High tech
Les montres connectées ouvrent un nouveau marché où fabricants high-tech, horlogers et marques de luxe se livrent déjà bataille (souvent en s'associant), chacun empruntant les codes de communication des autres.

Elle ressemble à s’y méprendre à une montre classique, avec son cadran rond et ses finitions en métal. Pourtant, son boîtier n’est pas frappé du label Swiss Made, troquant les aiguilles et rouages contre des puces électroniques. En novembre dernier, l'horloger suisse Tag Heuer (groupe LVMH) dévoilait sa première montre connectée, la Carrera Connected, associé pour l'occasion à Google et Intel. «Nous avons investi 30 millions d’euros, et Intel va ouvrir en 2016 une chaîne de montage en Suisse», précise à Stratégies Jean-Claude Biver, CEO de Tag Heuer. Un cobranding assumé: «Lorsqu’on l’allume, le logo Google s’affiche. Et celui de Tag Heuer est gravé sur le fond de la montre.»

Tag Heuer n'est pas le seul horloger à avoir lancé sa montre connectée fin 2015. Tous ont pris soin de rester dans les codes de communication du secteur. «La technologie est le premier code de la modernité, de la culture d’aujourd’hui. Les marques de luxe ne peuvent donc pas s'en soustraire. Mark Zuckerberg roule en Prius mais en jean-baskets, on ne peut lui vendre des objets de luxe de la même manière qu'avant», souligne Natacha Dzikowski, directrice associée de TBWA Paris. Toutes les montres présentées ces derniers mois permettent de lire ses SMS, ses e-mails, ses appels, de recevoir des notifications, des données santé et disposent d’outils de commande vocale tels que Siri.

Mais c’est Apple qui a su rendre désirable ce marché naissant, en lançant son Apple Watch en avril 2015, suivie de l’Apple Watch Hermès en octobre 2015. Une opération de cobranding qui lui permet de mettre un pied dans le monde du luxe: avec un bracelet conçue par le sellier, la montre est fournie dans un packaging signé Hermès.

Dans la foulée du géant de Cuppertino, les maisons horlogères n'ont pu faire l'impasse sur ce marché potentiel de la montre connectée. Telles les marques haut de gamme Frédérique Constant, avec la Horological Smartwatch, et Mondaine et sa Helvetica N°1 Smart. Un cran dessous, la marque de mode Guess (groupe IBB), en partenariat avec Martian, fabricant de montres connectées, s’est aussi lancée dans la course. Swatch s'y est mis à son tour: la montre Bellamy, lancée en Chine fin 2015, puis en Suisse et aux Etats-Unis en janvier 2016, permet de payer sans contact chez les commerces équipés de récepteurs NFC. 

Côté marketing, la gageure reste toutefois de concilier l'obsolescence intrinsèque à tout objet high tech et l'intemporalité de pièces horlogère haut de gamme. Tag Heuer a gardé les codes classiques du secteur dans sa communication: «Il n’y aura pas de campagne distincte pour la Carrera Connected. Cara Delevingne pourra en être l’égérie, comme pour les autres montres», précise Jean-Claude Biver. «Apple a repris les codes des horlogers, de même que Tag Heuer: cela reste une vraie montre, mais connectée. Il faut réussir à faire le pont entre ces deux univers», souligne Johanna Worth, directrice générale de Mazarine Mlle Noi, spécialisée dans le luxe et les marques premium. Pour Guess, pas de campagne print mais «nous avons des shootings de mode et de cadeaux de fêtes publiés en décembre dernier dans la presse, comme Gala, L’Optimum ou Grazia», précise Florence Galloux, directrice marketing de Guess France. 

Suivant l'exemple d'Apple, non seulement les géants high-tech viennent marcher sur les plates-bandes du secteur de l'horlogerie haut de gamme, mais en plus, et logiquement, ils s’emparent aussi des codes du luxe pour vendre leurs montres connectées. Pour lancer en septembre dernier sa Huawei Watch avec boîtier en acier inoxydable et écran en saphir de cristal, le constructeur chinois a joué à fond la carte du luxe. Pour communiquer, «nous avons monté un partenariat mondial éditorial et publicitaire avec le groupe Condé Nast», précise Vincent Vantilcke, directeur marketing de Huawei France. Ainsi, en France, le magazine GQ a organisé en octobre dernier une soirée de lancement à la Cité de la mode. La campagne print, shootée par le photographe Mario Testino, était très «mode», avec pour égéries le top model américain Karlie Kloss et le mannequin Sean O’Pry.

Même stratégie de la part du sud-coréen LG, qui a lancé sa LG Watch hyperluxe, revêtue d’or 23 carats, en série limitée à 500 exemplaires, bracelet en peau d'alligator. «Nous avons un moment hésité à nouer des partenariats avec des horlogers», confie Stéphane Curtelin, directeur marketing de LG France. Quant au Français Withings, il a lancé dès 2014 Activité, une montre connectée résolument positionnée comme un bijou et conçue avec un horloger suisse. 

Réseaux de distribution

Autre passage obligé pour légitimer ce positionnement haut de gamme, le réseau de distribution des horlogers. Exit donc les Darty, Fnac et autres Boulanger, trop connotés high-tech. Et c’est déjà la bataille: Huawei, qui a noué un partenariat avec la chaîne Louis Pion, est référencé dans 350 distributeurs en France, dont Le Printemps et Les Galeries Lafayette, La Mondaine dans 200, Tag Heuer 189, Guess 150… Apple pour sa part a mis en vente ses «bijoux» dans ses Apple stores mais aussi aux Galeries Lafayette et chez Colette. 

De toute évidence, ces nouvelles montres intéressent les distributeurs d’horlogerie classique. Le distributeur Louis Pion (Groupe Galeries Lafayette) a scellé un partenariat avec Innov 8, spécialiste des objets connectés: «Ils nous font remonter les marques high-tech à référencer», explique Estelle Vidal, directrice marketing de Louis Pion qui lancera aussi sa propre montre connectée début 2016. «L’industrie horlogère a été traumatisée par l’arrivée de la montre à quartz dans les années 1980. Cette fois, avec les montres connectées, ils ne souhaitent pas louper le coche. Ils ont intérêt à proposer des montres LG ou Huawei dans leurs boutiques», souligne Leslie Griffe de Malval, analyste chez Fourpoints IM. Prochaine étape: deux rendez-vous cruciaux, le Consumers Electronic Show de Las Vegas, début janvier, puis... Baselword, la grand-messe de l'industrie horlogère en mars.

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