Luxe
Les égéries font vendre mais cachent un dangereux conformisme des systèmes de communication dans le secteur du luxe. Du coup, les marques se mettent en quête de gueules différentes. Objectif: sortir du lot et séduire l’internaute.

Alors qu’Hermès, marque de luxe par excellence, a toujours refusé de mettre en avant des stars et des personnalités dans ses publicités, magnifiant ainsi des produits stars, les grandes enseignes du secteur ont depuis longtemps cédé aux sirènes de l’égérie. A commencer par celles qui misent sur des stratégies de volume du haut de leur piédestal. C’est le cas de Dior qui s’est offert Johnny Depp en 2015 pour promouvoir son parfum Sauvage, mais aussi Rihanna pour booster ses ventes de robes et accessoires dans un spot tourné au château de Versailles. Une star sulfureuse et sexy d’Hollywood et une musicienne noire ultra-populaire sur les réseaux sociaux aux 148 millions de fans sur Twitter, Instagram et Facebook et 6 milliards de vues sur YouTube en 2014. «Une égérie, c’est rentable, ça fait vendre, ça marche», rappelle Johanna Worth, DG de l’agence publicitaire spécialisée dans le luxe Mazarine Mlle Noï. 

Des stars très coûteuses, recrutées avant tout en fonction de leur popularité sur les réseaux sociaux. «C'est devenu LE critère principal, commente Eric Briones, directeur du planning stratégique chez Publicis et Nous. Toutes se disent que plus l'égérie engrange des followers, plus sa puissance sera grande.» Pas étonnant, dans ce contexte, que L’Oréal Paris vienne de choisir pour la première fois une blogueuse pour égérie, à savoir Kristina Bazan. 

Ces nouveaux profils créent une vraie diversité au royaume des égéries, quitte à brouiller l'image de la marque et son ADN. «Avec ces pools de personnalités différentes, le luxe peut vendre à des publics divers et s'afficher comme moins monolithique, plus en phase avec son temps.» Problème, beaucoup de marques ont des stratégies similaires jusqu'à choisir parfois la même égérie. Exemple, Cara Delevingne et ses 19,3 millions de followers sur Instagram se retrouve tout à la fois représentante de My Burberry, d'Yves Saint Laurent Beauty, d'Alexander Wang, de DKNY, de Stella McCartney lingerie ou encore Mango. Ce manque d'imagination et d'ouverture d'esprit dans la façon dont se font représenter les marques de luxe énerve. Même les communicants s’en irritent : «En enrôlant les vedettes du moment sans se poser plus de question, les marques pensent dépoussiérer leur image et séduire les jeunes. Ce conformisme est aussi pathétique qu'effrayant», juge Marie Chauveau, patronne de l'agence Mafia.

Sous peine de disparaître, une marque de luxe se doit en effet de conserver ce caractère exclusif et désirable qui la rend unique. Alors tous les coups marketing sont permis pour sortir du lot et afficher sa distinction. Courrèges vient ainsi de faire appel, pour son défilé, à Ayesha Tan Jones, mannequin à la frange verte, aux cheveux gras et aux poils sous les bras, de l'agence Anti-Agency. Des marques aussi prestigieuses que Saint Laurent, Marc Jacobs ou encore Maison Margiela travaillent ponctuellement avec cette agence anglaise. L’heure est aux personnalités, aux aspérités, aux imperfections, aux «gueules». La marque espagnole Desigual a ainsi fait appel pour la représenter à la Canadienne Winnie Harlow, que d'aucuns esprits moqueurs nomment le zèbre ou la vache, eu égard à la maladie de peau (vitiligo) dont elle est atteinte... Dans cet impitoyable monde de la mode, même le handicap ne semble plus tabou. Lors de la dernière Fashion Week de New York, le mannequin trisomique Madeline Stuart a ainsi fait lever les foules du Vanderbilt Hall lors du défilé FTL Moda, un collectif de jeunes créateurs italiens. Même succès pour l'actrice américaine trisomique Jamie Brewer en février 2015 toujours pour la Fashion Week de New York ou pour des mannequins de l'agence britannique Models of Diversity défilant, quelques mois plus tôt, en fauteuil roulant ou avec des prothèses.

