Evénement
Alors que Greenpeace envahit de jaune la place de l'Etoile, c'est l'occasion de comprendre pourquoi et de relire notre enquête de novembre. Plutôt que de mettre la pression sur les politiques, les associations visent directement l’opinion publique.

Même si c’est un endroit qu’elles chérissent, les ONG s’apprêtent à sortir du bois. Sur la scène de la 21e Conférence des parties (COP 21) pour lutter contre le réchauffement climatique, qui aura lieu au Bourget du 30 novembre au 11 décembre, les associations ne comptent pas faire de la figuration. Les Etats membres doivent déboucher sur un accord international, applicable à tous les pays pour limiter le réchauffement climatique mondial à +2 degrés Celsius. De la bouche même des organisateurs, l’objectif est «d'aboutir, pour la première fois, à un accord universel et contraignant permettant de lutter efficacement contre le dérèglement climatique.» La grand-messe des représentants politiques du monde doit poser la première pierre d’un «vrai» changement planétaire, une réelle inflexion de la courbe des températures… Mais les ONG n’en font pas leur priorité absolue.

«Sur l'engagement politique, tout le monde est prudent, indique Laurent Terrisse, président de l’agence Limite, spécialisée dans la communication responsable. «Les ONG ont tiré les leçons de la COP de Copenhague en 2009 et de Varsovie l’année dernière. Un vrai fiasco. Aucun accord n’avait été trouvé, et les associations avaient quitté la table des négociations», raconte Yonnel Poivre-Le Lohé, consultant en communication responsable. Si elles gardent un œil sur les politiques, les ONG savent que les objectifs ne seront pas atteints, alors, elles entendent bien donner de la voix ailleurs.

«A Copenhague, les associations se sont peut-être trop focalisées sur les négociations et pas assez sur le message à envoyer aux populations. Les accords doivent donner une direction, mais ils ne règleront pas tout. Les annonces des Etats depuis le début de l’année ne limitent le réchauffement qu’à +3 degrés… C’est la mobilisation citoyenne qui compte et qui induira un vrai changement», explique Armelle Le Comte, responsable de la communication pour Oxfam France. Et si l’on en croit la dernière campagne «2 degrés, c’est déjà trop» du WWF, signée Publicis Nurun, même la réussite totale des négociations serait un pansement sur une jambe de bois.

Un monde associatif plus organisé

La COP 21 traduirait-elle l’échec du politique? «Elle a quand même une utilité, c’est un des rares sujets pour lequel il y a des négociations internationales. Mais les problèmes ne seront pas réglés d’un coup de baguette magique», observe Simon Coquillaud, responsable communication au sein du Réseau Action Climat France. La COP permet surtout de mettre un coup de projecteur sur la question. Projecteur que les associations veulent braquer sur elles-mêmes et sur les sujets de fond, avec une dynamique inverse. «L’enjeu a changé. L’idée est d’inciter le grand public à mettre en place des solutions concrètes», note Elizabeth Pastore-Reiss, fondatrice d’Ethicity. «Notre discours consiste plus à dire que ce n’est pas seulement à la COP de contraindre les Etats par le haut, mais que c’est à chaque pays et à chaque citoyen de s’approprier la question et de prendre des initiatives», poursuit Simon Coquillaud. En témoigne le site internet ouvert par Réseau Action Climat, Macop21.fr, dont le nom traduit lui-même l’objectif: l’appropriation. Il sera actualisé au fil du rendez-vous international, en fonction de l’avancée des négociations, mais aussi des actions extérieures.

Car cette fois, les stratégies ont été peaufinées. «C’est frappant de voir à quel point les ONG se sont professionnalisées dans leur communication», analyse Yonnel Poivre-Le Lohé. Recrutement en interne, travail avec des agences…, le discours est plus clair, plus incisif et n’est pas réservé qu’à celles qui ont le plus de moyens. Preuve de cette organisation sans précédent? La création de la Coalition Climat 21. Cent trente associations, syndicats et même organisations religieuses, réunies, une grande première dans le monde associatif. «On a réussi à mettre tout le monde autour de la table et à dépasser les différences de positions», explique Méryl Sotty, la chargée de communication. «C’est une force inédite, argue Armelle le Comte. Au-delà de nos différences, on se retrouve sur des fondamentaux.»  Une fédération qui permet de parler d’une voix et d'évacuer tout «militantisme politique».

