Grand Prix Stratégies/Amaury Media du luxe
La marque et son agence Publicis 133 remportent le Grand Prix Stratégies Amaury Médias du luxe 2015 pour «Shape your time», un film onirique sur l’horlogerie masculine.

Depuis longtemps déjà, Bruno Aveillan ne nous laisse plus le choix. Quand cet artiste plasticien se mue en réalisateur publicitaire, on sait que sa fascination pour ces territoires du merveilleux jamais vraiment conquis aura un effet contagieux et que le récit sera onirique, souvent épique. «L’Odyssée», premier film corporate mondial de Cartier sorti en 2012, est, à cet égard, un cas de storytelling émotionnel exemplaire.

Enseigné dans les écoles de marketing après avoir été décortiqué par les concurrents, et donc copié, «L’Odyssée» a été propulsé à des sommets par son audace créative, sa narration dans un format de 3 minutes 50 secondes, inédit dans le secteur du luxe, et sa diffusion internationale grand public passant par la télévision (notamment TF1 en France) et Internet. Vu par quelque 160 millions de personnes trois mois après son lancement, le film de Bruno Aveillan a collectionné les récompenses, avec 42 Awards dans le monde, dont le Grand Prix Stratégies Amaury Médias du luxe 2012. «Ce fut un raz de marée», se souvient Corinne Delattre, directrice communication internationale de Cartier.

L'image, enjeu majeur pour une marque d'horlogerie

C’est dire si le second opus était attendu. «“Shape your time”, c'est la suite de “L’Odyssée”, poursuit-elle. On est encore dans un film corporate, mais qui donne cette fois le point de vue de Cartier sur l’horlogerie en mettant en scène l’imaginaire d’un horloger dans son dépassement, sa passion minutieuse et son œuvre de transmission.» Bruno Aveillan et Publicis 133 sont toujours aux commandes et la panthère, icône de la marque, reste le vecteur du récit. A son tour, «Shape your time» a conquis les festivals créatifs et ravi jury du Grand Prix Stratégies Amaury Médias du luxe 2015, qui le récompense de la plus haute distinction.

«Après “L’Odyssée”, qui raconte les grandes étapes de l’histoire de Cartier, il s’agissait avec “Shape your time” [sorti en octobre 2014 en versions 1min30s et 4min] de donner une interprétation neuve à l’horlogerie masculine», indique Bruno Aveillan, qui veut témoigner de sa collaboration fructueuse avec Sébastien Vacherot, directeur de la création de Publicis 133, décédé l’an passé, et lui dédier ce trophée. «Ce film onirique célèbre la part d’immatériel que représente l’achat d’un objet de luxe», ajoute Charles George-Picot, président de Publicis 133.

Comme le rappelle Corinne Delattre, «contrairement à la joaillerie, l’univers concurrentiel de l’horlogerie est constitué à 100% par des marques». L’image et plus encore l’imaginaire que celles-ci véhiculent sont un enjeu majeur. D’autant plus dans un contexte actuel de marché tendu, en raison notamment de l'affaiblissement de la demande en provenance de pays, telle la Chine, suite à la législation anticorruption de 2013 ayant entraîné une chute des exportations – même si le marché américain, lui, est reparti à la hausse – et de la menace des fameuses smart watches (montres connectées).

Une stratégie de moyens différente

Selon une étude Deloitte publiée en 2015, «l'industrie horlogère suisse se trouve actuellement à un tournant [même si] les perspectives restent encourageantes, grâce notamment au segment du luxe». Dans ce marché de l’horlogerie de luxe, Cartier, marque phare du groupe suisse Richemont, est en troisième position, avec 13% de part de marché et 620 000 montres vendues en 2014, selon l’étude annuelle de la banque suisse Vontonbel, devancée par Omega (17%, 720 000 montres écoulées) et Rolex, qui caracole en tête avec 20% du marché et 780 000 unités vendues en 2014.

Avec «Shape your time», Cartier cible une nouvelle génération de clientèle masculine. A la fin du film, c’est un père trentenaire qui transmet à son petit garçon sa passion pour ces gardiennes du temps. La stratégie de moyens est dès lors différente de celle retenue pour «L’Odyssée», qui visait les femmes: en France, par exemple, le film n’a pas été lancé sur TF1, mais via un relais d’influenceurs et les réseaux sociaux. «La consommation médias a changé depuis 2012, et l’usage de la tablette et du mobile s’est renforcé» souligne Corinne Delattre. Résultat: «Shape your time», avec près de 25 millions de vues sur You Tube, fait mieux que «L’Odyssée» (18 millions de vues). Les deux opus ont toutefois touché chacun quelque 200 millions de personnes.

Des origines pionnières à un futur technologique

«Ce film symbolise la capacité de Cartier à fusionner son histoire et à la projeter dans l’actualité entre mythologie, légendes, style et modernité», poursuit la directrice communication internationale de Cartier. Les montres Cartier que l’on reconnait ne sont jamais mises en avant en tant que produits, mais célébrées pour servir la marque et son récit.

Tout commence dans le vieil atelier de l’horloger près de la place Vendôme, à Paris. Il est bientôt minuit et, comme dans «L’Odyssée», au son de la musique féérique de Pierre Adenot, la panthère Cartier va prendre vie. «Mais sous la forme d’une panthère mécanique qui se forme peu à peu sous les yeux du spectateur à partir de pièces d’horlogerie authentiques», raconte Bruno Aveillan. Le voyage rythmé par les rouages de mécanismes en mouvement peut commencer, remontant le temps aux origines pionnières, avec les montres Tank et Santos Dumont, et se poursuivant en une sorte d'odyssée de l'espace vers un futur hautement technologique aux manettes de la montre Ballon bleu, transformée en navire spatial. «Il y a beaucoup d’effets spéciaux, mais les décors sont réels, précise le réalisateur, qui assure le cadrage et la direction de la photographie. Nous avons reconstitué l’atelier traditionnel à Prague et à Paris, l’intérieur du vaisseau de Santos est une ancienne centrale électrique des années 1920 à Budapest, le dôme est celui de la Halle du centenaire en Pologne. Et nous avons utilisé une véritable panthère, qui devient au bord de l’eau le reflet de panthère robot pour renforcer la force émotionnelle dans cet environnement surréaliste.»

Le film a coûté un peu moins de 4 millions d’euros et mobilisé plus d’une centaine de personnes entre la réalisation et la post-production, assurée par Fix Studio chez Quad. «La publicité a très peu développé d’imaginaire autour de la montre, c’est en général très bien exécuté, mais académique, observe Bruno Aveillan. Or, pour émerveiller et émouvoir, il faut s’interdire de tout montrer, laisser du mystère et à chacun sa part de rêve.»

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.