Relation publics
En dix ans, la capitale britannique, qui aura un nouveau maire le 5 mai, est passée du statut de mégapole dynamique à celui d'étoile mondiale à la capacité d'attraction inédite. Avec un budget de promotion inférieur à celui de Paris.

À quoi reconnaît-on la force de frappe de départements concurrents de relations publics? À leur faculté à communiquer des vérités contradictoires sans que personne ne s'en aperçoive. Paris et Londres revendiquent ainsi régulièrement le titre de ville LA plus visitée du monde. Ce qui implique que l'autre ne l'est pas, ne l'est plus ou ne l’a jamais été. La vérité est ailleurs : ni Londres ni Paris ne peut se targuer d’être la première attraction mondiale. Selon l’institut Euromonitor International, dont le classement annuel fait autorité, la ville la plus visitée du monde en 2014 était… Hongkong, avec 27,7 millions de visiteurs. Londres arrive deuxième avec 17,4 millions de touristes, Paris cinquième avec 14,98 millions. Londres domine Paris depuis la fin des années 2000 et les touristes y dépensent plus de 2 500 dollars par visite, soit près de 40% de plus qu’à Paris, selon des estimations de Mastercard.

La capitale britannique, qui était gagnée par la sinistrose dans les années 1970, est aujourd'hui le New York européen. Les Jeux olympiques de 2012 lui ont donné un formidable élan. Sans compter le boom économique de la City, la personnalité extravagante de son maire Boris Johnson et l'attrait kitchissime, mais bien réel, de la vie rêvée des anges Kate et William. Les circonstances ont, clairement, été très favorables.

Le tournant des JO

«Les Jeux olympiques ont été un moment crucial, qui a servi de catalyseur pour la marque Londres», explique Jonathan McClory, consultant en stratégie de marque pour des pays et des grandes villes, pour le groupe Portland. «2012 est le moment où Londres a vraiment pris le dessus sur New York en tant que leader des global cities. Cela a été une opportunité de concentrer l'attention ce que la ville a à offrir. Sur les dix dernières années, Londres est passée du statut de capitale de Royaume-Uni à celui de capitale mondiale. Ce n'est plus une sous-marque du Royaume-Uni», ajoute le consultant.

La monarchie est sans conteste l’autre vecteur de cet état de grâce. Elle n’est en réalité qu’un décorum, un «monument vivant», une façon qu’aurait pu avoir la France de demander à une famille formidable de faire figuration toute l’année au Château de Versailles. D’un simple point de vue comptable et marketing, le calcul est malin : la famille royale coûte 334 millions de livres chaque année au contribuable, selon l’estimation haute de l’organisme Republic. Le tourisme international, dont on peut raisonnablement imaginer qu’il est boosté par d’anciennes admiratrices de la princesse Diana, rapporte près de 20 milliards par an. 

Offensive marketing

Selon Jonathan McClory, Londres a réussi à faire sauter les barrières entre le passé et le présent, ses monuments et ses quartiers populaires. Londres n’est pas contrainte pas cette ceinture de chasteté que représenterait un boulevard périphérique, elle est constamment irriguée par les cultures du Greater London, en prise directe avec ses réalités multiples du quotidien. 

Mais plus que la stratégie de communication, c’est l’histoire de cette ville qui a été presque entièrement brûlée par un incendie en 1666, quasi-totalement rasée par neuf mois de bombardements nazis en 1940-1941 et profondément terrorisée par l’IRA dans les années 1970 et 1980, qui a fortement marqué l'urbanisme et l’état d’esprit de Londres. Tout ou presque a déjà été détruit, puis reconstruit. Tout est impermanence et renouvellement perpétuel, y compris – et surtout ! – ces sublimes robes que la sémillante reine Elizabeth, qui vient de fêter ses 90 ans à gros renforts de couverture médiatique, ne porte jamais deux fois. La ville est aussi vivante que ses traumatismes ont été profonds. Le produit se vend de lui-même à l’étranger. «Une ville qui se lance sur une nouvelle stratégie de marque doit prendre en compte les éléments de son histoire et de son quotidien, estime Jonathan McClory. Une story ne marche pas si elle n’est pas vraie ou authentique. »

L'offensive marketing de Londres doit aussi beaucoup à la création en 2011 de London & Partners pour promouvoir la ville en rassemblant sous une bannière unique les trois agences qui existaient jusqu'alors : Think London, Study London et Visit London. Cette décision visait à amplifier la portée du message à travers le monde tout en réduisant les dépenses. Chris Gottlieb, patron de la stratégie, de la marque et de la communication de London & Partners, décrit cette évolution : «Fusionner nos trois agences en une seule nous a permis d’agir de façon transversale. Fondamentalement, lorsqu’une entreprise s’installe dans une ville, elle veut le tout-en-un : être proche des clients, des réseaux universitaires, des possibilités touristiques, avec la possibilité de vivre des émotions. Tout cela permet de nombreuses synergies, et cette unification est désormais quelque chose que les autres grandes villes veulent également faire.» 

