Distribution
Depuis six ans, les MDD glissent sur la douce pente de la décroissance et des secteurs clés commencent à être touchés. Un souci de plus pour les enseignes en pleines négociations commerciales, embourbées dans une guerre des prix sans fin. Emmanuel Gavard @ManuGavard

Janvier se termine: la période est cruciale pour la distribution. En pleines négociations commerciales et prises de bec annuelles entre enseignes et fabricants, les premiers déréférencements de marques commencent à tomber. Le but: impressionner le fournisseur pour imposer son prix, toujours plus bas, ça va de soi. Mais un paramètre complique désormais la situation: les marques de distributeur (MDD) sont à la peine.

Selon les chiffres de l'institut Nielsen parus le 19 janvier, si le total des produits de grande consommation a progressé de 1,1% en valeur en 2015 (+0,3% en volume) avec un effet prix de +0,8%, les MDD, elles, ont reculé de 1,8%. Leur part de marché (valeur) tombe à 28%, contre 30% en 2010. Et ce, alors que l’indice du nombre de références continue d’augmenter. Ainsi, les MDD sont de plus en plus nombreuses en magasin, mais pèsent de moins en moins dans le portefeuille des enseignes. Sacré coup dur!

«Tout cela confirme une tendance amorcée depuis 2009», estime Yves Marin, associé du cabinet Kurt Salmon. Mais le problème devient critique: des rayons «bastions» où les MDD ont toujours été très fortes sont touchés, comme le frais traditionnel (-1,7 point) ou la charcuterie (-1,5 point). Cette baisse continue depuis six ans sur des produits à forte rentabilité (mais à masse de marge inférieure à celle des marques nationales) pourrait à terme avoir des impacts négatifs sur la rentabilité des enseignes et leur capacité à investir. Plutôt préjudiciable à l’heure de la transformation digitale où il faut mettre la main au portefeuille…

À l'origine de ce décrochage: la guerre des prix, évidemment, amorcée depuis 2008. À l’époque, l'adoption de la loi Chatel, qui remplace la loi Galland, revient sur le calcul du seuil de vente à perte, permettant d’y intégrer les ristournes des fabricants et interdisant les marges arrières. Au final, ce mécanisme complexe a permis aux distributeurs de faire valser les étiquettes des marques nationales, quand ils étaient seulement cantonnés à les faire danser un slow. «Depuis 2008, les MDD n’ont fait que perdre des parts de marché, explique Olivier Macard, associé chez Ernst & Young et directeur général en charge de la distribution pour la zone EMEIA. Jusqu'alors les distributeurs usaient des MDD pour leur image prix. Mais à partir de cette loi, c’est sur les marques nationales que les distributeurs se sont battus.»

Concurrence frontale des fabricants

«Désormais , explique Bernard Buono, vice-président de BETC Paris et spécialiste de la distribution, l’image prix se mesure sur des produits à fort effet de halo». Comme de grandes marques faisant «référence» type Nutella ou Coca-Cola. Les enseignes, dont la fréquentation et la part de marché sont intimement corrélées à l’image prix, ont mis l’accent sur ces références. Baissant le prix de toutes les marques nationales et usant à tour de bras de la promotion!»

Seul hic: les prix des MDD n’ont pas suivi. «L’écart entre marques nationales et MDD a été divisé par deux!, s’exclame Olivier Macard. En passant de 40 à 20%. Les MDD sont donc beaucoup moins attractives.» Le consommateur, qui en veut toujours plus pour moins cher, peut désormais s’offrir un produit de marque. Et il ne se gêne pas! «On le voit bien sur le rayon des produits frais non laitiers, le plus touché, qui a perdu 5 points en cinq ans. C’est typiquement un rayon pour lequel les consommateurs ont besoin de confiance et préfèrent donc, dès qu’ils le peuvent, des produits de marques.»

Mais ce n’est pas tout! Ajoutons à cela que depuis 2008, la consommation évolue dans un contexte de crise. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, en période de pouvoir d'achat tendu, les consommateurs utilisent plus de marques nationales que de produits à marque propre. Faut-il être fou pour dépenser plus? «C’est un ressort d’achat psychologique, explique Yves Marin. Le budget est réduit ou décalé sur de gros investissements comme les vacances, les sorties. Mais dans la consommation courante, on se lâche plus au quotidien sur les marques, pour se faire plaisir.»

«Absurdistan du prix bas»

Un attrait pour les marques nationales combiné à des prix plus attractifs. Il n’en fallait pas plus pour déstabiliser les MDD et plonger la distribution dans un dilemme cornélien: diminuer le prix des marques nationales pour attirer les clients, mais voir du coup ses marques propres perdre du terrain. «Et ce, alors même qu’elles sont un vecteur d’identité et d’engagement pour la marque enseigne, et donc un élément de différenciation très important», note Bernard Buono. Manifestement inquiètes, les enseignes devraient en 2016 renforcer leurs MDD, au moins en les soutenant via des campagnes de prospectus, de PLV et en investissant dans le marketing client. «N’oublions pas que 50% des décisions d'achats PGC [produits de grande consommation] se fait en magasin», recadre Yves Marin.

Reste que, un an après le mouvement généralisé d'associations de centrales d’achats (Auchan-Système U...), la distribution est mieux armée. «Elle peut massifier ses MDD [un même produit pour deux enseignes] et faire jouer l’effet de volume auprès des fournisseurs», observe Olivier Macard. Un moyen de restaurer un écart significatif avec les marques nationales tout en continuant à mettre la pression sur les prix de ces dernières. De quoi gagner sur tous les tableaux: attirer le chaland et rebooster l'attrait des MDD.

Mais la guerre des prix commence à avoir de lourdes conséquences: des signaux faibles de saturation commencent à poindre. «Le secteur repense à ce qu’il s’était passé aux Pays-Bas en 2004, où tout le monde avait été perdant!»  ajoute Olivier Macard. Une sorte «d’Absurdistan» du prix bas à tout prix, qui commence à peser sur les filières métiers, notamment dans l’agro-alimentaire. «Seuls les pouvoirs publics pourront mettre fin à la situation, commente un expert du secteur. Mais ils n’osent pas prendre de décision. À chaque fois, leurs précédentes initiatives ont toutes eu des effets pervers!» Plus pervers que la guerre des prix? 

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.