Et si la diversité était l'avenir de l'égérie de luxe ? «Ce qui est incontestable, c'est l'apparition d'un mouvement anti-glam, analyse Anne Vautier, directrice de création de DDB Luxe. A l'image de Vivienne Westwood, Marc Jacobs ou Céline, certaines marques poussent des égéries sans fard et sans make up, qui s'assument telles qu'elles sont et représentent la vraie vie.» Ce mouvement se manifeste aussi dans la représentation de l'âge. Des Willem Dafoe, Harvey Keitel ou encore Gary Oldman chez Prada, des Sophia Loren chez Dolce & Gabbana, des Joan Didion chez Céline, des Tilda Swinton chez Chanel, des Charlotte Rampling chez Nars... «Ces personalités facilitent l'identification des clients plus âgés, décrypte André Mazal, directeur du planning stratégique de BETC Luxe. Et comme ce sont ceux qui ont le plus grand pouvoir d'achat...» Cet expert des marques haut de gamme voit aussi dans cette communication une métaphore : «Tout comme les maisons de luxe ont un passé, ces visages marqués par l'expérience racontent un vécu, une histoire forte, souligne-t-il. Rien n'est plus beau pour une grande marque que d'afficher sa maturité.» A condition de ne surtout pas paraître ringarde.

C'est pourquoi à côté de cette patine nécessaire, les groupes de luxe ne se privent pas non plus d'engager des mineurs pour les représenter. Lors de la dernière Fashion Week parisienne d'octobre, Sofia Mechetener, 14 ans à peine, a défilé pour Dior ; quelques mois auparavant, on apprenait que Lily Rose, 16 ans, progéniture de Vanessa Paradis et Johnny Depp, devenait égérie de Chanel, que Katia Gerber, 14 ans, fille de Cindy Crawford posait pour Versace ou encore que Romeo, 13 ans, fils de David et Victoria Beckam était embauché par Burberry… Comme si, parallèlement aux rides affichées sans complexe, on assistait au retour, au travers de ces «fils de» prépubères, d'une double glorification: celle de la starisation de la jeunesse d'un côté et, de l'autre, d'un idéal féminin androgyne, sans forme, cher à la mode et constitutif d'une forme de luxe absolu puisqu’inatteignable par la majorité des femmes.

Mais attention à l’arbre qui cache la forêt. Pour la majorité des observateurs de la mode et du luxe, la diversité ne serait qu'un trompe-l’œil masquant l'uniformisation. En 2014, le site américain Jezebel a ainsi calculé que près de 80% des mannequins de la Fashion Week de la Grosse Pomme étaient blanches. Grandes, longilignes, maigres, des cheveux lissés plutôt blonds, la peau très claire… La norme chez les tops reste invariablement la même qu'il y a 30 ans. Ce qui ne manque pas de faire enrager d'anciens mannequins comme Naomi Campbell ou Ashley Mears, une ancienne mannequin devenue sociologue qui a développé dans ses travaux le concept de «racisme doux».

Faut-il in fine se passer des icônes ? «Il faut arrêter de faire appel à des égéries. La vraie star de la marque, c’est le produit», martèle Marie Chauveau. Une marque comme Tod's par exemple et ses Italian Portraits a montré que des gens de la vraie vie pouvaient remplacer avantageusement des stars et augmenter les ventes. De même, des parfums à succès tel 1 Million de Paco Rabanne, L'Eau d'Issey d'Issey Miyake, Le Male de Jean-Paul Gaultier ou encore For Her de Narciso Rodriguez se passent d'égéries. Tout comme Hermès, pourtant pas la moins désirable et glamour des marques de luxe…

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