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Les marques ont toujours joué sur l'aspiration au bien-être ou à un statut social pour vendre leurs produits. Le regard de Jean-Luc Gronner, fondateur de Souslelogo, sur quarante ans de publicités hédonistes.

L’été. Les vacances. Le moment est propice pour enquêter sur ces marques qui, dans leur slogan, nous promettent plaisir, joie, voire bonheur. Et ceci toute l’année. Quels sont ces porte-voix de l’hédonisme? Quelles sont ces marques qui, depuis Freud, savent que «l’ensemble de notre activité psychique a pour but de nous procurer du plaisir et de nous éviter le déplaisir». Et qui nous promettent avec des nuances diverses ce que cherche à obtenir tout être humain.

Les faits d’abord. Il n’y a pas plus de 2 500 slogans* (signatures, claims, accroches) qui ont utilisé ces termes ou leurs équivalents depuis une quarantaine d’années. Si on se limite aux slogans actuellement utilisés, on n'en dénombre que quelques centaines. D’où vient alors ce sentiment que ces termes sont très utilisés par les marques? D’abord parce qu’il existe, pratiquement dans chaque catégorie de produits ou de services, une marque qui a fait le choix de formuler sa promesse avec l’un de ces mots.

Marque ancrée à une expression

BMW, Badoit et Club Med constituent incontestablement le trio gagnant, en particulier parce que ces marques ont démontré une constance remarquable dans l’utilisation de ces termes. BMW avec «Le plaisir de conduire» a ancré sa marque sur cette expression depuis 1972. Et enfoncé le clou en 2010-2011 avec une série d’accroches commençant par la joie. Badoit, en partie à cause de la rime avec son nom, a souvent choisi le mot «joie» pour signer ses campagnes: «Repas sans Badoit, digestion sans joie» (1949), «Ya d’la joie dans la Badoit» (1989), «Bulles de joie depuis 1778» (2013). Le Club Med, qui se définit joliment en 1988 comme «La plus belle idée depuis l’invention du bonheur», s’est rarement départi de ce terme, depuis «Votre bonheur vous attend» (1965) jusqu’à «Redécouvrez le bonheur» (2014) en passant par le célèbre «Le bonheur si je veux» (1993).

Mais on peut en citer bien d’autres, qui transcendent un soda («Ouvre du bonheur», Coca-Cola, 2009), un fromage («Prenons la vie côté plaisir», Président, 2014), une saucisse («Offrez-vous 20cm de pur bonheur», Morteau, 2012), un bien immobilier («Le bonheur n’attend pas», Seloger.com, 2014)… Quelques-unes ont osé l’anglicisme («Vivons la happy technology», Boulanger, 2008). Certaines ont abandonné en route de bien jolies expressions («Le plaisir de faire», Black & Decker, 1982). D’autres enfin, comme souvent, jouent avec leur nom («Le bonheur est dans le Vrai», 2005).

Le client-consommateur joue le jeu

Nous retenons ces expressions également pour deux autres raisons. Inconsciemment, elles nous rappellent que l’acte de consommer, d’acheter, de posséder procure en soi du plaisir: «Il est urgent de se faire plaisir» (Showroomprive.fr, 2011). Et les marques qui les utilisent jouent pleinement leur rôle: donner du sens à l’acte d’achat en dépassant la simple valeur d’usage de ce qu’elles vendent. Nous aimons leurs campagnes, métaphores du plaisir, de la joie, du bonheur et ce, depuis que la publicité existe.

Loin d’accuser ces marques de sur-promesse (on attend toujours la pétition qui, sur Facebook, protesterait contre le fait que personne n’a trouvé du bonheur au Club Med ou en ouvrant un Coke), nous acceptons d’être dupes. Clients-consommateurs adultes, nous acceptons de jouer le jeu, de contribuer nous-mêmes à ce que ces marques tiennent la promesse qu’elles nous font. On a envie de se faire plaisir, d’être joyeux, voire heureux avec elles et en partie grâce à elles. Comme le dit le philosophe Alain dans ses Propos sur le bonheur: «Il faut être heureux et y mettre du sien".»

Pour tous ceux qui trouveront cette analyse trop favorable à ces marques hédonistes, concluons avec Saint-Augustin, qui vivait, avant notre société de consommation et les innombrables désirs qu’elle suscite: «Le bonheur, c’est de continuer à désirer ce qu’on possède.» Le saint homme préférerait sans doute les marques qui, aujourd’hui, célèbrent les valeurs de partage, de solidarité et de tempérance.

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