La distribution à l'ère des régies

Le 25 mai dernier, en plein cœur du bois de Boulogne et sous un soleil torride, l’illusionniste Julien Labigne fait le show pour un événement organisé par Carrefour Media. Devant un parterre d’une centaine d’invités, en grande partie annonceurs, il enchaîne les tours de «mentalist» et de manipulation collective. Conquis, le public participe, rit. L’opération de charme fonctionne...

La régie du distributeur, créée en 2011, affiche ses ambitions. Pour la première fois, elle prend la parole. Le directeur exécutif de Carrefour France Noël Prioux a fait le déplacement. «Ce que nous avons réalisé en quatre ans, nous voulons le doubler dans les deux prochaines années, lance-t-il d’emblée. L’objectif est simple: devenir un hub incontournable du paysage des régies.»

Une semaine plus tard, en plein cœur de Paris, près des Champs-Élysées, c’est au tour d’Auchan de lancer sa régie: Imedia Center. Née sous l’impulsion d’Auchan Retail France qui gère le réseau de grande distribution (hyper, super, proximité, drive et e-commerce) et d’Immochan, l’immobilière commerciale qui gère les centres commerciaux du groupe, Imedia Center aura pour mission de commercialiser des supports de communication sur les points de vente des deux entités.

À commencer par un nouveau réseau d’écrans digitaux, en cours d'installation par la société In-Store Media. En entrée de magasin, près des caisses, sur les drives, dans les allées centrales… Au total, 3500 écrans animés qui diffuseront le message des marques moitié publicitaire, moitié éditorial. Mais Imedia gèrera aussi des offres événementielles sur les parkings, les impressions digitales sur les sites du groupe etc.

Reprise en main des espaces médias

Ces prises de parole des deux groupes ne sont pas anodines. Elles traduisent une tendance de fond: la reprise en main par la grande distribution de ses espaces média. Non pas qu’elle les avait perdus, mais elle ne les avait pas encore utilisés à bon escient, notamment en matière de données. Ces grands raouts visent surtout à matérialiser la mise à disposition de leur mine d’or: leur data. «Nous devons devenir la meilleure base de données de France», argue Noël Prioux. Chez Auchan, l’entité qui gère la data change de nom et passe de Bludata à Auchan Retail Data, signe que le pôle se met effectivement au service du retail.

Un changement important: Carrefour et Auchan, avec respectivement 13,5 millions et 12 millions de porteurs de carte de fidélité, possèdent une manne inestimable: la connaissance de ce que les consommateurs achètent réellement. «Nous avons enfin à disposition la donnée après laquelle nous courons depuis des décennies, s’exclame Marc Lewitanski, directeur associé de l’agence média Cospirit Mediatrack. Depuis longtemps, nous essayons de mettre en corrélation la donnée produit et la consommation média, avec nos propres études.» Mais la grande distribution n’avait pas assez structuré ses services pour connecter ces données, et les faire parler. Et surtout, elle n'avaient pas encore fait un sacré ménage dans les cartes de fidélité... «Nous totalisons 27 mois d’historique avec une granularité au code-barre près», insiste Béatrice Leroux-Barraux, la directrice de Carrefour Media.

Depuis quelques années, les canaux se sont multipliés. Avec les drives et les plateformes d’e-commerce, le client évolue dans un écosystème plus large que le magasin et se fait donc mieux comprendre des analystes. «Cette transformation par la data explique que ce soit les enseignes intégrées les plus avancées, et moins les indépendants [comme Leclerc, System U ou Intermarché]», explique Matthias Berahya-Lazarus, le CEO de Bonial, la plateforme de prospectus en ligne. Les projets, notamment d’harmonisation informatique, sont toujours plus long à mettre en place avec un système de franchisés.

Analyse des campagnes

Pourtant, cette restructuration arrive tard. Les données de sorties caisses ne sont pas nouvelles. Alors, pourquoi ne se lancer qu’aujourd’hui? Ces informations servaient surtout aux relations commerciales, comme levier dans les négociations annuelles avec les marques. «Elles se trouvaient davantage dans les mains des services commerciaux que des services marketing, explique Marc Lewitanski. Désormais, on parle à d’autres personnes dans les enseignes et on a une meilleure vision stratégique des leviers médias de la grande distribution.» Et notamment de la mesure de l’efficacité de la communication gérée par l’enseigne, point sur lequel Imedia Center insiste particulièrement. «Notre objectif, c’est avant tout de mesurer la performance des campagnes», annonce Olivier Girard, le directeur d’Auchan Retail Data. Par le passé, les médias des GMS (PLV, prospectus…) étaient négociés en même temps que les prix ou les promotions. Avec une transparence… discutable. Les choses changent.

La structuration des régies, si elle ne concerne toujours pas les prospectus papier, change la donne. «Un magasin n’est pas seulement un ensemble d’étagères avec des produits dessus, ponctue Marc Lewitanski. C'est le premier média. La majorité des nouveautés produits se découvre en magasin.» Si les enseignes misent de plus en plus sur le digital, comme Carrefour qui totalise 8 millions de visiteurs uniques par mois sur Rue du Commerce et Ooshop, elles valorisent de plus en plus leurs actifs physiques et augmentent les passerelles entre les deux. Un moyen de s’octroyer de nouvelles ressources financières, mais aussi de contrer Amazon qui lorgne de plus en plus sur les magasins physiques après avoir ouvert un entrepôt en plein Paris.