«Guest of honour»

London & Partners dispose d'un budget de 19,4 millions de livres (24,5 millions d'euros) et vise des retombées économiques de 120 millions, créant ainsi plus de 2 000 emplois. Conformément à ce qui était indiqué dans son business plan initial, elle délivre un flot régulier de stories sur le business, l'éducation et le tourisme à Londres, essayant autant que possible d’allier les trois domaines en une seule dynamique, pour une valeur en équivalent achat d'espace de 70 millions de livres. London & Partners revendique plus de 400 partenaires, allant des grands médias comme la BBC aux groupes hôteliers, aux universités, aux distributeurs et aux pubs.

Parmi les très nombreuses initiatives et plans marketing, on peut relever le programme «London Plus», destiné à encourager les visiteurs à rester plus longtemps sur place. Autres développements en cours : une meilleure promotion des attractions londoniennes et des campagnes effectuées directement à l'étranger, ainsi que des partenariats effectués avec des agences présentes directement sur place.

La campagne la plus couronnée de succès a été «Guest of Honour», qui consiste à sélectionner un touriste étranger et à le mettre en scène pendant sa visite VIP du Tout-Londres et sa rencontre avec de nombreuses personnalités British internationalement reconnues, en mode conte de fées. Les retombées économiques de cette campagne ont été évaluées à 16 millions de livres. Elle a aussi été récompensée lors des World Media Awards (Grand Prix for best content marketing campaign), tous secteurs confondus, devant Airbnb, Microsoft et Land Rove. Créée avec les agences The Brooklyn Brothers et Carat, elle a également été récompensée dans la catégorie Travel & Tourism. Le jury était constitué de membres du New York Times, de The Economist, du Wall Street Journal, de Time, de National Geographic ou encore de Bloomberg.

«Nous avons fait appel à des agences pour cette campagne, mais nous fonctionnons essentiellement en mode in-house pour le reste, car nous avons une vraie expertise, raconte Chris Gottlieb. Pour nos campagnes leisure marketing, nous utilisons de plus en plus de vidéos, qui sont très populaires et qui sont un excellent moyen de raconter des stories de façon brillante. Nous utilisons également de plus en plus de data pour cibler et savoir qui sont exactement nos visiteurs, d’où ils viennent, en misant davantage sur les plus aisés.»

Budget restreint

Les musées et galeries sont gratuits pour l’essentiel à Londres, mais London & Partners obtient de précieuses informations grâce à l’Association of Leading Visitor Attractions (ALVA), qui fournit des données récoltées lors des connexions sur les sites ou les applis des musées. La campagne London's Autumn Season of Culture, pour le British Museum et le Design Museum, a été, à ce jour, la plus grande opération de collecte de données clients. Elle a rapporté quelque 20 millions de livres, l’équivalent d’une campagne publicitaire touchant 77 millions de personnes. Le concours Fans of London, permettant de gagner un séjour à Londres, a également permis de récolter des données sur les touristes d’aujourd’hui ou de demain.
La stratégie numérique sur les médias sociaux se résume en deux mots : «always on». Elle touche 28 millions de personnes dans 230 pays. Parmi les autres grands axes, le développement du suffixe «.london», qui avait été l'un des premiers d'une grande ville à être déposé. La mairie a aussi monté des partenariats marketing avec certains sites qui ont acheté le suffixe.

Les performances de London & Partners sont d’autant plus remarquables que l’organisation dispose d’un budget très restreint. «Nous sommes l'une des organisations de promotion les plus limitées budgétairement dans le monde, loin derrière Paris et New York, par exemple», confirme Chris Gottlieb. 

Un rapport de Deloitte sorti fin 2014 assure, en effet, que Londres dépense deux fois moins que Paris sur le tourisme, sans compter les dépenses promotionnelles de la structure du Grand Paris et celles des candidatures pour les Jeux olympiques de 2024 et l’Expo universelle de 2025. La part de financement public dans le budget londonien est aussi deux fois inférieure à celle de Paris. Le budget parisien est néanmoins incomparable avec ceux de Singapour ou Hongkong, ou de certains pays du Golfe, qui sont stratosphériques. L’Office de tourisme du Qatar donne ainsi 200 millions d’euros par an au PSG pour la simple promotion de son image, soit plus de cinq fois le budget annuel de promotion touristique de la ville de Paris. Laquelle prend «généreusement» en charge les importants frais d’entretien du Parc des Princes…

En complément

«Un plan de relance avant l’été»

Jean-François Martins, adjoint au maire de Paris, chargé des Sports et du Tourisme. 


