Communication d'entreprise
Entreprises et Médias, l'association des directeurs de la communication des grandes entreprises, fête ses 30 ans. L'occasion d'interroger son président Jacques-Emmanuel Saulnier, dircom de Total, sur les enjeux de la fonction.

Quel est le rôle du directeur de la communication dans un environnement où l’entreprise n’a plus, comme par le passé, le contrôle sur ce qui se dit sur elle?

Jacques-Emmanuel Saulnier. Il a un rôle nodal, celui de connecteur en chef. Aujourd’hui, cela ne fait plus débat, le directeur de la communication est reconnu comme un des leviers du pilotage stratégique de l’entreprise dans un environnement en profonde mutation, soumis à la simultanéité et à l’universalité de l’information. Le phénomène de mondialisation rend la communication d’autant plus stratégique que les réseaux sociaux assurent une diffusion instantanée et globale de l’information impliquant que l’entreprise s’adresse simultanément à tous ses publics. Les interactions, au-delà de la seule activité économique, agrégent désormais une galaxie de parties prenantes hétérogènes. Au directeur de la communication et à son équipe de superviser la cohérence de ce qu'émet l'entreprise vis à vis de chacune d'entre elles et d’assurer la veille de ce qu'elles-mêmes se disent... à défaut de maîtriser les conversations.

 

Sur le terrain, il y a toujours des enjeux de territoire entre le directeur de la communication, le directeur marketing, financier, digital…

J.-E.S. Certes! Il y a aussi des organisations différentes: des directeurs de la communication qui intègrent –ou pas– la marque, la communication interne ou la RSE… Mais au-delà des fonctions, la réalité c’est qu’il n’y a plus de segmentation entre communication externe, interne, actionnaires, client, puisque désormais les uns et les autres interagissent et chacun devient son propre média. Il faut donc s'assurer que ce que dit l’entreprise à tous et à chacun soit cohérent. Et mieux encore, proposer les bons contenus et arguments à ceux qui ont envie de s’exprimer, de nourrir les conversations, même s’ils ne sont pas mandatés officiellement pour le faire, sur des thèmes qui concernent l’entreprise. C'est le rôle de la fonction communication qui doit orchestrer les prises de parole au service de la réputation et de la performance de l'entreprise.

 

Et la transparence? Quelle est votre «religion» sur ce point?

J.-E.S. Toutes les questions posées à l’entreprise sont légitimes. Il faut être transparent dans la pédagogie des choses même quand on ne peut rien dire. Mais dans ce cas il faut expliquer pourquoi.

 

N’est-ce pas une façon de se débarrasser facilement des questions qui fâchent ?

J.-E.S. Non, dès lors que c’est sincère.

 

En 2012, lors de la fuite de gaz en mer du Nord, Total a pris l’initiative de prévenir Greenpeace. Quand on se souvient de la gestion calamiteuse du naufrage du pétrolier l’Erika en 1999, on mesure le chemin parcouru par vos métiers!

J.-E. S. Aujourd’hui, tout le monde est informé en temps réel. C'est pourquoi, dès que vous êtes en mesure de délivrer une information utile, fiable et sincère, il faut le faire. Depuis le milieu des années 2000, avec la montée en puissance des enjeux de la RSE et des outils digitaux qui ont fluidifié le dialogue, les entreprises ont pris conscience de la nécessité de mieux connaitre leur écosystème. Elles ont cartographié leurs parties prenantes et compris qu’il fallait entretenir la relation et le dialogue de manière continue et pas seulement quand il y a un problème ou un besoin.

 

Il n’y a donc plus de parties prenantes plus difficiles à gérer que d’autres?

J.-E.S. Soyons clairs: pour les dircom que je représente, il n'y a pas de questions qui fâchent ou de parties prenantes difficiles. D’ailleurs, cette approche qui qualifierait les publics est dangereuse dès lors qu’on veut assurer une cohérence du message car elle risque de vous enfermer dans des subtilités psychologiques contradictoires. Il faut traiter pareillement tous les publics, avec leurs caractéristiques propres, et surtout maintenir le dialogue.

 

Quels sont les défis de vos métiers?

J-E.S. Le dircom doit être «sur la balle» et en même temps être capable de «dézoomer» pour ne pas perdre de vue le cap fixé par l’entreprise et la manière de l’incarner par le PDG. Au final, agir sans suréagir. La pratique de la bien-veillance est un autre de nos enjeux.


Pourquoi la «bien-veillance» en deux mots ? 

J.-E.S.  Avec mes camarades d’Entreprises et Médias, on ne veut pas que notre intention soit caricaturée. En dissociant le mot, on parle évidemment de la bienveillance, qui est une attente forte notamment des salariés et à laquelle il faut répondre, mais aussi de l’idée de «veiller bien» à ce qu'on attend d'une entreprise, au-delà de son contrat de base en matière économique et sociale.  


À cet égard, avec Air Liquide et Sodexo, Total a proposé son aide dans l’accueil des «migrants». Un coup de com ?

J.-E.S. Non, des actions! Nos patrons ont considéré qu’il était du devoir de nos entreprises, en tant qu’acteurs de la cité, de mettre à disposition de l’État des moyens pouvant l’aider (centres d’hébergement, nourriture, kit santé…). Pour Total, qui est née au Moyen-Orient et travaille avec ses populations, l’implication est très évidente.

 

Un mot sur le scandale qui frappe Volkswagen. Ne met-il pas en exergue les limites de la communication qui semble n’avoir pas joué son rôle d’alerte sur les conséquences réputationnelles d’une telle crise industrielle ?

J.-E.S. Tant que les procédures sont en cours, il est impossible de savoir la part de responsabilité de la communication et si la direction de la com était informée et avait alerté. Dans cette crise, c’est la fiabilité même de la promesse de l’entreprise qui est en jeu. Et de ce point de vue, la communication n’est sans doute qu’un des éléments de la défaillance. Cette crise pose le sujet de la sincérité qui doit faire partie de l’ADN de toute organisation et, au-delà, garantir son développement durable, au sens propre, la communication n’en étant qu’un des éléments y contribuant. Une crise de confiance sur une promesse qualité, sur laquelle l’entreprise a fondé son modèle économique, peut la mettre en danger de mort.

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