La coalition a réalisé une campagne avec BDDP & Fils, après une compétition où l’agence était opposée à BETC et 4 Août. Elle sera visible au cinéma, à la télévision, en radio, en affichage… Pour seulement 120 000 euros de budget. Ayant obtenu le label Grande Cause nationale, rendu possible par la force du nombre des associations, l’achat d’espace sera gratuit pour tous les médias publics et BDDP & Fils a joué le jeu en offrant la création. L’agence médias, OMD, si elle a été rétribuée, a négocié avec des chaînes privées des espaces offerts.

Du discours à l'initiative

Mais en dehors des actions globales, la mobilisation sera aussi locale. Si Paris jouera le premier rôle, la décentralisation est de rigueur. Le tour Alternatiba, qui a silloné la France en tandem quatre places cet été pour sensibiliser à «des alternatives concrètes», en est un des symboles. De même, le 29 novembre, une quarantaine de rassemblements dans plusieurs pays formeront la Marche mondiale pour le climat, réunissant toutes les associations, sans couleurs.

Car la COP 21 est aussi un marchepied pour d’autres associations non labellisées «écologiques». «C’est une nouvelle tendance, note Laurent Terrisse, de l'agence Limite. Des associations d’action sociale ajoutent une dimension écologique à leurs positions.» Action contre la faim ou la Fondation de France veulent aussi faire bouger le public et donner au climat un enjeu non seulement écologique, mais aussi humaniste. «Le but est de sensibiliser aux conséquences du réchauffement sur les populations, explique Vincent Allemand, responsable communication pour CCFD-Terre solidaire. D’ici à 2080, il y aura 600 millions de personnes de plus, touchées par la famine à cause de cela. Et parmi elles, les populations des pays du Sud, les moins responsables et les plus vulnérables.»

Pendant la COP 21, CCFD-Terre solidaire lancera une campagne réalisée par l’agence W et organisera plusieurs opérations, dont des foodtrucks avec des chefs culinaires. «On utilise la gastronomie pour éveiller les Français au fait que des produits des pays du Sud sont menacés.» Parmi les aliments, il y aussi des espèces en voie de disparition…

«Globalement, le discours des associations a changé, note Yonnel Poivre-Le Lohé. Elles sont désabusées face aux décisions politiques et s’engagent de manière plus libérée.» Pour ne pas dire plus radicale. «Elles étaient habituées à collaborer, à mettre de l’eau dans leur vin, mais ce n’est plus du tout le même état d’esprit», continue-t-il. En dehors des grandes campagnes officielles, des petites initiatives se multiplient. Notamment envers les entreprises, prises la main dans le sac… Greenpeace n’a pas prévu de campagne de communication officielle pour la COP 21. Mais elle multiplie les actions militantes contre E.Leclerc depuis quelques semaines et ne devrait pas rester silencieuse pendant les négociations.

Un mouvement spécifique de désobéissance civile a vu le jour avec ANV COP21, dont le but est d’appeler à des actions non-violentes ou humoristiques. Comme voler des chaises, pour inciter à «être debout, contre le réchauffement climatique» Mais non-violent ne veut pas dire autorisé… «Les entreprises multiplient les moyens en communication pour mettre en valeur leurs actions de développement durable, constate Armelle Le Comte. Elles s’exposent plus, donc, forcément, nous donnent plus de matière pour décrypter et rétablir les vérités.»

Point de départ ou aboutissement ?

Idem pour les gouvernements. Juliette Rousseau, la coordinatrice de la Coalition Climat 21, a signé le 26 octobre, une tribune dans Libération et une opération sur les réseaux sociaux, invectivant le gouvernement. «On voit déjà un déséquilibre entre un discours exemplaire autour de la COP et des agissements en totale contradiction», explique-t-elle. La COP 21 pourrait être le théâtre d’actions diverses contre les mauvais élèves en développement durable. «Les associations chercheront à faire du bruit et j’ai peur que les entreprises n’en aient pas pris la mesure, et ne se soient pas préparées en conséquence», estime le consultant Yonnel Poivre-Le Nohé. «On travaille sur des opérations plus marginales, car des sensibilités différentes seront amenées à s’exprimer pendant la COP», confie un responsable d’association.

Tous les discours ne seront pas «classiques». Le plus redouté reste des actions plus violentes. Une circulaire gouvernementale parlant de Black Bloc (groupes d’actions violentes et anonymes) va renforcer la mobilisation policière. «La violence est inutile. Si on veut que les gens se mobilisent, il faut des actions qui leur parlent», déplore un associatif. Pour la plupart des ONG, un discours positif est le seul moyen de préparer l’après-COP 21. Car elles veulent avant tout faire de cette réunion le point de départ d'un changement sociétal, et non pas l’aboutissement de la signature d’un accord politique. Mais sur ce dernier point, elles ne sont déjà pas d’accord…

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