Le budget de promotion de Paris serait nettement supérieur à ceux de Londres, New York ou Berlin. Vous confirmez ?

Jean-François Martins. Certainement pas. Nous avons une organisation institutionnelle beaucoup plus morcelée que Londres, où il n’y a qu’un seul opérateur, London & Partners, qui gère le tourisme et l'attractivité au sens large. À New York, il n’y a qu’une seule agence de promotion touristique pour la ville et pour l'État. À Paris, vous avez l'office du tourisme, qui a un budget de 11 millions d'euros globalement, et le comité régionale du tourisme Île-de-France, qui a un budget de 25 millions. Soit un total d'environ 40 millions d'euros, ce qui est comparable à Londres, New York ou Amsterdam. 
 
Envisagez-vous de réunir vos différentes agences en un seul organisme central, comme certaines autres grandes villes ? 

J.-F.M. Cela nous inspire beaucoup, en effet, même s'il y a quelques limites à l'analogie. Mais évidemment la concentration du mille-feuille institutionnel serait bénéfique. Pas tant au niveau des économies, que de celui de l’efficacité des dépenses. C’est une question qu'on se pose aujourd'hui très clairement.  
 
Dans quels domaines Paris doit-elle progresser au niveau de sa promotion touristique ?
J.-F.M. Là où Londres et Berlin ont réussi à prendre une petite avance, c'est sur la valorisation de leur tourisme urbain. On y va pour sentir l'ambiance de la ville plutôt que pour découvrir un monument en particulier. C’est l’ambiance bouillonnante et multiculturelle de Londres, et le côté underground de Berlin qui attire. On va plutôt visiter des lieux improbables, des festivals, en dehors des sentiers battus. Paris a une offre extrêmement riche à ce niveau, mais elle n'a pas encore réussi à la mettre suffisamment en avant, notamment parce qu'elle a le poids du passé à assumer. C'est toujours plus difficile de montrer une destination fraîche, neuve, avec des atouts très contemporains, quand l'image, la perception voire la convention en communication mènent vers la tour Eiffel ou Montmartre... On ne renie rien, on assume, mais on travaille beaucoup sur l'idée qu’après avoir vu les Impressionnistes au musée d'Orsay, puis la tour Eiffel, vous pourrez trouver un bar branché dans le XIXe arrondissement.
 
Après cette terrible année 2015, Paris doit-il créer une nouvelle «story» après la campagne de cet hiver «Paris est une fête» ?

J.-F.M. Suite aux attentats, il y a une chute importante de fréquentation. Il fallait laisser du temps au temps, mais nous allons organiser un plan de relance de la destination, reprendre la parole avant l’été. L'Office de tourisme est en train de sélectionner des agences pour nous aider notamment sur la partie digitale. On sait à peu près ce qu’on veut dire, la stratégie est définie ; c’est plus sur l’exécution, les créations, la campagne, qu’on doit encore réfléchir. Il faudra avant tout montrer les Parisiens eux-mêmes, sur les terrasses, dans les cafés, montrer que cette ville a de la joie de vivre, du bonheur, de la gaieté. Paris reste une ville d'authenticité et d'expériences heureuses. C'est autour d’une tonalité très positive, sur les habitants, leur liberté en général, sur les mœurs, sur les plaisirs divers et variés, que nous avons envie de reprendre la parole. Il ne faudra surtout pas aller dans une communication qui serait ultra-rationnelle, sur la sécurité. Ce serait à contre-emploi. 
 
La ville de Paris doit-elle intégrer les banlieues nord et est dans ses promotions touristiques ?
J.-F.M. En l'occurrence, nous avons un projet avec les trois départements de la petite couronne (Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis et Val-de-Marne). Nous avons signé un contrat commun de destination, pour dire que nous sommes une seule destination, autour de ce qu'on appelle «Paris la ville augmentée». Tout est basé autour du tourisme urbain, sur l’idée, notamment, que la Seine-Saint-Denis peut devenir à Paris ce que Brooklyn est devenue à New York. C'est-à-dire des quartiers historiquement populaires, mais qui deviennent en tant que tels des lieux de visite, moins pour les monuments que pour l'ambiance et un certain mode de vie que les visiteurs du monde entier pourraient avoir envie de partager.

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.