Digital
La dernière édition du Baromètre des métiers de la communication de Limelight Consulting souligne combien la transformation digitale de l'économie bouscule les frontières du marché de la communication, avec des annonceurs souvent perdus face à une offre éclatée et floue.

«Aucune marque ne peut se vanter d’avoir réussi. Toutes font des essais.» Tirée du dernier Baromètre des métiers de la communication réalisé par Limelight Consulting auprès de plus de 1 400 annonceurs, de la direction générale aux chefs de projet (lire la méthodologie), cette citation résume bien l'enjeu auquel les entreprises vont devoir faire face cette année – et celles qui suivront – en matière de transformation.

De la mondialisation «heureuse», fauchée en plein vol par la crise de 2008, à la digitalisation menée à marche forcée ces dernières années avec la montée en puissance de Facebook et consorts, du brand content, de la data et de l'achat programmatique, «les attentes des annonceurs sont extrêmement fortes en termes d’accompagnement», lance Amaury Laurentin, directeur général associé de Limelight Consulting qui ajoute que «peu d’entreprises ont appréhendé ce que signifie être une entreprise digitalisée en termes de management, de leadership ou de contrat social. Pour la plupart, le digital est un plan stratégique, mais n’est pas le plan stratégique.» Autres verbatims d'annonceurs éloquents: «Nous avons besoin d’être accompagnés, d’autant plus que le top management n’est pas expert», et «sur la transformation numérique, on est à l’ère glaciaire. Je suis arrivé dans une entreprise où le digital coûtait plus qu’il ne rapportait.»

Cet enjeu, côté entreprise, sous-tend un autre pari tout aussi ambitieux pour les agences, celui de justement devenir les accompagnatrices de cette transformation. «Or, chacune déclarant savoir tout faire, il semble temps de développer des approches plus structurées du marketing de l’offre pour sortir d’un brouhaha qui rend difficile à cerner la vraie valeur ajoutée des uns et des autres», conseille Amaury Laurentin. La tâche n'est pas simple: il faut en effet concilier un consommateur agile et volage, et un monde de l'entreprise conservateur et organisé en silos.

«Cornerisation»

Limelight Consulting a identifié trois types d'entreprises en fonction de leur avancement en matière de transformation: «Celles qui ont vécu le big bang, souvent sous la contrainte de la concurrence ou d'un marché en mutation, comme le secteur technologique. Chez elles, le changement est en cours. Celles qui connaissent une prise de conscience récente et investissent sensiblement plus dans le digital, à l'exemple de L'Oréal. Enfin, celles qui ne “connaissent pas la crise”, du moins ne sont pas soumises à des contraintes telles qu'elles les inciteraient à changer. Elles restent concentrées sur des objectifs à court terme, comme la distribution.»

Mais toutes sont conscientes que cette transformation digitale les obligent – ou vont les obliger pour les moins avancées – à s'inscrire dans une révolution en marche, celle de la data. Un mouvement qui nécessite la recherche de profils conciliant expertise technologique et marketing afin d'avoir une connaissance bien plus fine des données. «La vraie question, c’est: à quoi ça sert d’accéder à l’info? Qu’est-ce que ça apporte au consommateur? Comme personne ne sait répondre, on ne parle que de protection de données», constate, dépité, un annonceur.

Aujourd'hui, seules 38% des entreprises emploient un chief digital officer (CDO). On les retrouve surtout dans les secteurs de la grande consommation, de la banque-assurance et de l'industrie-BTP. Ces professionnels reportent dans près de 40% des cas à la direction marketing, soulignant la «cornerisation» des directions de la communication, qui ne chapeautent cette fonction stratégique que dans un quart des cas. «Cette transformation en profondeur impose un exercice d'équilibrisme parfois périlleux entre digitalisation et recomposition sociale en interne, comme en témoigne l'exemple d'Air France», analyse Amaury Laurentin. 

La stratégie avant la technologie

Confrontées à une telle mutation, les entreprises sont en quête de partenaires. Mais les agences de communication sont-elles les mieux placées pour cela? Loin de là, si l'on en croit le baromètre Limelight Consulting. Les citations des annonceurs sont révélatrices: «[Les agences] sont elles-mêmes confrontées à ces problématiques et restent très classiques dans leur mode de fonctionnement», « On n’a pas besoin de généralistes de la transformation mais d’acteurs ayant des méthodes pour aborder la transformation.» Or, même si, parfois, elles ont acquis un statut plus stratégique (notamment les agences publicitaires et corporate) ou une connaissance consommateur précieuse pour l'entreprise, les agences n'ont pas encore un rôle décisif en matière de transformation des organisations. Cela reste l'apanage des cabinets-conseils, selon les responsables d'entreprise: «Elles peuvent accompagner, mais pas initier»; «Ce serait souhaitable que les agences nous accompagnent, mais ça n’est pas crédible. Les seuls crédibles sont les consultants, qui n’ont pas l’enjeu du faire, car ils sont indépendants.»

Des offres complexes, floues, jargonneuses et pensées en dehors de la réalité des besoins... Les annonceurs ne sont pas tendres avec les agences. «En fait, les entreprises demandent à être rassurées quant aux modes opératoires qui leur sont proposés, à leur efficacité et à la méthode mise en place, et si possible avec une approche contextualisée à leurs besoins, voire sur mesure», décrypte Amaury Laurentin, qui insiste sur l'importance du conseil et de la capacité à se projeter. D'autant que pour les entreprises, le «think», à savoir la création, l'innovation et le planning stratégique, est le critère qu'elles déclarent privilégier en termes de rémunération, devant le «do», autrement dit l'opérationnel et les expertises, considéré comme un dû. Ce qu'un annonceur résume ainsi: «Les agences doivent faire émerger des besoins qu’on ne sait pas identifier, et pas uniquement répondre à ceux qu'on exprime.» Et, en l'occurrence, l'innovation recherchée est plus stratégique que technologique, avec toujours cette obsession: le client au centre et la valeur d'usage. 

Compiler, utiliser

En ce sens, les allocations budgétaires sont on ne peut plus claires: la relation client, le marketing mobile, la publicité digitale, l'e-commerce, le social media, l'achat à la performance et l'intelligence data & analytics sont de loin les domaines dans lesquels les annonceurs comptent investir le plus à l'avenir. Une multitude d'expertises donc, que les agences ne doivent pas seulement compiler, mais surtout utiliser de façon cohérente et intégrée en vue de proposer une vision stratégique globale. «A cela, les annonceurs ajoutent une forte demande de travail en cocréation dans un système plus collectif, plus collaboratif , détaille Amaury Laurentin, qui souligne cette citation d'un annonceur: «L’une des forces de l’agence de demain, c’est cette capacité à travailler avec des tiers, soit des sous-traitants soit des alter ego. Etre capables de s’ouvrir à des collaborations.»

En la matière, il est intéressant de noter les différences relevées par l'étude Limelight Consulting entre les agences les plus attractives et les plus innovantes. Pour les premières, on retrouve sans surprise des marques fortes, pour ne pas dire incontournables du marché, comme Publicis, Havas, BETC, Carat ou TBWA Paris, mais aussi des enseignes plus récentes, telles Marcel et Fred & Farid. Pour les secondes, si, à nouveau, Publicis, Marcel et Fred & Farid s'imposent aux yeux des annonceurs, suivies de près par BETC, Havas ou Buzzman, la présence de sociétés comme Google, Apple et Criteo, voire Coca-Cola confirme l'abolition des frontières du secteur de la communication et l'enjeu de sa transformation. 

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