rencontres soient attractives aussi.» L’enjeu du nouveau Roland-Garros sera de rester dans les niveaux élevés de qualité de réception. Une marque de fabrique pour le tournoi, si ses organisateurs veulent continuer à y réaliser de bonnes affaires.

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